Eamus Cork Solutions, les flics “ne sont pas immortels”

Eamus Cork Solutions, les flics “ne sont pas immortels”

 

A la suite des attentats du 11 septembre 2001, l’ère du tout sécuritaire franchit un palier supplémentaire. La sécurité n’est alors plus une simple histoire d’aviation. Les états veulent rapidement élargir ces moyens à tous les transports et renforcer la sécurité des liaisons maritimes. Le code international pour la sureté des navires et des installations portuaires (ISPS en anglais) est signé un peu plus d’un an après (le 12 décembre 2002) mais n’entrera en vigueur qu’en Juillet 2004.La sécurité portuaire prend alors un nouvel essor et les côtes voient fleurir de nouvelles entreprises spécialisées dans ce domaine.

Eamus Cork, l’opportuniste

 

ECS est une entreprise dite « de sécurité portuaire » appartenant au groupe Eamus Cork. Ce groupe, créé en 2004 par Patrick Guerbette (ancien RG parisien puis responsable chargé de la sureté du site français d’Eurotunnel) est installé dans le nord de la France et compte cinq autres entreprises :

– Eamus Cork Sécurity (qui est spécialisée dans les métiers de la sécurité)

– Cogan consulting (qui, elle, est spécialisée dans la formation à la prévention des risques professionnels, domestiques et naturels).

– Fiona Consulting (qui fait de la gestion et coaching d’entreprise)

– Manannan Communications (entreprise de communication et d’édition qui publiera entre autre : « Les dieux ne sont pas immortels ou la légende d’Eamus Cork» écrit par … Patrick Guerbette)

Les secteurs d’activités couverts par ces entreprises nous ont amenés à tenter de comprendre les intentions de Patrick Guerbette en nous penchant sur les activités sécuritaires de sa principale entreprise ECS. C’est en fin homme d’affaire que l’ancien policier crée son entreprise de sécurité portuaire 6 mois avant l’entrée en vigueur de ce code (en janvier 2004). Grand sportif, il surfe comme beaucoup d’autres sur cette vague du tout sécuritaire. Et ça marche (4M€ pour 115 salariés en 2009), Monsieur Guerbette gagne sa croûte en faisant virer les « clandestins » des camions. Sa toute nouvelle entreprise décroche d’ailleurs de palpitants contrats.

Le premier vient de la société Norfolkline dès la première année. Cette entreprise de transport de passagers et véhicules entre Dunkerque et Douvres, satisfaite des activités de son partenaire, lui renouvelle sa confiance depuis maintenant 6 ans.

ECS s’installe ensuite un peu plus sur le port de Dunkerque en signant un contrat de surveillance de site avec NFTI, une société française de manutention portuaire.

 

 

Déploiement sur le littoral

 

Mais cela ne suffit pas à Patrick Guerbette. Toujours plus humaniste ce dernier décide d’assister les autres ports de la Côte d’Opale dans leur « lutte » contre les indésirables sans-papiers. Avec les coups très médiatiques du ministre de l’intérieur de l’époque (N. Sarkozy) telle la fermeture du hangar de Sangatte en 2002, la situation migratoire à Calais est depuis quelques temps de plus en plus catastrophique et la répression en est d’autant médiatisée. Guerbette décide alors de surfer une nouvelle fois sur la vague, cependant cette fois-ci sa stratégie change. Afin de s’imposer dans les relations sécuritaires franco-britanniques, le patron décide d’entrer en contact avec les services de l’immigration anglaise. Il décroche un superbe contrat avec l’United Kingdom Border Agency (le service administratif en charge du contrôle de l’immigration vers les Royaume Uni).

 

Guerbette atteint des sommets lorsqu’il signe en 2009 un contrat avec la chambre de commerce de Boulogne sur mer. Eamus Cork Solution s’installe alors sur les trois ports commerciaux de la région. L’entreprise se charge de la sécurité du port : le contrôle des accès, la vidéosurveillance, les rondes cynotechniques, les contrôles de sûreté sur véhicules et les fameux contrôle de détections de personnes (donc en gros la recherche des dangereux migrants). Malheureusement la CCI de Boulogne sur mer qui avait investi gros dans un terminal ferries (et sa sécurité) et attendait un second navire de la compagnie LD Lines se retrouve bien marrie lorsque cette compagnie de transport maritime décide fin août 2010 de supprimer sa liaison *. Le terminal (qui malgré la situation actuelle doit accueillir une seconde passerelle de déchargement dans les mois à venir) devient alors un géant parking à goéland. ECS est donc contrainte de licencier neuf employés de sécurité et ne renouvelle pas les contrats de sept autres. Il reste donc à ce jour une dizaine d’agents de sécurité d’ECS afin de surveiller les passages des nombreux goélands, cormorans et mouettes (enragées évidemment) transitant par ce site !

 

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Répression et exploitation

Guerbette, assisté d’un conseil composé d’anciens officiers supérieurs des polices française et britannique, déclare disposer « d’un contingent de personnes testées qui lui permet de faire face aux arrêts maladie ou aux congés annuels ». Il n’hésite pas à parler de ses agents de sécurité comme des « héros anonymes ».

En septembre 2010 Eamus Cork reçoit le prix du meilleur service de gestion et formation lors de la 5ème édition des trophées de la sécurité, dans le cadre d’un projet lié au stress au travail…

Ingrats, plusieurs employés avaient pourtant attaqué Guerbette au tribunal des prud’hommes pour non paiement des heures supplémentaires de travail, et d’autres se sont permis de témoigner, dans un reportage de l’émission de France Inter « là-bas si j’y suis », sur leurs mauvaises conditions de travail: vestiaire sans point d’eau, avec des rats, fenêtres cassées depuis des mois, impossibilité d’apporter des secours de base aux migrants débusqués dans les camions alors que Guerbette clame haut et fort l’humanisme de ses services et exige de ses agents une formation de secouriste.

Ces témoignages donneront lieu au sein de l’entreprise à des incitations à la délation pour découvrir qui avait osé parler. Trois employés virés suite à leurs témoignages font actuellement appel aux Prud’homme pour licenciement abusif.

 

Les Etats renforcent les mesures sécuritaires concernant les sans papiers mais la tendance est à la sous-traitance à des sociétés privées, ainsi les responsabilités se fondent dans les méandres des contrats de délégations de services.

 

En octobre de cette année, Jimmy Mubenga, Angolais de 46 ans, escorté par trois agents de sécurité de la société G4S à laquelle le ministère de l’Intérieur britannique sous-traite l’essentiel du sale boulot des rapatriements forcés de clandestins, décèdera sous les yeux des autres passagers de ce vol commercial, étouffé par ses tortionnaires au fond d’un Boeing 777 sur l’aéroport de Londres.

La société G4S se targue d’être la première compagnie de sécurité privée au monde, présente dans plus de 110 pays – dont l’Irak et l’Afghanistan, mais aussi l’Angola . Sur son site internet, elle vante ses qualités d’intégrité : « On peut nous faire confiance pour toujours faire les choses comme il faut. »

Quelques députés britanniques réclament une enquête indépendante sur les conditions de ce décès mais la volonté de nos gouvernements de développer la sous-traitance au privé pour pourchasser les migrants, n’est pas remise en cause.

 

Pour en terminer avec Eamus Cork, son patron toujours en quête d’honorabilité, a lancé le 26 octobre, un grand concours national d’illustration des personnages de son roman. Il a annoncé aussi un projet de BD et de film sur la si belle histoire que reflèterait sa philosophie d’entreprise.

 

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* LD-Lines s’est repliée sur saint Nazaire, profitant par la même occasion de subventions publiques dans le cadre du lancement des “Autoroutes de la mer”.

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