La gauche serait malade, nous dit-on !? Mais … qu’elle crève !

La gauche serait malade, nous dit-on !?

Mais … qu’elle crève !

 

Deux années déjà que les Cavaignac de Matignon, s’acharnent à maintenir sous l’eau la tête de millions de prolétaires qui n’en peuvent mais… Deux années de trop, durant lesquelles, des beaux quartiers de Paris aux places de la Bretagne, les petits bourgeois réactionnaires ont pourvu l’espace d’une contestation toute médiatique et exclusive : un jour, les déambulations du patronat affublé de bonnets rouges (1), un autre, les jupes plissées d’un mariage hétéro fort heureusement déliquescent ; idiots (in) utiles et inconscients d’un gouvernement pourtant dévoué corps et âme aux desiderata du Medef. Les ingrats…

Mais depuis deux ans, loin de l’objectif des caméras, un sentiment de colère diffus remonte depuis les profondeurs. Non pas le remugle des névroses lepénistes exhibées à longueurs d’élections, mais, des frémissements épars que des observateurs impliqués savent décrypter. Un premier élément à prendre en compte serait sûrement la durée plus longue des luttes qui s’enchaînent depuis peu. Le rapport de force tendrait désormais à s’inscrire dans le temps.

Non pas sous l’effet d’un pourrissement que le patronat parviendrai à imposer systématiquement avant reddition, mais plutôt au travers de la conscience acquise par les travailleurs qu’ils n’ont désormais plus rien à perdre et donc, qu’ils ne céderont sur rien. Les ouvriers de PSA-Aulnay avaient bloqué la production de l’usine durant plusieurs mois de grève, ceux de Good-Year à Amiens ou de Fralib à Marseille ont maintenu le rapport de force plusieurs années durant.

Le mouvement qui secoue actuellement la Poste s’inscrit lui aussi dans cette tendance et témoigne d’une détermination tenace. Dans le département des Hauts-de- Seine, une grève offensive engagée par des postiers pour la plupart en contrat précaire a duré 173 jours (2). La direction qui avait juré de faire plier les grévistes, a recouru systématiquement à la répression et en a appelé à la collaboration des services de police afin d’y parvenir. A l’interne, quatorze mesures disciplinaires ont été engagées contre des grévistes et des syndicalistes solidaires. Malgré cela, ce sont les travailleurs qui ont obtenu gain de cause et prouvé, s’il le fallait encore, que ce n’est que par la lutte que l’on peut gagner : titularisation de 3 des 4 précaires de Rueil (la quatrième personne a trouvé un travail ailleurs et ne souhaitait plus travailler à La Poste), la réduction du nombre de suppressions d’emplois, le report de 8 à 12 mois des restructurations prévues etune amélioration des conditions de travail et de rémunération des facteurs remplaçants. Depuis le mouvement a fait tache d’huile et s’est répandu dans l’Essonne et au delà : à Saint-Nazaire, à Peyrehorade (40), à Tourcoing, à Brest, à Remiremont (Vosges), dans au moins trois communes (Ducos, Rivière-Salée et Saint-Esprit) de la Martinique, dans tout le département du Cher…

Les hôpitaux connaissent aussi des mobilisations. En réponse, les directions d’établissements recourent également à l’autoritarisme et en appellent à la violence policière. En mai, à Nanterre, s’est tenue à l’initiative des travailleurs en lutte la deuxième « Assemblée générale des hôpitaux confrontés aux restructurations et à l’austérité ». La fédération CGT a incité ses syndicats à ne pas s’y rendre et c’est là, sans doute, le deuxième enseignement notable de la période. Comme l’a montré la dernière lutte en date des cheminots, une certaine base n’entend plus se laisser dicter le calendrier, les modalités d’action et encore moins les finalités de la lutte par des appareils disqualifiés après des années de collaboration de classe.

Le scénario d’une grève « pour la forme » préalablement écrit par la direction de la SNCF et le PS d’un côté, le PCF et la CGT ne s’est pas déroulé comme prévu. Des cheminots, dont pour un certain nombre d’entre eux ce fut le premier mouvement reconductible, ont mené la grève plus de quatorze jours d’affilés déjouant les pièges qu’on leur tendait de part et d’autre. Ils ont lancé à la face des petits journalistes, d’une « opinion publique » fantasmée et du clan politicien, la seule position juste en la circonstance, leur détermination (3). Et contrairement à ce qui fut asséné, hormis chez les beaufs, cette grève ne fut pas impopulaire. Certes, le PS et l’Etat sont parvenus à leurs fins. Évidemment, le mouvement est resté sous le contrôle serré des enseignes syndicales soulagées d’y mettre un terme. On pourrait continuer d’énumérer les limites qui ne furent pas dépassées durant cette grève, pour autant, c’est la base qui a donné rythme et les bureaucrates qui ont couru derrière.

Autre exemple d’un jusqu’au-boutisme inévitable car vital : les salarié-es de la SNCM. En grève depuis le 28 juin, occupant un navire de la Méridionale, compagnie qui partage avec la SNCM la délégation de service public sur les lignes entre Marseille et la Corse.

La grève est reconduite à l’unanimité. Dans cette affaire, il n’est rien moins question pour les marins de la SNCM de voir leur compagnie péricliter et leur job disparaître. Une fois de plus le gouvernement, Frédéric Cuvilier en tête, les culpabilise au motif sacro-saint du manque à gagner touristique et de la mise en péril de la compagnie ! Le même, visionnaire, prône le redressement judiciaire. « Le redressement judiciaire, c’est un moyen de démanteler la SNCM, avec plus d’un millier de licenciements. Ce n’est pas acceptable pour nous » dénonce le représentant CGT des marins, Frédéric Alpozzo, au douzième jour de grève de la compagnie. (4)

En résumé nous sommes en présence de travailleurs qui cherchent à sauver leur peau contre l’Europe – Bruxelles exige le remboursement de deux fois 220 millions d’euros d’aides publiques jugées illicites -, l’État, leur autre patron (5), les professionnels du tourisme. Pour le coup, leur appartenance syndicale devrait servir de repoussoir auprès de l’ « opinion publique ». Il faut dire qu’il est un peu difficile pour les appareils de ne pas suivre la base à la veille de la fameuse « conférence sociale ».

Premiers et derniers parias empêcheurs de tourner en rond : les intermittents du spectacle. Inutile de refaire le panégyrique de leurs revendications ni du nombre de fois qu’ils ont roulé dans la farine, victimes sempiternelles des farces à la Comedia del Arte que leur jouent leurs employeurs, publics et privés. Ces mêmes personnels si utiles dans les coulisses des festivals et indispensables à la propagation des ondes.

Leur mouvement est à l’image de ceux des éboueurs : c’est quand ils s’arrêtent qu’on les voit.

En plein été, il faut que l’industrie du tourisme tourne, que la Culture innonde ceux et celles qui peuvent encore partir, celles et ceux qui restent là.

Le fil conducteur de toutes ces grognes, c’est qu’il n’est pas possible de ne pas les médiatiser puisqu’en prise directe avec « le public ». Il en est pourtant partout, ici et ailleurs – au Brésil par exemple – qu’on ne pourra indéfiniment étouffer. Après le stalinien de choc Maurice Thorez, en passant par l’ultradroitier Sarkozy, c’est au Président au socialisme « différent » de jeter l’opprobre sur les mouvements sociaux. (6)

La conférence sociale, bardée de pactes, terme en l’occurrence inadapté ou indécent s’il en est – sous Sarkozy on disait bien « Grenelle ». Il y a quelques 80 ans, les prolétaires dans la rue ont arraché des salaires, des congés payés, des avantages sociaux. Aujourd’hui le MEDEF va pouvoir se faire du beurre, l’État apporter l’argent du beurre et les « centrales » les moins effarouchées, joueront les crémières…

Qu’importe, bien des foyers de lutte, émancipés du monologue social, sont décidés : ils ne lâcheront rien. Et reprendront tout ce qui leur a été volé.

Notes :

1 – Le mouvement dit des “Bonnets rouges” nous est apparu comme la manifestation inter-classiste des contradictions qui traversent le secteur des transports et de l’agro-business breton en crise. Ni totalement poujadiste, ni singulièrement prolétarien, une composante ouvrière y a défendu pendant quelques semaines ses intérêts propres – et non ceux des patrons comme nous l’avons trop souvent lu ou entendu de part et d’autre. Si certains de nos camarades de la mouvance Libertaire ou Ultra-Gauche ont dressé un procès sans appel de cette mobilisation, ce ne fut pas notre cas. Bien qu’extrêmement septiques et critiques à son endroit, nous ne pensons pas qu’un mouvement de lutte quel qu’il soit, puisse se prévaloir d’être chimiquement pure dans sa composition. Ce n’était bien évidemment pas le cas de cet épisode dit des « Bonnets rouges ». Il s’agit d’être clair sur la question. Le prolétariat lui même est traversé en son sein d’antagonismes qui mettent aux prises les différentes strates qui le composent. Hé oui, il y a de la lutte de classe au sein même de la classe ! Notre position fut donc, comme nous l’avons rappelé lors de l’émission de radio de nos camarades du groupe Vosstanie de soutenir, non pas le patronat, même “petit”, mais les initiatives en direction du pôle ouvrier qui s’était constitué au sein des mobilisations de cet hiver. Les contradictions dans ce genre de situation sont criantes, tant mieux d’ailleurs, et c’est seulement en plongeant les mains dans le cambouis que l’on aidera à les aiguiser au point de les rendre intenables.
2 – http://grevedespostiersdu92.tumblr.com : Et pour aider financièrement les grévistes et leurs familles : chèques à envoyer à : « SUD Poste 92, 51 rue Jean Bonal, 92250 La Garenne-Colombes », ordre : SUD Poste 92, mention « solidarité grévistes » au dos. A noter également le site « Convergence Poste » : http:// convergenceposte.wordpress.com/ Créé par les postiers en lutte, il poursuit l’objectif de recenser l’ensemble des conflits postaux et aider à leur convergence.

3 – Localement l’hebdomadaire « La Semaine dans le boulonnais » a montré toute l’obéissance que l’on était en droit d’attendre de lui en la circonstance. Ce journal à la titraille racoleuse et au contenu très ordinaire en appelait dans son édito du 18 juin intitulé « Il est partout » à soutenir F.Cuvilliers contre les cheminots grévistes, concluant que : « Pour tout le monde, la grève doit cesser. Et vite ». Dans son ouvrage « Les paysans dans la lutte des classes ». B.Lambert rappelait la fonction de la presse de province : « Leur travail consiste à rapporter des nouvelles « faciles » qui ne menacent aucun tabou, aucune idée reçue, aucune autorité en place (…) Ces rédactions doivent nécessairement entretenir les meilleurs relations avec les autorités locales, ne serait-ce que pour ne pas tarir leurs ressources ultérieures d’information (…) Dans les faits, la presse régionale est au service de la bourgeoisie ». On ne peut être plus clair…

4 – Les mêmes s’étaient déjà battus en mai 2012 (et encore antérieurement). Dans le dernier conflit, les grévistes en sont arrivés à refuser de discuter avec le ministre des transport, maire d’un port fuit par toutes les compagnies de ferries qui s’y sont amarrées. Frédéric Cuvillier avait pourtant acquiescé la commande de quatre navires avant de tout bloquer en février. « Si nous n’avions pas porté l’exigence de clarification et de vérité, on nous aurait caché la vérité jusqu’en octobre. C’est un procédé honteux, scandaleux », a ajouté Maurice Perrin, délégué CFE-CGC et représentant des actionnaires salariés au conseil de surveillance.

5 – L’Etat est actionnaire à 25 % de la SNCM aux côtés de Transdev qui détient 66 % et des salariés on ensemble 9 %.

6 – Citations respectives de ces grands hommes : « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue » : M. Thorez qui réduisait ainsila perspectiverévolutionnaireà une simple grève économique. « Désormais, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit » : N. Sarkozy en 2008 qui tout au long de son règne, pourtant, insultera les grévistes qui bloquent le pays, sabotent l’économie, font fuir les investisseurs (et les touristes), prennent « les Français » (?) en otages… En 2014 :« Il y a un moment où il faut savoir arrêter un mouvement » dixit F. Hollande relayé par M. Valls (à moins que ce ne soit l’inverse) : « Il faut maintenant que la grève s’arrête ». La social-démocratie admet enfin que l’arbitraire du pouvoir se conjugue parfaitement aux intérêts capitalistes et implicitement que si lutte de classe il faut cesser, c’est que lutte de classe il y a.

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