Le SCOT ou comment nous endormir

Le SCOT ou comment nous endormir

 

La mondialisation impose à ses exécutants politiques une concentration des pouvoirs de plus en plus importante au niveau des territoires. Ainsi la France oblige les communes à se regrouper en communauté d’agglomération ou de communes. Le Boulonnais n’est pas un mauvais élève dans ce regroupement à tout crin. Chacun connaît la Communauté d’Agglomération du Boulonnais (CAB) et ses 22 communes. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin alors que nous sommes à l’heure des eurorégions. Les décideurs politiques, guidés en cela par leurs partenaires privés privilégiés, ont ainsi imaginé le futur du boulonnais : le SCOT ou Schéma de Cohérence Territoriale[1]. Celui-ci regroupe la CAB et la Communauté de Communes de Desvres – Samer (CCDS). Le SCOT est élaboré par les deux intercommunalités. L’animation technique est assurée par Boulogne Développement Côte d’Opale[2].

 

Partant d’un constat, on nous imagine un futur

Pour ce qui est de l’état des lieux du Boulonnais au niveau économique, démographique, etc. difficile de faire preuve d’imagination. Il est en effet impossible d’ignorer des faits avérés : la population sur le territoire ne cesse de baisser, le chômage augmente, les boîtes ferment les unes après les autres, etc. Partant de ce constat, les initiateurs du SCOT ont choisi pour toute la population un futur qui semble, à les écouter, fleurer bon les temps meilleurs le tout agrémenté d’une bonne dose de développement durable ! Mais qu’en est-il au juste de ce scénario qu’on nous a concocté et duquel nous serons les acteurs forcés ? Afin d’éviter à chacun une lecture longue et soporifique voici ce que nous avons retenu du script.

Différents sujets sont abordés et déclinés en trois objectifs dans le Projet d’Aménagement et de Développement Durable du SCOT, document qui donne la vision des politiques pour les 10 prochaines années. Ces trois pans concernent l’économie, la démographie et le positionnement du territoire à l’échelle régionale et internationale.

 

1 – Une économie durable et solidaire

 

Ça paraît tout beau dit comme ça. Une économie qui serait à la fois durable et solidaire. On peut toujours rêver, même s’il y a effectivement quelques velléités « durabilistes » concernant le secteur primaire. Son emprise foncière reste très importante dans le boulonnais même si le nombre d’actifs est de plus en plus bas (1 % des actifs dans l’arrondissement de Boulogne). Le SCOT préconise en effet de favoriser une agriculture raisonnée voire biologique sur son territoire. Au delà de cela il souhaite mettre en place un maximum de circuits courts pour la consommation : on produit ici on consomme ici. Cette volonté concerne tous les pans de l’agriculture : production de matières premières pouvant servir d’énergies renouvelables, produits maraîchers vendus dans les commerces des intercommunalités, etc.

Effectivement le fait de consommer sur place ce qui est produit dénote un aspect durable de la gestion des ressources ; mais rien de solidaire dans tout cela. De plus, les tendances de ces dernières années conduisent de plus en plus les décideurs à se positionner pour des circuits courts. Quant aux principaux concernés, les paysans, cela fait bien longtemps que certains d’entre eux ont fait le choix de vendre directement aux consommateurs sans passer par les centrales d’achat.

 

Pour le durable et le solidaire les préconisations s’arrêtent là. Pour ce qui est des secteurs secondaires et tertiaires, on est dans le nettement moins durable et le vraiment moins solidaire.

Le syndicat mixte à l’origine du SCOT ne peut nier le fait que de nombreuses boîtes ferment et ce notamment dans la filière halieutique. La faute à une économie qui depuis toujours s’est spécialisée à outrance. Que faire face à cela ? Changer d’orientation ? Continuer dans la même veine ? Un peu des deux ? C’est la troisième solution qui a été retenue. En effet, les décideurs n’ont pu faire abstraction de la présence de la mer pour imaginer le futur des travailleurs. Ils veulent donc continuer dans la filière halieutique mais en accompagnant sa mutation. Qu’entendent-ils par là ? Le développement des activités d’élevages et notamment hors sol est un axe qui sera privilégié[3]. En outre, des équipements visant l’amélioration de l’innovation dans la filière aquacole (avec Aquimer notamment seront mis en place (notamment dans le domaine de la valorisation nutritionnelle des produits marins et aquatiques). Pour cela il faut de la place. Qu’à cela ne tienne, des boîtes ferment, flambent, ça fait du terrain. D’autant que les décideurs n’ont toujours pas abandonné leur volonté de voir Boulogne se transformer en base logistique pour l’Europe, relançons donc le hub-port fret[4]. On reprend les vieilles mauvaises idées et on les rhabille pour les ressortir.

 

La mer, ce n’est pas que des poissons. La mer amène des touristes. Heureusement pour les Boulonnais. En effet, le chômage n’ayant cessé d’augmenter ces dernières années il va bien falloir retrouver du travail pour tous les licenciés. C’est donc dans le tourisme qu’ils travailleront demain. Mais pas n’importe quel tourisme : le haut de gamme. La volonté est ici d’attirer une autre clientèle qui dépensera encore plus pour ses activités : thalassothérapie, résidences secondaires, hôtels, marina, etc. Tous ces axes seront orientés vers les seniors nantis. L’or gris sera désormais le futur du tourisme boulonnais. Ceci n’est pas sans conséquence sur la main d’œuvre locale : obligation de se recycler dans des emplois de domesticité au service des nouveaux clients riches des hôtels ou résidences. Mais rien de grave là dedans comme le dit le SCOT en parlant du niveau de qualification requis pour ces emplois : « cette économie est bien adaptée à la population boulonnaise peu qualifiée »[5]. Chômeurs chômeuses ne vous inquiétez pas, grâce au tourisme vous aurez un emploi sous-payé et à temps partiel.

 

 

Mais les touristes n’amèneront pas une manne financière pérenne et constante pour le territoire. Un deuxième objectif et donc d’avoir une population qui dépense plus sur le territoire.

 

 

2 – Équilibre interne du territoire et territoire solidaire

 

On pourrait se dire que la façon la plus simple d’avoir une population qui dépense plus sur le territoire afin de maintenir une économie résidentielle élevée est de faire en sorte que celle qui y réside gagne sa vie décemment. Il serait donc plus simple d’augmenter les salaires des résidents sur le territoire ou déjà faire en sorte que chacun gagne décemment sa vie qu’il travaille ou non. La simplicité n’est pas ici la solution retenue. Suivant l’exemple de sa grande sœur lilloise, avec 20 ans de retard, le Boulonnais souhaite attirer des nouvelles populations avec un revenu supérieur à celui de la moyenne de la population locale. Leur point de vue est le suivant : les Lillois ne peuvent plus se loger à moindre frais dans la métropole attirons les sur la côte. Ce sont bien les turbo-cadres que les politiques cherchent ici à attirer en leur vantant la qualité de la vie en bord de mer, une ville à seulement une heure de TGV de leur lieu de travail. Les communes de la petite couronne de Boulogne risquent de se transformer en cités dortoirs pour cadres pressés.

 

Attirer ces populations implique néanmoins de renouveler l’habitat ou d’en créer un nouveau. C’est par exemple le cas de l’éco-quartier à proximité de la gare. Conçu pour des cadres, à côté de la gare pour qu’ils puissent aller travailler à Lille (cela rappelle le quartier EuraLille). Concernant les rénovations urbaines, le processus a déjà commencé à Transition ou Damrémont. On déplace des populations résidant depuis de nombreuses années dans des quartiers où une vie communautaire existe. On éclate la population dans d’autres quartiers, on casse les solidarités. Boulogne ne sera pas la seule ville impactée, même si c’est là que ce sera le plus visible. D’autres zones d’aménagement concertées (ZAC) sont dans les cartons depuis quelques années pour certaines : Wimille et la ZAC d’Auvringhen, Outreau et la ZAC Massenet Ravel, etc. Les espaces sont déjà fortement densifiés et on va rajouter du logement dans les villes. Pour les communes encore rurales, ce sont bien entendu les terres agricoles qui diminueront. Ça c’est durable et solidaire.

 

Un dernier axe développé dans le SCOT et ayant un fort côté développement durable : les transports. Les politiques veulent plus de liaisons douces entre les logements et les lieux de travail. Ils veulent développer l’utilisation des transports en commun, du vélo, etc. Bonne idée, si seulement il y avait plus de bus (et donc plus de chauffeurs) et si le ticket de transport était gratuit. Les pistes cyclables, quand elles existent, sont le plus souvent empruntées par des sportifs. On se demande pourquoi, les côtes seraient-elles trop difficiles à monter pour un ouvrier après une journée de travail ? Mais surtout il faut utiliser le train. On ne sait pas comment ils forceront la SNCF, et ses futurs concurrent,s à faire passer plus de trains entre des petites villes alors que la tendance est à la suppression de ces lignes dites non-rentables.

 

 

Le maintien et le développement du ferroviaire n’a pas que des visées durabilistes. En effet, derrière ceci se cache la volonté de rester relier aux grands réseaux européens.

 

 

3 – Affirmer le rayonnement du territoire

 

En effet, rester connecté aux grands pôles régionaux est une première étape dans la reconnaissance en tant que métropole au niveau du territoire. Boulogne souhaite surtout s’inscrire dans la future grande ligne ferroviaire européenne Londres – Calais – Paris – Lyon – Marseille / Perpignan qui se trouve dans deux axes européens entre le nord et le sud. Boulogne veut intégrer le réseau des pôles logistiques tels que Dunkerque, Dourges, etc. Cette situation de nœud ferroviaire, bien qu’encore lointaine, reste pour les décideurs la première pierre à l’amélioration de l’image de marque du Boulonnais dans la région. Le hub-port servira lui à améliorer le rayonnement de la ville à l’international en faisant de Boulogne une plate-forme logistique de grande ampleur, c’est ce qu’ils disent.

 

Cette amélioration de l’image de marque passera aussi par :

– la venue d’une population plus qualifiée (les turbo-cadres lillois entre autres),

– des activités plus valorisantes (tourisme haut de gamme, recherche dans le domaine halieutique),

– la reconnaissance du territoire dans l’eurorégion formée avec le Kent,

– le renforcement de la recherche et de l’innovation (favorisé par l’installation de cadres venus d’ailleurs et la création de filières d’études fortement diplômantes),

– la généralisation sur l’ensemble du territoire de l’accès au haut-débit et la multiplication des services en ligne (encore faudrait-il que tout le monde ait un ordinateur et un accès à internet).

 

L’image de marque de la ville est à ce point importante que, comme toute bonne société privée, la mairie de Boulogne a décidé de créer sa propre marque : « b comme Boulogne-sur-Mer ». Le lancement a eu lieu sous les ors de la mairie le 1er avril 2014. Tout le gratin était présent.

C’est ici bien sûr le tourisme qui est visé en premier par la création de cette marque et de ce logo. Il peut être utilisé par des partenaires de la commune (commerçants ou autres) en faisant une demande à l’office de tourisme. Quand les communes se prennent pour des entreprises cela n’annonce pas que des lendemains qui chantent.

 

 

Ainsi le SCOT planifie l’avenir de milliers de personnes, travailleurs, chômeurs, sans leur demander leur avis bien sûr. Car même si le syndicat mixte se targue de laisser la parole aux premiers intéressés, bien peu d’habitants ont eu l’occasion d’être réellement informés des tenants et aboutissants de ce projet. Ce nouvel aménagement de nos vies par la modification, entre autres, des espaces urbains fait partie d’une longue série de projets qui essaiment à travers le pays et en Europe. L’uniformisation de nos villes est en route. Moins de solidarité entre les voisins, de plus en plus de mesures pseudo sécuritaires, l’économie qui régente de plus en plus nos modes de vie, nos habitats.

 


Notes : 

[1]     L’intégralité du SCOT est consultable ici : http://www.scot-boulonnais.fr/index.php

[2]     Pour plus d’informations : http://www.boulogne-developpement.com/

[3]     Pour plus d’informations voir La Mouette Enragée n°30,

[4]     La Mouette enragée. Fortunes de mer.

[5]     In Projet d’Aménagement et de Développement Durable. p. 34

 

 

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