Retour sur un procès

Retour sur un procès

Capécure :

des peines exemplaires pour avertissement à la classe ouvrière

Mardi 6 juin, après un report de 13h30 à 16 h, six ouvriers de Capécure ont été jugés au TGI de Boulogne, suite à leur interpellation aux dernières heures de la nuit de cache-cache avec les flics le 23 mars dernier.

Le 23 mars, donc, une énième grosse manif en ville contre la réforme des retraites est prévue à 9h30. Des militants entament tôt dans la nuit un jeu du chat et de la souris avec la police déjà sur place. Quelques feux allumés à des rond-points, arrivée des troupes outillées, courses-poursuites, etc. Le matin levé, on apprend qu’une dizaine de personnes ont été embarquées et une blessée.(1) Trente heures de garde à vue à la clef.

Six ouvriers de Capécure sont finalement mis en cause pour « participation à un attroupement en étant porteur d’armes avec dégradations de biens publics et violences volontaires sur fonctionnaires de police dans l’exercice de leurs fonctions. » Lesquels se constitueront partie civile ; Darth Vader a eu peur et ne s’est pas remis, comme d’hab.

Les prévenus comme on dit, sont des ouvriers qui quittaient ou allaient prendre leur poste dans l’une ou l’autre boîte du quartier ( Findus, Mowi, Continentale ). S’ils reconnaissent s’être trouvés sur les lieux, tous nient formellement avoir agressé sous quelque forme que ce soit les forces de l’ordre. Leurs casiers judiciaires sont vides, hormis peut-être un joint fumé il y a des années… Ils ont entre 29 et 57 ans et des années de boîte ( 36 pour l’un d’eux ).

Le fond

En bonne justice routinière déconnectée de la réalité sociale, l’affaire est traitée comme une ixième histoire de droit commun. Or tout montre, depuis l’interpellation jusqu’au verdict qu’on est en plein débat d’ordre politique, les injonctions du maintien de la « paix sociale » édictées par l’État tenant lieu de « justice » ; les condamnations, notamment issues de la répression des Gilets jaunesen particulier faisant jurisprudence.

D’emblée, dès lors que des individus comparaissent au tribunal suite aux rixes avec une police provocatrice, laquelle peut arrondir ses fins de mois au passage, ni le contexte, ni les motivations des « individus » ne sont prises en compte.

En effet, pour commencer, les forces de l’ordre étaient présentes et « attendaient » les ouvriers sur le lieu de lutte névralgique de Capécure. Cela signifie que le projet de loi ‒comme le montrent ces mesures d’anticipation de sa contestation ‒cible au premier chef la classe ouvrière. Nous ne sommes donc pas dans de la prévention et de la répression relevant du délit de droit commun mais dans le cadre d’une intimidation sociale. Ensuite, tout était en place pour dissuader ‒sans trop de peine, disons-le ‒la manifestation de venir renforcer les blocages épars des « fouteurs de bordel » noctambules. La dissociation des manifestants pacifico-légalistes des « émeutiers marginaux » étant ainsi assurée. Enfin, ce délitement, pour peu ou prou que la solidarité fût tangible à un moment quelconque du mouvement, a été pleinement assumé voire revendiqué par l’intersyndicale à l’exception notable de l’UL Solidaire (2). Trois des travailleurs poursuivis sont syndiqués à la CFDT. Nous ignorons le rôle joué par l’organisation syndicale dans l’affaire, mais reconnaissons au moins sa grande discrétion.

Ainsi, les camarades sont allés seuls devant les juges, démunis.

Le procès

L’audience s’est déroulée « normalement », c’est-à-dire en en respectant les règles de base et la procédure idoine.

Chacun a joué son rôle : les ouvriers en colère ont été traités en délinquants ; le procureur a requis six mois avec sursis et 500 € ; l’avocate des parties civiles a réclamé 1000 € par partie plus 800 € par tête de flic, indemnités procédurales comprises ; les avocats de la défense ont… défendu professionnellement leurs clients.

L’une d’elle a justement relevé que les six personnes avaient été arrêtées au pif . Les gars ont été serrés vers 7h20, ils ne pouvaient être là en période de caillassage des gyrophares. Des ouvriers de chez Findus et d’autres boîtes en sont témoins.

Par ailleurs, ni les caméras des flics, ni celles dédiées à « la sécurité » de Capécure ne fonctionnaient ( Aliens complices ? ). Quant aux photos, elles ont été prises a posterioripar la police et ne montrent que dalle.

Enfin, il a été sous-entendu par le président que les ouvriers avaient peut-être picolé et, dans l’enthousiasme désinhibant… On dirait une explication patronale d’accident de travail d’avant l’alcootest ! Une idée en l’air, sans aucune justification là non-plus.

Tous ont reconnu leur présence sur les lieux, mais le procureur a considéré que les policiers avaient « un discours concordant sur les agissements des prévenus . »

Les avocats de la défense ont donc logiquement demandé la relaxe.

Pourtant, le tribunal suivra les réquisitions du procureur, coupera la ( très grosse ) poire en deux sur le côté portefeuille. De plus les condamnés sont de plus interdits d’une quelconque infraction pendant cinq ans !

Beaucoup, de toutes les parties comme dans le public, ont senti planer l’ombre des Gilets jaunes.

Tous ensemble ?

Les faits, le contexte dans lequel ils se sont déroulés et le verdict ont un air de déjà-vu. En effet, tout cela s’inscrit dans un registre désormais arbitrairement classique : destruction d’une conquête sociale ‒calibre 49.3 ‒ ; criminalisation des opposants ; victimisation du corps de répression ; éclipse du fond politique en le judiciarisant.

En l’occurrence, à Boulogne, ça n’a pas été très difficile.

D’abord parce que la sphère militante n’a que très peu réagi. L’annonce des interpellations a été faite en fin de manif et, comme on le sait, n’a guère inspiré de soutien chez la plupart des organisations syndicales, non-plus chez la multitude sans macaron. Des raisons internes aux appareils ont sans doute joué mais c’est surtout la posture de « corps intermédiaire » qui a prévalu : nous négocions. Fermement. Et puis, conséquemment, l’éternel maintien de la paix sociale est de rigueur. Or, il en reste d’aucuns, dont sont les quelques dizaines de « bloqueurs », qui considèrent que « sans justice sociale, pas de paix sociale ! »

Ensuite, parce que la faiblesse du soutien de la sphère militante locale, là encore représentée nationalement, cantonnée dans un registre de démerde interne et de course à l’échalote inévitable ‒ en fait construite ‒ dans la période n’a pas été fichue de faire de l’agression bourgeoise un objet politique pur.Purdans le sens de l’inaliénabilité de la lutte des classes. Seuls deux tracts (3) établis sur ce minimum du combat capital/travail ont circulé le 23 mars.

Pour terminer, après la GAV, les camarades ont dû se démerder avec leurs chefs d’inculpation. Et subir.

Dommage qu’autant de manifestant.es ( 10 000 ‒ 100, donc ) les aient considérés déjà coupables d’être des individus violents, donc contre la doxa revendicatrice locale, alors qu’ils se voulaient juste des ouvriers combatifs.

Un signal clair

«C’est la première et dernière fois de ma vie que je bloque un rond-point. Je venais me battre pour ma retraite, pas pour me retrouver ici ( au tribunal ndr ) »

Ces quelques mots sont relayés par La Voix du Nord. Le journaliste y voit des regrets. Nous ne faisons pas la même analyse. Ces mots traduisent la peur et la soumission dans lesquelles l’État et son patron l’ont enferré. Il sait désormais ce qu’il en coûte de s’opposer au diktat du premier et de jouer les rebelles sur les terres du second.

Des jugements comme celui-ci, il y en a depuis des années. Dès que la classe ouvrière tente de résister à l’emprise du patronat, elle doit savoir que ce dernier fera systématiquement appel à ses pairs de classe, via les relais préfectoraux et locaux. Ces derniers diligenteront leurs nervis pour dézinguer et coffrer ses militants. Un tribunal indépendant se chargera de les ramener à leur condition de citoyen silencieux et de salarié pénitent. Une classe sage.

« On a servi d’exemple » dit un autre. Il n’est pas dupe de la volonté de la classe dominante de casser dans l’œuf toute velléité d’opposition. Il sait aussi que ses bras sont la source de la puissance de ceux qui possèdent son outil de travail.

Tous deux, les six et tous les interpellés enragent d’être traités comme la valetaille qui doit faire acte de soumission à la bourgeoise.

La dépolitisation est une source majeure de cet épisode. La classe ouvrière peine à se reconnaître comme telle. Les partis de gauche ou de n’importe quoi ont renoncé à la Révolution ; les syndicats à l’émancipation des travailleurs.

Nul ne tente d’analyser les décisions de justice en terme de classe. La lutte est considérée comme un trouble à l’ordre public. De quel trouble et de quel ordre parle-t-on ?

Le trouble, c’est la résistance à l’iniquité d’une bande de politicards serviles avec les puissants et ignobles avec les faibles. Que ceux-là, celles-là se sentent forts et unis et c’est l’ordre bourgeois qui est menacé.

Nous avons publié nombres de communiqués depuis des semaines relatifs à des militants en lutte. Quelque fois, l’un de ceux que le Capital et l’État pensaient avoir tué se relève et se bat.

N’attendons pas.

(1) voir :23 mars à Boulogne : Trois temps, deux mouvements.

Publié le 25/03/2023 par La Mouette Enragée

(2) Non, les militant.es de La Mouette enragée ne sont pas inconditionnellement encarté.es chez Sud !

(3) Celui du PCRF et le nôtre

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