23 mars à Boulogne : Trois temps, deux mouvements.

23 mars à Boulogne : Trois temps, deux mouvements.

Retranchée à Paris depuis deux mois, une poignée de factieux radicalisés de l’Ultra-Centre a pris en otage des millions d’exploités sur tout le territoire. A Boulogne-sur-mer comme partout ailleurs, les travailleurs ne cèdent pas au syndrome de Stockholm. Retour sur les dernières actions et réactions en date …

23 mars, 4 heures du mat’. Une trentaine de personnes se retrouvent à un rendez-vous à Boulogne nord à l’initiative de l’intersyndicale. Parallèlement des ouvrières et ouvriers de Capécure entament dès 3 heures-3 heures 30 le blocage du rond-point du casino, et de ceux des entreprises Demarne et Maes. Nous arrivons à  La Glacière, il est 4 heures 30. Quelques habitués sont sur place, chez eux, chez nous. On a aperçu des fourgons bleuis de gyrophares qui pointent au bout de la rue et vomissent leur fret d’agents patibulaires  couverts de plexiglas et d’objets contondants. Pas le temps d’allumer un briquet qu’ils se ruent sur nous. Direct. Comme ils viennent sans doute de le faire sur les autres positions.

La meute et les renards

Non sans avoir fait comprendre qu’il n’était pas intimidé ‒ passons le vocabulaire fleuri d’usage en pareille circonstance ‒, le petit groupe se fond dans la nuit complice pour rejoindre un autre rond-point où des camarades ont eu le temps d’ériger des barrières et allumer des feux dont le bilan carbone, reconnaissons-le, ferait passer Patrick Pouyanné pour un Ami de la Terre ; rappelons toutefois que celui-ci fait faire le sale boulot par d’autres qui, eux-aussi, en ont marre de lui raffiner la vie pour des cachous.

 

Les CRS fonctionnent au GPS – ou, guerre en Ukraine oblige, à la carte Michelin ? ‒ et ne reconnaissent le quartier qu’aux signaux de fumée. Par ailleurs, Capécure est un territoire de plus de 150 hectares  où se mêlent concentrations d’entreprises, friches, bâti neuf et ancien, chantiers ( sources précieuses de matériaux utiles à la légitime défense des travailleurs agressés ) et un réseau de communication agencé pour l’exportation, enjeu primordial de la circulation de la marchandise. Ils sont une compagnie à jouer au pacman dans le labyrinthe.

Les exploité.e.s connaissent précisément les lieux et en tirent profit pour faire durer un conflit asymétrique ingagnable… pour l’instant.

La tactique est simple : rendre impraticables au mieux les rond-points, le plus vite possible. Et ce petit jeu dure le plus longtemps possible. Un handicap majeur : le nombre de volontaires sur le terrain. Au plus fort de l’action, nous étions peut-être plus près de cent que de deux cents, pratiquement jamais ensemble. Les seuls maigres renforts possibles ; les ouvriers et ouvrières en fin de poste qui viennent se joindre aux grévistes et autres perturbateurs.

Le dernier rond-point est abandonné sur le coup de 10 heures ; bilan des pertes : une dizaine de GAV et un blessé. 10 heures : top départ de la manif intersyndicale.

Des sous-fifres et des hommes 

Enjoué, dense, hétéroclite, le défilé s’est déroulé comme un tapis rouge. Bien que légèrement passé tant on s’est essuyé les pieds dessus depuis quelques temps, il a fait son usage : guider la foule jusqu’aux félicitations d’une sous-chefferie syndicale auto-satisfaite de cette « civelléité », mais aussi d’accorder un peu de calme à la sous-préfète, qui devra expliquer en haut-lieu qu’il aura fallu six longues heures à une compagnie professionnelle de la République pour empêcher du caoutchouc, du bois, du plastique, du goudron, du plâtre, de la ferraille et même une remorque de partir en épaisse fumée noire ; noire de la peine des hommes qui – ça devient une heureuse habitude ‒ ont transpiré d’une même sueur et pour leur propre peau dans un jouissif esprit d’émancipation.

Mais même les pires choses ont une fin et après un instant suspens de fin de jeu TV, c’est officiel : on était 10 000 ! Jubilation générale. Silence micro. Puis…

Puis, aveu déchirant tant il est forcé – allez pousse ! ‒ de la CGT que quelque dix dépacifiés s’étaient fait enchrister et un autre démolir. Et Monsieur Loyal (!) de demander à l’assistance de… les applaudir ! Cynique. D’autant plus que la nouvelle était connue depuis le retour de Capécure. La FSU a d’emblée refusé de cautionner les dégradations, toute non-violente qu’elle se veut comme la plupart des sous-fifres des appareils inter-syndiqués. Violence dites-vous ? Comme si Darmanin était la réincarnation de Lennon et Macron un avatar de Gandhi ! Ne nous prenez plus pour des cons ! Les gardiens de l’ordre capitaliste c’est vous ! Les flics, avec qui vous devisez volontiers, ne sont que le corps intermédiaire de la violence institutionnelle que vous nommez citoyenneté.

Troisième mi-temps

Nous sommes obligés d’insister, relayés par des jeunes pour descendre au commissariat soutenir les camarades en GAV. Une petite centaine peut-être pour cette dernière « incivilité » de la journée. Arrivés sur place, tout s’est passé très vite : gazage, charge, repli.

C’est en se retrouvant en centre ville, dans la rue au bistrot… que l’on soupèse le mieux la récolte sociale et politique de la journée.

D’abord, le constat que 49.3 ou pas, les 64 ans, c’est non. Ensuite, que les 64 ans, on s’en fout. C’est toute la question du travail, de la répartition des richesses, de l’exploitation qu’il faut mettre sur la table et qu’il n’est plus question de quémander quoique ce soit. L’héritage du credo Gilets jaunes refait surface régulièrement dans la conversation. Le rôle, la responsabilité, l’immunité de la police et de ceux qui la couvrent commencent à soulever des questions, y-compris chez des personnes acquises à la police protectrice et dont c’est la première manif. En voyant passer des gardes mobiles en tenues mais pas en service, on entend parler de chasse aux migrants. Enfin même le mot « insurrection » a été, calmement, en terrasse, prononcé… Ici comme ailleurs, l’espoir d’un mouvement social semble se concrétiser. Mais avec quels moyens ?

Chez les militants de la première heure c’est ad nauseam que l’on ressasse la superficialité comme les arrière-cuisines de l’intersyndicale. 

Des syndiqué.e.s de base essaient certes de se structurer autour d’actions communes, mais ne disposent ni d’un dispositif ou d’un lieu propice à une organisation concertée et conséquente ni des moyens de contact, d’expression ou les relais que se réservent leurs hiérarchie. Le prolo de base est une chair à produire pour les patrons et une voix à donner lors des scrutins quels qu’ils soient. 

Si les appareils politiques et leurs valetailles partenariales jouent au tir à la corde, laissons-les faire et attendons que la corde lâche.

 Qu’on réinvente nous-même nos vies et enfin ! On passera à autre chose.

Boulogne-sur-mer, le 24/03/2023

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