La fin du commencement

La fin du commencement

Le défilé du samedi 11 février est particulièrement riche en enseignements au-delà des traditionnels constats. On ne peut cependant pas ne pas s’arrêter sur la photo du cortège. Le départ depuis la mairie se voulait « un symbole démocratique et il faut rappeler que monsieur Cuvillier, du temps où il était ministre, a appelé à voter pour le président actuellement en place. La ville appartient à ses habitants. Il est temps de redonner la rue au peuple » assène dans La Semaine dans le Boulonnais la porte parole de la CGT. Et d’ajouter que si l’accès aux ponts a été autorisé par la sous-préfecture, « ce n’est pas sur que le cortège l’emprunte. » 

Un seul flic vous manque…

…et tout est repeuplé. En effet, les ( disons 5000 ) manifestants ont eu la surprise de ne voir aucun flic ni sur les ponts Marguet et de l’entente cordiale, ni à la CAB, ni sous les pavés. Peut-être sur la plage ? Quésaco ?

Alors que la manif précédente avait été interdite de départ sur la place de la République (!), que lesdits ponts étaient scrogneugneusement défendus par une poignée de « bleus », voilà-t-il pas qu’en ce 11 février c’était accès libre, et il n’est venu à l’idée de personne d’enfoncer cette porte ouverte… Que diable les organisateurs  représentatifs de la manifestation ont-ils pu transiger avec la sous-préfète, dépositaire de l’autorité de l’État ? Quel deal ? Quel partenariat ?

Sans doute l’inévitable clause dite « pas-touche-à-Capécure » ; on se demande bien pourquoi puisque depuis la première manif, nul ou presque n’a osé y entrer. Le respect de l’ordre établi ? La tête locale de la CGT, de la FSU et autres négociants en paix sociale se targuent d’avoir toujours organisé des actions pacifiques – même si quelques vieux militants de base auront vraisemblablement quelques souvenirs autres. À moins que ce fût un accord tacite d’autorisation de redécorer ( à l’adhésif ) la vitrine de Jean-Pierre Pont, ce qui fut fait…

Mais restons sérieux, il ne s’agit vraisemblablement que de calmer les esprits d’un côté, de démontrer que les manifestants sont des gens responsables de l’autre ; bref, de donner l’assurance qu’une manif bien « drivée » est un pare-feu à la guerre de classe.

Une foule qui tourne…

Il faut reconnaître par ailleurs que l’initiative d’un cortège le samedi est positive. D’une part parce que si cela peut permettre de se compter, c’est aussi l’occasion de (re)tisser des liens au-delà des corporations et de l’inscription syndicale, ou autre ou pas. Et donc, d’autre part, de mesurer le rapport entre les forces en présence et leurs positions respectives.

Du côté de l’État/patronat, c’est le jusqu’au-boutisme sur les soixante-quatre ans contre quelques miettes sur une pénibilité définie sous les lambris dorés des palais ministériels, les carrières longues et autres paravents aux années de vie perdues totalement étrangères à la perception réelle du travail plébéien. Dans le camp des travailleurs, la multiplication des secteurs de production et des tranches d’âge de la population concernée ou solidaire et un champ de revendications qui dépasse celui de la retraite est en train de sourdre.

C’est ainsi que l’on a pu noter, outre les boîtes et salarié.es engagés depuis le début, la représentation remarquable du secteur Transport-logistique. Bienvenu également le contingent d’agents territoriaux, les camarades qui se coltinent nos déchets ‒ dont le rôle social enfin reconnu pendant les confinements !

Enfin la présence de quelques lycéens qui ne laisse en rien augurer d’une mobilisation comme en 2016 notamment, mais laisse entrevoir une conscience des enjeux plus larges qu’on ne le croirait.

…mais qui grince

Plus bruyants qu’à l’accoutumée, les travailleurs réunis ce jour-là se laissent aller à leurs ressentiments. On ne reviendra pas sur « désert des Tartares » qu’est devenu Capécure ; par contre, chacun.e a conscience que les conneries théâtralisées à l’Assemblée nationale risquent fort d’être contre-productives, faute d’aborder frontalement la question globale du travail. Il est vrai que la bourgeoisie au pouvoir ou celle qui y a été, les nouveaux venus comme les vieux carriéristes, la majorité comme l’opposition en passant par ceux qui se tâtent ou qui négocient leur ralliement, qui de ces pantins a-t-il du souci à se faire pour ses futures conditions de vie ? Pas de démagogie là-dedans ; les propos dans le cœur du cortège dénotent tantôt un début de résignation, tantôt une pulsion d’en découdre. La rue est à nous, mais on n’aura bientôt plus que ça ! 

Pourtant, à l’arrêt Place Dalton, un camarade de Solidaires a bien tenté d’appeler à une assemblée générale le lundi suivant. C’est toujours ça, mais on ne fait pas une AG sur invitation syndicale. L’AG est un instrument de travailleurs et de travailleuses inscrits dans la lutte, solidaires et décisionnaires des buts et des moyens. Et la manif est un espace pour faire connaître et étendre la lutte, mais…

Un dernier tour de piste

Lors de la dernière manif du 16 février – l’« AG » du lundi s’étant finalement traduite par une intersyndica-a-a-a-le ‒ entre deux et trois mille personnes se rencontrent. Là encore, au « noyau dur » se joignent, selon une sorte de turnover du monde du travail désormais rôdé, des salarié.es en nombre des secteurs de l’énergie ( électrique notamment ). 

Un Parti Socialiste, heureusement has-been, est venu voir, tester l’opinion sans-doute…

En fin de parcours, rendez-vous est donné par la CGT à un p’tit déj’ pour le 18 février. Encore un petit matin sans du Grand Soir ? Bien des rencontres de camarades ayant renoncé aux manifestations sans but ni lendemain nous disent que seule la « grève générale » ; la « prise » des secteurs de l’énergie, des transports et des communications ; la paralysie de l’économie permettra d’inverser le rapport de force. Il est certain que cela ne pourra déboucher que sur un affrontement avec l’État et le patronat, une dangereuse association de malfaiteurs avec des moyens financiers, des armes, des services de renseignements à l’œuvre en permanence et qui revendique sa violence comme légitime alors qu’elle n’est que légale. Il nous faut donc nous préparer à entrer dans une phase de lutte de longue haleine, sans chaperons, sans concessions, sans limites.

Si nous perdons encore sur cette loi inique, le reste passera : la fin de la sécu, la privatisation généralisée, la suppression du SMIC, la libération des prix, l’autorisation de mise sur le marché n’importe quelle saloperie lucrative… Le contrôle et la  répression seront érigés en système. 

Paranoïa ou lucidité ?

Une bonne partie de ce programme est déjà de rigueur.

Battons nous !

Boulogne-sur-mer, le 18/02/2023

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