Pôle de métropolisation, projet « Axe-Liane”, opération “Façade Maritime »… L’ aménagement du territoire, ou … « Pour qui coule le béton ? »

Pôle de métropolisation, projet « Axe-Liane”, opération “Façade Maritime »… L’ aménagement du territoire, ou … « Pour qui coule le béton ? »

 

A leurs époques respectives, Rosa Luxemburg et Henri Lefebvre pensaient chacun à leur manière que le capitalisme ne se survivait que grâce à la production de lespace. Aujourdhui encore, David Harvey défend cette thèse. Celle dune forme renouvelée dimpérialisme qui trouve des débouchés temporaires à la crise de suraccumulation du capital dans l aménagement « spacio-temporaire » (1). Il est incontestable que depuis les mégapoles internationales jusquaux abords des agglomérations les plus anonymes, la fièvre urbanistique est virulente. Et en période de crise, ses effets sur les catégories sociales impliquées se montrent le plus souvent dissolvants, voire funestes. Mais qui décide et qui profite réellement de ces projets ? Afin dy voir plus clair, nous vous proposons un rapide tour de la question à partir des plans daménagement que lon déroule actuellement sous nos yeux

 1 – Genèse dune phénomène.

Le terme de « capitalisme foncier » caractérise assez bien le modèle de développement apparu d’abord aux États-Unis dans les années 60, puis en Europe. Il se propagera par la suite au delà de ces frontières, essentiellement en réponse à la crise de valorisation que rencontre le modèle fordiste dès les années 70. A cette période, les capitalistes sont confrontés à une profonde crise de l’accumulation. Occasionnée notamment par les offensives ouvrières des années 60/70, ils y répondront en restructurant et délocalisant l’appareil de production dans des pays à bas coût de main d’œuvre. Cette riposte leur permettra, du reste, de réaliser un joli doublé.

 

Tout d’abord, en anéantissant dans les forteresses industrielles les formes traditionnelles et intégrées du vieux mouvement ouvrier. Et en portant, au passage, un coup décisif à l’insubordination des jeunes prolétaires américains, italiens, anglais… bien moins disposés à perdre leur vie à l’usine que ne le furent, à leurs yeux, leurs aînés. Puis ensuite, en récupérant ces immenses territoires industriels et leurs périphéries laissés vacants. Au besoin, en repoussant plus loin encore les populations anéanties socialement qui hantaient encore ces espaces dorénavant promus à de juteuses entreprises spéculatives…

 

Les premiers artisans de ce phénomène d’urbanisation du capital seront les promoteurs financiers secondés par les banques. Dès cette époque, ils envisagent l’immobilier comme le ressort d’une croissance qu’ils rêvent de facture post-industrielle. Du moins, pour ce qui concerne le cœur historique du capitalisme mondial, l’Europe de l’Ouest et les États-Unis. Une première précaution sera d’envisager les pratiques mises en œuvre dans ce but, plutôt comme un ensemble de tendances, que comme un tout parfaitement homogène. Comme nous allons le voir, au fil du temps, les processus se sont sophistiqués, l’éventail des acteurs s’est élargi. La forme que revêt actuellement, la « métropolisation », n’est pas un aboutissement. C’est une étape d’un processus global que le géographe David Harvey définit comme une dynamique de concentration démographique et géographique répondant au besoin du capitalisme d’écouler le surproduit qu’il génère. Autrement dit, il s’agit d’un mode de production capitaliste de la ville et de l’espace qui reconfigure les rapports de classe sur un territoire donné. Il en accentue la spécialisation et pousse à la tertiarisation des activités.

 

Avec les banques et les marchés financiers à la manœuvre dans cette fabrication capitaliste de la ville, les rendements élevés et rapides escomptés sont au rendez-vous. Une flambée spéculative internationale parviendra, pour un temps au moins, à compenser le ralentissement entamé plusieurs décennies auparavant dans le secteur manufacturier. Les krachs boursiers des années 2000 révéleront la profondeur d’un phénomène d’accumulation colossal de capital fictif reposant essentiellement sur la maximisation de la rente foncière et immobilière. Le pari perdu d’une suraccumulation de capital supposée se diluer dans le « temps long » propre à l’activité du secteur immobilier ne servira naturellement pas de leçon. Depuis, les affaires ont repris comme si de rien n’était… (2)

La rente foncière, un outil de modélisation des villes et de spécialisation des espaces.

Une observation attentive effectuée lors d’une escapade dans n’importe quelle ville de n’importe quel pays de la vieille Europe, procurera ce sentiment d’un espace urbain re-dessiné partout à l’identique. Cette sensation de « pareil au même » ressentie le long des quais de Liverpool où de ceux de Bilbao, dévoile l’obéissance diligente aux standards de l’ordonnancement urbain. Bien évidemment, cette uniformisation n’est pas le fruit, à elle seule, de la morne fantaisie des promoteurs et des architectes. Elle est d’abord l’incarnation du produit de la rente foncière, la matérialisation du taux de sur-profit que ses destinataires envisagent d’engranger à chaque lancement d’un nouveau projet. Et des projets tous semblables les uns aux autre, les aménageurs en ont des cartons pleins…

 

La définition élémentaire de la rente foncière, telle qu’elle s’applique au secteur de l’agriculture, repose sur les différences observées entre les sols, leur fertilité et la distance qui les sépare des centres de la consommation (3). La rente foncière implique l’existence d’une classe de propriétaires, ou plutôt d’un rapport de propriété foncière. Le niveau de la rente dépend du prix de la production et du profit qu’il permet de réaliser à partir de celle-ci. En zone urbaine, des mécanismes identiques, quoi qu’un peu plus complexes, s’appliquent à sa réalisation. On y retrouve à l’œuvre un segment particulier de la bourgeoisie qui associe en règle générale : un promoteur immobilier passant commande d’un édifice à un entrepreneur du bâtiment afin de le revendre ou de le louer, à une clientèle bien spécifique.

 

Dès lors, on comprend comment la rente foncière aura pour effet de produire à la fois la spécialisation et la modélisation des espaces. A un certain type de sol, correspond un cadre bâti particulier, déterminé par la seule recherche du profit. On saisit d’autant mieux la raison pour laquelle les initiateurs des projets engagent partout une lutte intra-urbaine contre les habitants des quartiers populaires afin de s’approprier les territoires et détruire au passage certains modes de vie.

 

La règle en application veut que la « rente annuelle fixe le prix du sol ». Le taux de profit qu’elle promet de dégager influera donc sur la nature des investissements que choisiront de réaliser les promoteurs assistés en cela de leurs relais politiques locaux : immobilier d’affaire ou d’entreprise, logement de standing, infrastructures de transports, etc. Dans cette logique, à coût de production égal, le rapport au mètre carré bâti sera aisément supérieur selon qu’une population spécifique ou une activité de production ou de services valorise l’espace en question. Prosaïquement, l’immobilier sorti de terre dans un quartier où s’installe la bourgeoisie, là où s’élèvent les buildings commerciaux et serpente la voie rapide, généreront des sur-profits captés par les propriétaires fonciers sous la forme de prix du sol, dont le rapport à la vente ou à la location sera sans commune mesure avec ceux empochés dans les zones prolétarisées.

 

De cette division économique et sociale de l’espace et de la spécialisation des sols qui l’accompagne, découlera une évaluation des investissements réalisés. Les effets et les conséquences observées en un lieu précis serviront ensuite de modèle à des fins d’imitation et de reproduction du même schéma en d’autres lieux.

 

Il est particulièrement intéressant de constater sa diffusion par delà les limites urbaines. C’est ainsi que l’on observe à la lisière des villes, pousser des constructions à l’endroit même des terres initialement dévolues aux cultures agricoles. Ce phénomène termine d’épuiser ce qu’il reste de « campagne ». C’est en quelque sorte un fait inévitable puisque le rapport du sol à bâtir y est supérieur à celui des terres destinées à l’agriculture. Voilà la raison pour laquelle un cadre bâti de bon rapport mais de bien piètre acabit se substitue chaque année d’avantage aux terres arables, mitées telles de vieilles guenilles …

 

Quest ce que la politique de métropolisation ?

Ce rôle dominant des marchés dans le fonctionnement économique, politique et social des territoires s’incarne dans la politique de métropolisation. Un phénomène qui associe financiers, patrons et politiciens dans une démarche commune d’appropriation et de contrôle des espaces au cœur d’un capitalisme globalisé. La métropolisation témoigne d’une mise sous tension des territoires sous l’effet conjugué d’un mouvement simultané de concentration et de déterritorialisation des lieux de pouvoirs et de décisions. En réalisant en certains lieux stratégiques des « enclaves métropolitaines », la bourgeoisie re-dessine la ville à son profit en l’intégrant au réseau mondial des « pôles de mondialité » que sont, en Europe : Londres, Paris, Francfort, Milan ; en Amérique : New-york, Philadelphie, L.A, Mexico et en Asie : Tokyo et Pékin.

 

La métropolisation est l’allégorie urbaine d’un système qui désormais s’envisage lui même comme multipolaire. Un capitalisme qui accouche de cités idéales à ses yeux et reliées entre-elles : les « World-Cities ». Des métropoles érigées en pouvoirs économiques et politiques susceptibles de jouer d’influence auprès des puissants de ce monde, et pourquoi pas de se substituer à eux quand précisément se redéfinit le rôle de l’État. Des entités qui s’ autonomisent pendant qu’elles valorisent l’espace urbain, c’est à dire, qu’elles l’exploitent à part entière. Tout comme l’est n’importe qu’elle unité de production de biens manufacturés, la ville du réseau global est désormais soumise à la spécialisation, à la maximalisation de ses potentialités afin de rivaliser avec ses concurrentes et dégager de la sur-valeur. Cette compétition entraîne le développement d’une hiérarchie en cascade. Une multitude de régions et de villes subalternes n’attendent que de s’intégrer à un échelon intermédiaire de la chaîne, de se soumette au rayonnement de ces formes renouvelées des « Cités-Etats » de la Renaissance.

 

Le rôle de l’État : la décentralisation

Contrairement à ce qu’énonce la doxa libérale, le marché ne peut se réaliser de lui même. Il est tenu de recourir à l’État pour étendre le domaine de son action aux espaces qu’il aspire conquérir. C’est ainsi que dans les années 80, la France s’est engagée dans une politique de décentralisation. L’État a transféré d’avantage de pouvoirs aux régions et aux collectivités territoriales. En 2010, la loi a autorisé la fusion des communes et permit la création des métropoles. Celles-ci bénéficient depuis des mêmes pouvoirs que ceux qui étaient octroyés auparavant aux départements et aux régions. Ces décisions répondent à la volonté de l’Union européenne de privilégier les grandes régions comme centres de gravité économique et politique, de les faire coopérer tout en les mettant en concurrence entre elles, dans le cadre d’un maillage territorial à l’échelle du continent et au delà. Le plan établit par le président de la région Daniel Percheron siglé des « trois T » : « Tunnel, T.G.V, Tourisme », est une illustration exemplaire de cette politique.

 

Qui fabrique la ville, qui en profite ?

Cette fabrique de la ville se caractérise d’abord par une politique de l’offre. Il s’agit de jouer la carte du charme et de l’attrait. Notamment pour les espaces frappés par la désindustrialisation et qui tentent de conjurer leur agonie en sautant dans le train en marche de la post-modernité urbaine. A ces fins, des investissements massifs sont consentis pour lesquels les politiciens locaux chassent indifféremment la subvention publique ou privée. Par cette porte grande ouverte aux appétits marchands, les technocrates, les multinationales et les promoteurs, prennent le contrôle de l’aménagement du territoire. Le désormais incontournable « PPP », le « Partenariat-Public-Privé », se fait le terreau fertile d’une plus-value qu’engrangent quelques groupe bien connus du BTP et des services. Dans leur laboratoire de prospective, les sociétés Bouygues, Vinci, Eiffage modélisent et recomposent les centres urbains que Véolia, Suez, Kéolis, Nexity et d’autres s’empressent à leur suite d’administrer. Ces solutions « clé en main » séduisent souvent les politiciens des collectivités locales confrontés à l’endettement. Elles permettent en outre à certains d’entre eux de jouer à l’investisseur, estompant par leurs pratiques les lignes de partage entre financement privé et public. Depuis peu, dans l’agglomération boulonnaise, la société Urbaviléo, est une de ces multiples entreprises dites « d’économie mixte » dont le PDG et les membres du conseil d’administration appartiennent tous à la majorité locale en place. Public/privé, est une distinction sans importance en réalité, si ce n’est qu’elle révèle combien l’intérêt dit “commun” se mesure d’abord à l’aune des bénéfices que gratteront quelques-uns … Fonds souverains, fonds stratégiques d’investissement, fonds d’investissement des collectivités locales, etc… témoignent tous au final du même phénomène de privatisation de l’État.

 

II. Exempli gratia : la ville de Boulogne-sur-mer

Afin d’attirer les sièges de quelques groupes d’envergure ou leurs filiales, les plans d’aménagement opèrent tels des produits d’appels. Cette standardisation se matérialise dans l’obéissance aux conventions de genre et à la somme de prescriptions qu’il convient d’appliquer en la circonstance. D’abord, jouer la carte de l’innovation en matière économique en misant sur le « Pôle de compétitivité ». Dans le cas de Boulogne-sur-mer, il s’agit d’« Aquimer » qui associe en pure novlangue managériale : « entreprises, centres de recherche et organismes de formation, engagés dans une démarche partenariale destinée à dégager des synergies autour de projets innovants conduits en commun en direction dun (ou de) marché(s) donné(s) ». Plus classiquement, ce peut être le réaménagement d’une friche industrielle, comme celle de Résurgat, afin de prendre dans les filets les enseignes qui permettront « dadapter l’économie de lagglomération aux évolutions à venir ». En général, les entreprises d’informations et de communication sont parmi les plus courtisées.

 

En parallèle, se ré-organise l’espace urbain. Localement, un projet baptisé « Axe Liane » en expose les grandes lignes. Là encore, ce qui tient lieu de canevas n’est qu’un calque. Comme en d’autres agglomérations, on commence d’abord par aménager de « longs couloirs de promenade », semblables à ceux qui bordent depuis peu les berges de la Liane. On met ensuite en chantier « de nouvelles habitations et des centres commerciaux aux proportions audacieuses », on pense en l’occurrence aux sites « Espace Lumière » ou encore au « Projet Bruix/pot d’étain ». Au cœur de ce plan, trônera ce qui est donné comme son point d’équilibre, l’espace « République – Eperon ». Orné comme il se doit, d’une tour à l’architecture avant-gardiste, il abritera logements de standing, hôtellerie d’affaire, bureaux et commerces. Bien entendu, on privilégiera le style architectural Hightech, là encore, un modèle de normalisation : volumes symétriques, garnitures métalliques, contours épurés, espaces vitrés et teintés… Une signature empruntée à des cabinets de renom, contrefaite au cœur des métropoles, comme au sein des agglomérations les plus anonymes.

 

Marketting territorial et alibi culturel.

La plus part du temps, le volet culturel apparaît comme « le cheval de Troie » de cette stratégie de gentrification. Les besoins de la petite bourgeoisie en terme de consommation culturelle sont important et ils amplifieront les desiderata de la manne touristique initialement convoitée. La requalification du centre Nausicaa en « Grand-Nausicaa » n’est donc qu’une étape, certes importante mais relativement convenue en regard de la transformation attendue de l’ancienne gare maritime. La création d’un musée ou de quelque chose d’analogue dans ses murs, symbolisera la relégation de l’ancien quartier industriel. Économiquement mais surtout socialement, le signal sera donné qu’une page est définitivement tournée. Dorénavant, le balaie des artistes, des expositions et des vernissages effacera toute de trace d’une histoire ouvrière, discréditée, neutralisée, pire, folklorisée et expurgée de sa dimension antagoniste. La région est désormais riche de ces lieux qui s’ouvrent à mesure que recule la production manufacturière : le musée de la dentelle à Calais, celui de la pêche à Etaples, la maison de la faïence à Desvres, le centre historique de la mine à Lewarde, etc. Art et Musées, festivités normées et officielles, « événements » tels « Les Journées de la Mer » à Boulogne-sur-mer, ou « l’Armada » des quais de Rouen travaillent à renforcer l’ image d’une ville en l’associant à un événement particulier. A cet égard, on recourra au marketing urbain afin de se démarquer des villes concurrentes et développer l’attractivité du secteur. Pour accroître son rayonnement au-delà des limites de l’agglomération, la ville développera des stratégies de marque. C’est le cas depuis peu à Boulogne-sur-mer avec la création d’un « logo de ville déposé »…

 

Une besogneuse application de la « gentrification ».

Dans le discours qui entoure ces projets, il est toujours question « dimpulser une dynamique ». Autrement dit, de mettre tout en œuvre afin d’aspirer les strates sociales supérieures qui font défaut à l’agglomération. Afin de décoder ce qui est en jeux, comparons rapidement quelques chiffres. A l’échelon national, le revenu fiscal moyen établi par l’Insee s’élève à 18 355 € par an et le seuil de pauvreté est fixé à 11 013 €. A Boulogne-sur-mer, le revenu fiscal moyen égale les 11 162,8 € et dans certaines zones, comme celle de Triennal, il ne dépasse pas 4000 € … C’est donc à un véritable transfert de population qu’il s’agit de procéder. Dans l’objectif d’attirer l’hypothétique catégorie des « Turbo-cadres » du tertiaire supérieur, qui pour partie résidera sur la côte et travaillera en métropole lilloise, certaines conditions restent à réunir. La première d’entre elles est d’offrir un cadre bâti petit bourgeois et branché à deux pas de leur moyen de transport de prédilection, le T.G.V. Le « Projet Gare » y pourvoira. Il devrait associer plate-forme multimodale et « Eco-quartier ». C’est le volet « ville durable » du projet. Une véritable aubaine pour certains groupes qui se sont fait une spécialité de « la lutte contre le réchauffement climatique ». Ces enseignes proposent aux collectivités locales une panoplie complète de gadgets et de services certifiés écologiques : de la « valorisation des déchets » pour produire de l’énergie, à la « ressourceries-recycleries » en passant par les « façades végétalisées », la « connexion de services entre eux », sans oublier le « parc de voitures électriques », et naturellement le plus juteux, le marché de l’eau et des transports.

 

Le plan de réaménagement du quartier de Transition répète le schéma précédemment décortiqué et revendique ostensiblement de promouvoir la « mixité sociale » ? Qu’est-ce que la « mixité sociale » en réalité ? C’est simplement la petite bourgeoisie dissimulée sous le piteux vocable de « classe moyenne » qui s’approprie les espaces antérieurement populaires ou ouvriers en reléguant l’ancienne population à la périphérie. Sur ce quartier, en particulier, il est envisagé la construction d’un immobilier haut de gamme. Une tour de verre et d’acier, un produit d’appel en quelque sorte, consacrée au « co-working » (!). Elle devra séduire les patrons de « star-tup », les artistes, les entreprises du tertiaire et du secteur médical en leur offrant des « espaces modulables » avec vue sur la mer… Un restaurant de « qualité », doté d’une terrasse panoramique recevra tout ce petit monde en journée. Les noctambules « cultivés », s’y retrouveront tard le soir à la sortie de la nouvelle salle de spectacle que ne fréquente déjà pas la population ordinaire… A deux pas de là, une quarantaine d’appartements de standings également avec vue sur la mer seront mis en vente. Seule la vingtaine de logements restants seront loués à des loyers modérés. On constate au travers de cet exemple l’effet des baisses de l’aide publique au logement. Les bailleurs sociaux se transforment actuellement en patrons de l’immobilier. A leur tour, ils appliquent les logiques de l’entreprise, fixent des objectifs de résultats et réclament des performances. Pour faire avaler la pilule, c’est une autre règle du management que l’on invoque. Celle du soit-disant “usager collaborateur” que l’on associe aux prises de décisions dans une démarche qui se veut commune. En fait, rien de moins qu’une forme parmi d’autres du contrôle social.

 

Comme on le voit au travers de cet exemple, la gentrification n’opère pas uniquement au cœur des grandes métropoles. La destruction des industries et le marasme social qui l’accompagne sont le passeport idéal pour la restructuration de la ville aux conditions de la période. Le rôle des pouvoirs locaux sera de relayer ces projets en se les appropriant. Ils seront pour eux le moyen d’ exister politiquement et de démontrer leur capacité à offrir une voie, une issue, à des cités dans la déshérence au travers de leur action volontariste.

 

On comprend mieux pourquoi, gagner l’adhésion de certaines couches de la population à ces plans d’aménagement – de cette manière neutraliser toute contestation potentielle – est parfois un défi important de l’action des aménageurs. Ainsi, après avoir liquidé les lieux de la production, il faut vider les quartiers de populations dorénavant devenues surnuméraires. Transformer la composition sociale des quartiers, redéfinir « l’identité » sociale de la ville, éliminer toute trace d’ un passé discrédité : exit l’industrie et la classe ouvrière … est un enjeux politique. Et notamment pour ces villes où la gauche fait le pari d’implanter cette nouvelle clientèle électorale sociologiquement plus conforme à ses nouvelles attentes (4).


 

 

(1) David Harvey. Le nouvel impérialisme. Ed. Les prairies ordinaires. 2010, 241 p.

– Rosa Luxemburg. Laccumulation du capital. 1913. A paraître aux éditions Smolny. http://www.collectifsmolny.org/

– Henri Lefebvre. La Production de l’espace. 1974, Anthropos.

(2) La banque mondiale établissait en 2009 que le seul marché des hypothèques résidentielles représentait

(3) Lire à ce sujet : Alain Lipietz. Le tribut foncier urbain aujourdhui : le cas de la France. In Les Cahiers marxistes n°243, février-mars 2013, Bruxelles. http://lipietz.net/IMG/pdf/Le_tribut_foncier_revisite_.pdf

(4) Sur le site de terra nova : Gauche quelle majorité électorale pour 2012. http://www.tnova.fr/essai/gauche-quelle-majorit-lectorale-pour-2012

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Encart 1

 

Homogénéité sociale du corps politique ou la communauté des intérêts particuliers.

 

Rien ne distingue aujourd’hui un programme d’aménagement porté par une municipalité de droite/extrême droite, de celui d’une ville classée à gauche. A tel point que lorsqu’un Roland Castro feint l’indignation et refuse de « travailler avec les enfants de Doriot et Déat », après s’être exécuté pour Pasqua, on se figure toute la tartufferie qui anime le petit milieu (1). Pour autant, l’utopie urbanistique n’a pas disparu. Elle a simplement changé de paradigme. Autrefois portée par l’aspiration à une vie meilleure et adossée à un mouvement ouvrier qui occupait le champ social, politique et culturel, elle participe dorénavant à maintenir l’ordre économique et social en état de vie artificielle.

Une simple étude de la composition sociale du personnel politique explique la communauté d’intérêts qui lie intimement les promoteurs et les relais locaux de ces plans d’aménagement. Les « professionnels de la politique » sont quasi-exclusivement des cadres ou des membres des professions intellectuelles supérieures. Parmi les maires des communes, cette catégorie sociale est cent-dix sept fois plus représentée que celle des ouvriers. Seuls 0,8 % des maires, en France, sont des ouvriers alors que ce groupe y représente encore plus de 23 % de la population active (2).

C’est ainsi que durant les dernières décennies écoulées, un groupe de « spécialistes », de « techniciens », a vu son rôle s’accroître à mesure que les structures intercommunales et autres « établissements publics » se développaient : sociétés d’économie mixte, sociétés publiques locales, etc… Un mouvement conjugué de sélection sociale et de dépolitisation a donc accru la distance qui sépare et exclut la majorité de la population des lieux où se prennent les décisions qui la concerne en premier chef. Dans les agglomérations encore tenues par la gauche, le phénomène est manifeste. Notamment dans les villes socialistes, où une jeune génération de gestionnaires à laquelle appartiennent notamment Johanna Rolland, Jérôme Safar, Nathalie Appéré… passée par Sciences-po et dressée aux règles du management fait de l’aménagement du territoire le marche-pied d’un carriérisme déjà bien engagé (3).

(1)Notons que depuis trente ans, ces projets – culturels, financiers, d’aménagements, ou autres… – ont ouvert les voies de la reconversion à toute une génération d’ex-gauchistes, le plus souvent d’ anciens staliniens qui sévissaient dans les groupes maos, tels la G.P, le PCMLF, VLR, on en passe et des pires… Roland Castro est un de ceux-là. Il est également l’artisan de la rénovation du quartier de Triennal à Boulogne-sur-mer. Lire ou relire à ce propos : Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary. Guy Hocquenghem.Ed. Agone. Ce livre retrace avec ironie la carrière, jusqu’en mai 1986, des gauchistes de Mai 68 qui ont trahi, par opportunisme, l’idéal de leur jeunesse.

(2) Source Michel KOEBEL / Répertoire National des élus.

(3)Passés par Sciences-Po et politiquement indigents. Ceci expliquerait-il cela ? Une chose est certaine, Johanna Rolland devra rapidement passer aux exercices pratiques afin d’opérer la retraite ordonnée que la défaite incontestable subie par son prédécesseur à Notre-Dame des Landes lui intime désormais …

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Encart 2

 

Qu’est-ce que le « Pôle métropolitain » de la côte d’Opale ?

Nous serions tentés de répondre ironiquement « un fauteuil supplémentaire pour certaines personnalités déjà bien assises »… Plus sérieusement, c’est l’échelon auquel s’organise dorénavant la prise de décision économique et politique dans le cadre de la nouvelle division internationale du travail. Les métropoles concentrent en leur sein toute la qualification nécessaire à une économie mondialisée qui tout les connectant, place les régions en concurrence entre-elles. Ainsi, le « pôle métropolitain » de la côte d’Opale consiste à mettre la façade maritime et ses trois ports littéralement à la remorque de la métropole Lilloise, authentique centre de décision économique frontalier. En quelque sorte une forme renouvelée de vassalité territoriale propre à notre époque « d’Europe des régions ». Depuis que des experts leur ont soufflé à l’oreille que le territoire n’était exploité qu’à 30 % de ses potentialités, le patronat et les politiciens escomptent faire de la zone, rien moins que : « le centre logistique de l’Ouest européen ». Il leur suffira pour cela d’unifier les trois ports Dunkerque, Calais, Boulogne-sur-mer sous un commandement unique et centralisé. Ce n’est donc pas le fruit du hasard si depuis peu, certains se prennent à reparler de « lignes maritimes à grande vitesse » … quand d’autres rêvent d’aéroport, celui de « Notre-Dame des Flandres », sans doute…

 

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