Le projet-fiasco « Bateau Grande Vitesse et Autoroute Maritime » – analyse

L’ histoire rocambolesque du Hub-Port de Boulogne-sur-mer, aujourd’hui à l’arrêt, nous éclaire sur les intérêts très privés qui motivent la réalisation des projets d’aménagement du territoire. Le dernier rebondissement en date, le départ pour Saint-Nazaire de la société maritime LD-Lines afin de capter de nouvelles subventions publiques dans le cadre du lancement des “Autoroutes de la mer”, nous le prouve une fois encore. Mais s’en tenir à ce seul niveau de critique, nous conduirait à nous détourner des véritables enjeux que porte le projet.

 

Analyse en 2 articles

 

 

« Bateau Grande Vitesse et Autoroute Maritime »:l’idéologie techno-marchande a encore frappé !

 

Pour l’Union Européenne, premier exportateur mondial, la circulation de la marchandise ne souffre pas les temps morts. Ainsi, l’annonce faite il y a peu d’un projet d’ »Autoroute de la Mer », résonne déjà comme une prochaine étape dans la course au « toujours plus et plus vite ». Un accord liant différents ports européens signé à la C.C.I de Boulogne sur mer, prévoit la création de lignes maritimes à « Grande Vitesse ». Des fruits et légumes en provenance d’Espagne y seront acheminés vers l’Europe du Nord, quand en retour, des tonnes de poissons nordiques prendront le chemin inverse. Discrètement saluées par quelques écologistes (1) comme une alternative au transport routier, ces nouvelles voies rapides n’en seront qu’une extension aux effets bien connus : vitesse, frénésie technique, spécialisation des espaces et des productions, préjudices naturels et enjeux géostratégiques.

 

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Le projet voit le jour en juin 2003, à la demande de la Commission Européenne. Le groupe ’Van Miert’ (2), en charge du Réseau Trans-européen de Transport (RTE-T), soumet au rapport un point qualifié de prioritaire qu’il baptise « Autoroute de la mer ». Son intention est de répondre à l’exigence d’une circulation toujours plus flexible de la marchandise qui, selon ses estimations, progresserait pour l’ensemble de l’Union de 70% d’ici à 2020. Van Miert envisage en conséquence un transfert massif du fret de la route à la mer, afin de désengorger les grands axes routiers. Ces lignes maritimes s’étendraient le long de quatre corridors ceinturant le littoral du Nord au Sud de l’U.E (3), pour ensuite rejoindre la Mer Noire et, potentiellement, le canal de Suez. A une condition toutefois, poursuivre la restructuration des modes de transport permettant à terme, la mise en réseau de chacun d’entre eux. L’enjeu est de taille car, l’ ’intermodalité’ aspire à tisser une toile permettant aux marchands européens de réduire les ruptures de charge, et donc les coûts.

Une fois le dossier bouclé, il ne restait qu’à le vendre. Quoi de mieux pour ce faire, que d’en appeler au ’Progrès’ incarné dans un ’concept Innovant’, fruit des recherches en matière d’aménagement portuaire et de navigation. Comme il date un peu, et ne pouvait se prévaloir du label ’Développement durable’, il sera simplement ’Écologique’(4). De fait, le groupe Van Miert use d’une langue commune aux cénacles d’experts-décideurs’, interchangeable quelqu’en soit l’objet et le lieu. Et s’il fallait encore s’en convaincre, lorsque le président de ’Réseau Ferré de France’(RFF), ou le ’Comité pour la Liaison Lyon-Turin’ évoquent le T.G.V. transalpin, l’écho répond sur le littoral : ’L’objectif est d’atteindre 40 millions de tonnes par an, alors que les trains n’en transportent que 9 millions aujourd’hui par le tunnel du Mont-Cenis… L’ambition est de s’unir pour promouvoir la liaison dans une logique industrielle au service de l’Économie, de l’Environnement et de l’Europe’.

 

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Réforme portuaire à l’horizon

Au demeurant, ce dossier risque de relancer la ’réforme des ports’. Les patrons et l’État sont catégoriques sur la question : les hydrocarbures et les matières premières tiennent une place prépondérante, mais le fret demeure l’activité à plus forte valeur ajoutée. Pour devenir compétitifs, les ports français n’augmenteront le volume du trafic de conteneurs, qu’à la condition de parer aux conflits sociaux. Certes, la grande mobilisation des dockers cet hiver à Strasbourg a, pour un temps, calmé les ardeurs patronales mais cela ne saurait durer. D’autant que du côté du ’Ministère de l’Équipement’, le retard pris dans le développement de zones logistiques indispensables pour jouer la concurrence, se justifie d’abord par l’insuffisance de la réforme portuaire de 1992…et le poids prépondérant des syndicats d’ouvriers dockers dans la gestion de la place portuaire’ et de renchérir : ’ La culture marchande des ports français est insuffisante. Les ports français, et en particulier Marseille, sont encore handicapés par des conflits sociaux’(5). A contrario, le Bénélux fait figure de modèle avec sa culture ’traditionnellement marchande, aux coûts de manutention moins élevés, et à la main d’œuvre réputée plus efficiente’. La messe est dite ! Enfin, pour ainsi dire car, l’efficacité exigée suppose la spécialisation d’un certain nombre de ports et la relégation des places moins stratégiques ou qui ne pourront se doter des moyens et services adaptés. Pour elles, c’est l’annonce de la disparition du secteur fret.

Chronophobie du capitalisme.

Maintenant, observons ce qui fonctionne afin de comprendre ce que l’on nous prédit à l’avenir. A ce jour, on achemine par mer des conteneurs ainsi que des semi-remorques chargés de fret, à bord de bateaux appelés ’rouliers’(6). Le ’roulier’ offre l’avantage d’embarquer des contenants sans qu’il soit nécessaire de manipuler la marchandise. Les cadences de chargement/ déchargement sont rapides et rendent ce mode de transport relativement économique. Insuffisamment semble-t-il, car, bien qu’adapté à l’intermodalité, le roulier est jugé trop lent. Il hypothèque un projet pour lequel le temps et la vitesse détermineront ou non, sa mise en œuvre. Le ’Mer-Routage’- de l’autre nom donné à ce projet, ne verra le jour qu’à la condition de concentrer des flux de trafics sur mer, à partir d’un outil combiné : le ’Bateau à Grande Vitesse’. Le BGV illustre à son niveau, le rapport que le capital entretient avec le temps, son appropriation et sa soumission à la loi de la valeur.

Plus qu’hier encore, la prolifération d’outils qui concourent tous à ’réduire/détruire le temps à travers l’espace’ rendent l’économie du temps plus vorace. Le temps de circulation est par définition un temps mort pour le capital : un temps qui non seulement ne lui rapporte rien mais lui coûte. Les frais de circulation engagés viennent en déduction des profits, raison pour laquelle, il recherche constamment à les réduire dans une course perdue d’avance. Ceci dit, si le capital ne peut supprimer le temps, il le modifie en profondeur et en permanence avec les conséquences que l’on sait dans les secteurs de la production, des transports ainsi que dans la plupart des champs de la vie sociale. A. Birh évoque dans un texte récent (7), le caractère ’chronophobe’ du capitalisme dans le sens où, il ampute notre rapport au temps de la dimension d’avenir justement nécessaire à la réflexion et à l’élaboration de possibles. Reprendre la critique de son appropriation par le capital, de l’instantanéité qu’il poursuit car indispensable à sa reproduction, semble en cela intéressant et nécessaire. Et puis, ouvrons la parenthèse – l’opportunité s’offre peut-être d’entamer la discussion avec d’autres considérant pour leur part cette question sous le jour des : ’… goûts (qui) tendent à remplacer la critique : pour la vitesse ou contre la vitesse, pour les T.G.V. ou pour les automobiles et les camions, pour le nucléaire ou pour le charbon, etc.’

La vague technologique.

Reste que, aujourd’hui, le fameux ’B.G.V’ n’existe que sur le principe. Les énormes catamarans transportant sur la Méditerranée des passagers à grande vitesse sont, à n’en pas douter, les navires les moins éloignés du concept. Hors les eaux européennes, le « Jetfoil », propulsé par deux réacteurs de Boeing, effectue des traversés Hong Kong-Macau à une vitesse de 40 nœuds, mais arrêtons là les comparaisons car, transporter des passagers est une chose, acheminer du fret en est une autre…Voilà sans doute la raison pour laquelle, nous ne serons pas surpris d’apprendre que c’est du côté de projets militaires en cours, dans le cas présent destinés au transport logistique, que la solution a été recherchée. Soulignons au passage que, dans leur version militaire, certains d’entre eux sont destinés à la surveillance et l’interception de l’immigration (8). Le constructeur « BGV-International »(9) travaille ainsi à la réalisation de versions adaptées au transport de marchandises, pour livraison desquelles un accord a été trouvé entre, un armateur et la Chambre de Commerce de Boulogne sur mer.

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Pour des dessins encore plus chouettes, voir le site BGV : http://www.bgvdesign.com/concept.htm

Voilà sans doute la raison pour laquelle, nous ne serons pas surpris d’apprendre que c’est du côté de projets militaires en cours, dans le cas présent destinés au transport logistique, que la solution a été recherchée (8). Le constructeur ’BGV-International’(9) travaille ainsi à la réalisation de versions adaptées au transport de marchandises, pour livraison desquelles un accord a été trouvé entre, un armateur et la Chambre de Commerce de Boulogne sur mer.

Il faut alors imaginer des cargos capables d’embarquer 150 remorques traçant à 35 nœuds soit 70 KM/h, contre 15 à 20 nœuds actuellement. De son côté, un consortium d’entreprises en lien avec la Commission Européenne, étudierait un projet comparable baptisé ’Seabus-HYDAER’. Ce navire pourrait atteindre la vitesse de pointe d’environ 120 nœuds(220 km/h), soit près de 3 fois celle des ferries actuellement en service (10). Naturellement, la communication entretenue autour de ces projets élude les effets de la vitesse sur le milieu marin. Les navires rapides sont pourtant à l’origine de nombreux accidents, les vagues qu’ils produisent sont différentes de celles générées par les navires conventionnels ou même de celles dues au mauvais temps. ’Elles se rapprochent d’une houle imprévisible que l’on ne voit pas de la surface et qui arrive en se brisant à grande vitesse sur les côtes. »(11) 
Particulièrement dangereuses dans les zones de changement d’allure, elles ont provoqué des échouages, des chavirements et envoyé des hommes à la mer. D’autres incidents ont eu lieu cette fois sur les plages : ’On ne voit pas venir ces vagues qui se développent soudainement entraînant une forte aspiration d’eau vers le large avant de se casser successivement sur la côte. Ce phénomène très surprenant, est fréquent pendant les mois d’été, lors des périodes de vent et de mer calmes’(12).

 

Pêche et l’agriculture intensive.

Au final, la question demeure : qu’est ce qui motive la mise en chantier d’un tel projet ? On le sait, la circulation de la marchandise, en l’occurrence les fruits et légumes en provenance d’Espagne et le poisson de Norvège, tous deux exploités de façon intensive. A l’autre bout de la chaîne, on retrouve le marché anglais et l’appel d’air qu’il produit depuis plusieurs années. Il absorbe par an et à lui seul 60 000 trajets depuis l’Espagne, auxquels il faudra bientôt associer un trafic irlandais en très forte progression ; sans oublier le marché russe, qui progressivement s’alimente lui aussi en Espagne. On comprend alors l’opportunité pour les patrons européens de rejoindre en 20 heures au lieu de 3 jours par la route, un échangeur (13) situé à quelques kilomètres du Tunnel sous la Manche… Et de faire d’une pierre deux coups, puisque le port de Boulogne sur mer (14) spécialisé dans le conditionnement du poisson à l’échelle de l’U.E sera assurée de ses 100 000 tonnes de poisson livrées dans l’année. Le capital poursuit donc sa logique de spécialisation des espaces et des productions. Les fruits et légumes d’Espagne, produits dans des conditions d’exploitations terribles pour le milieu naturel et les hommes, sont acheminés pareillement à leur élaboration. On casse la vague comme la terre et la vie des sans-papiers exploités des serres d’Alméria et de Huelva. La même logique prédatrice vide les mers des principales espèces halieutiques, intoxique et pollue consommateurs et zones côtières par un élevage industriel qui va croissant.

Un projet à combattre.

Il y a une quinzaine d’années, les patrons et l’État annonçaient le passage de l’autoroute A16 sur le littoral Nord, comme le moyen de ’désenclaver’ une zone en perdition sociale. Depuis la misère frappe toujours, plus encore et plus durement qu’à l’époque. Cette fois, il ne sera pas aisé de vendre le bébé à une population qui n’attend plus grand chose des caprices et de l’idéologie techno-marchande du capital. Le BGV ne représente pas une alternative au routier et à son engorgement, il en est le prolongement et préfigure la saturation des axes de la circulation maritime. La bonne nouvelle, c’est l’occasion qui s’offre de poser politiquement les questions essentielles autour de nos besoins réels : quelle alimentation à partir de quelle agriculture et de quelle pêche ? Ouvrir et élargir depuis le littoral, le débat ainsi que le champ de la critique sur le travail et aux transports serait un premier pas fait en ce sens. A suivre donc…

Boulogne-sur-mer. Le 01/06/2006.

Encadré 1 : Spécialisation des espaces et des cultures : l’exemple espagnol. La spécialisation des espaces et des productions, fait de l’Espagne le fournisseur de fruits et légumes en titre de l’Union Européenne qui reçoit 80 % de ses exportations. Elle consacre 54 % de son sol à l’activité agricole et se place au 4ème rang des producteurs mondiaux d’agrumes. Rappelons qu’ une grande partie des cultures se fait sous serres, concentrées le long du littoral, sur sol artificiel composé de sable et de fumier. La chaleur permet de produire fruits et légumes tout au long de l’année au prix d’une consommation considérable de fertilisants et pesticides : 6 millions de tonnes par an. L’Espagne est à ce titre un client privilégié des chimistes européens. Ajoutons que, depuis sept ans, cet État cultive sur 25 000 hectares du maïs transgénique à des fins commerciales et se retrouve confronté à une contamination majeure des espaces de culture plus traditionnels et de ceux dits biologiques. Sur les conditions d’exploitation de la main-d’œuvre sans papiers dans l’agriculture espagnole, nous vous conseillons la lecture de ’La galère de l’or rouge’ de Sissel Brodal in ’Politiques migratoires : grandes et petites manœuvres’ aux éditions Carobella ex-Natura.

Encadré 2 : A terme un couloir vers le pétrole russe.

Lorsque l’on s’attarde un peu sur la prose des ’experts’ européens, on comprend qu’ils nourrissent des projets plus sensibles que celui du transport de légumes. Derrière de nouvelles routes maritimes rapides, se profile un possible approvisionnement pétrolier en Sibérie d’où est extrait 25 % de la production mondiale. Actuellement l’approvisionnement se fait par un système d’oléoducs qui traverse le permafrost de Russie dans des conditions très difficiles. Le projet ARCDEV étudie donc :’ la fiabilité et la rentabilité d’un couloir maritime reliant les régions arctiques de Russie au marché européen occidental, permettant ainsi à la zone de l’Ob de devenir durant toute l’année une source énergétique stratégique pour l’Europe ; Le pétrolier finlandais M/T Uikku testera les nouvelles technologies mises au point pour transporter des produits pétroliers liquides à -30ºC ». Des industriels et des instituts de recherche européens et russes, parmi lesquels d’importantes compagnies pétrolières et des industries de construction et de fourniture navales, plancheraient aujourd’hui sur le projet.

 

Notes :

(1) : ’La première autoroute de la mer ainsi crée, serait une alternative à la route : une bonne chose du côté environnemental…’ in : ’Le BGV pourrait faire des vagues ’ : http://verts-boulonnais.ouvaton.orghttp://verts-boulonnais.ouvaton.org. Que l’on se rappelle la propagande qui accompagna la mise en service des premières lignes de T.G.V : ’ Le T.G.V : Un transport collectif très écologique, moins dévoreur d’énergies…’

(2) :Socialiste flamand, karel Van Miert présidait à cette date le groupe de l’Union Européenne de haut niveau sur les Réseaux de Transport Transeuropéens’. Aujourd’hui, Mr Van miert est membre du conseil d’administration du groupe Vivendi Universal pour le compte duquel il dirige : Agfa-Gevaert NV , Mortsel / Anglo American plc , Londres / De Persgroep , Asse / DHV Holding BV , Amersfoort / Royal Philips Electronics NV , Amsterdam etc.Site de la direction générale de l’énergie et des transports de la commission européenne : ’ http://ec.europa.eu/comm/ten/transp…http://ec.europa.eu/comm/ten/transp… concernant les autoroutes de la mer : consulter la brochure en version PDF : ’ http://ec.europa.eu/comm/transport/…

(3) : La mer Baltique, l’Europe de l’Ouest : (océan Atlantique – mer du Nord/mer d’Irlande), l’Europe du Sud-Ouest : (mer Méditerranée occidentale), et l’Europe du Sud-Est : (mer Ionienne, Adriatique et Méditerranée orientale).

(4) :D’après la DATAR, le transport maritime international est responsable de 2 % des émissions de CO2 mondiales, contre 17 % pour la route. Sur une liaison européenne, la navigation à courte distance est 2,5 fois moins polluante en terme d’émissions de CO2 que l’option routière.

(5) : ’Les handicaps des ports français’ in : http://www.ac-nancyhttp://www.ac-nancy metz.fr/enseign/ TransportsLP/PDF/atouts%20ports%20fran%E7ais.pdf

(6) : Un ’roulier’ est un navire utilisé pour transporter entre autres, des véhicules, chargés grâce à une ou plusieurs rampes d’accès. On les dénomme aussi ’Ro-Ro’, de l’anglais Roll-On, Roll-Off signifiant littéralement « Roule dedans, roule dehors », pour faire la distinction avec les navires cargo habituels où les produits sont chargés à la verticale par des grues. in http://fr.wikipedia.org/wiki/Roulier

(7) : ’Le capital tend nécessairement à circuler sans temps de circulation’ K.Marx in : ’Capitalisme et rapport au temps’. Essai sur la chronophobie du capital. 2004. http://www.revue-interrogations.org…

(8) : ’Les formes nouvelles de la production matérielle, soulignait Marx, se développent par la guerre avant de se développer dans la production en temps de paix’. in Karl Korsch : La guerre et la révolution. ed Ab Irato.

(9) : http://www.bgv-france.com/images/Br…

(10) : Le projet SEABUS-HYDAER – http://ec.europa.eu/research/rtdinf…

(11) : ’Les problèmes liés à la vitesse sur les NGV’, Mémoire de fin d’études DESMM 1998-1999 par Gregory Le Rouillé Extrait article Infocéan Septembre 1997 dans rapport FASS WP1 23/11/98

(12) : ibid.

(13) : L’échangeur est appelé ’HUB-Port’. C’est une plate-forme de correspondance (en anglais hub, litt. moyeu) adaptée d’ un concept développé dans les années 1980 et destiné à remplir les vols des compagnies aériennes. L’effet est renforcé par des décollages par vague.

(14) : Le 29 juin 2005, un accord a été signé à la chambre de commerce et d’industrie de Boulogne sur Mer associant les ports de Vigo et Sheerness aux ports de Boulogne sur Mer, Drammen et Santander pour le lancement du concept de hub-port au départ du port français.

 

 

Bateau Grande Vitesse et autoroutes de la mer : derrière l’alternative, un projet du capital

 

Le projet d’autoroutes maritimes n’est que la partie visible, ici, sur le littoral de la Manche, d’une (ré)organisation globale et permanente de l’espace physique et économique par et pour le capital européen. Le projet de Bateau Grande Vitesse (BGV) s’inscrit dans cette logique de colonisation de l’espace et du temps par la marchandise ; une vrai fausse alternative que nous ne souhaitons pas accompagner avec critique et vigilance mais dénoncer clairement pour ce qu’elle est.

 

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Boulogne sur mer, un port à la conquête du monde … capitaliste

En regard des dernières annonces faites localement, on pourrait douter de la faisabilité de ce projet auquel s’accroche la C.C.I (Chambre de Commerce et d’Industrie) de Boulogne sur mer. Les déclarations contradictoires et de dernières minutes opacifient le dessein et sèment le doute. On évoque maintenant une classique liaison trans-manche chargée dans un premier temps d’assurer la promotion du B.G.V avant son hypothétique accostage… Tout cela laisse songeur, à ce point que, certains envisagent déjà le dossier B.G.V comme une entreprise de captation de fonds publics permettant à quelques financiers de capitaliser une opération finalement bien éloignée du projet initial – une de plus, serions nous tentés d’ajouter… Il est un fait avéré que les projets d’aménagement de grande échelle mettent en circulation des fonds importants. Il est tout aussi vrai que ces mannes juteuses profitent pour une part et à l’échéance d’un parcours souvent sinueux, à de très inattendus bénéficiaires. A titre d’exemple, citons les propos éclairant de ce président de la C.C.I de la ville basque de Pasaia qui, dans la presse et en termes limpides, commentait ainsi un projet d’aménagement portuaire – une recommandation elle aussi de l’Union Européenne : “ Je ne connais pas le contenu du projet, peut-être que le port est nécessaire, peut être pas, mais il sera financièrement intéressant ” (1).

Nul besoin d’être devin pour comprendre que l’intérêt en question n’est que celui des sociétés de transport et de l’industrie automobile locale ; l’une comme l’autre appelant de leurs vœux la mise en travaux du chantier. Alors certes, la question du financement est à poser, mais le faire de façon formelle en revient à rester au milieu du chemin, donc à accepter qu’elle garde en elle toutes ses contradictions. S’en tenir au contrôle du “ financement public ”, l’os à ronger des “ citoyennistes ”, ces fidèles un peu borgnes d’un “ État garant de l’intérêt général ” qu’ils opposent au libéralisme (2), oblitèrent le lien indissociable qui unit État et capital. Cette posture inter-classiste trouve aujourd’hui un écho auprès des étatistes ayant troqué tout projet de rupture avec le capital contre une lénifiante “ défense des services publics ” (3). Ne pas considérer l’État et ses finances comme “ l’autre moi-même ” du capital, c’est refuser de voir que ce que l’État investit lui revient, intérêts bien compris, dans des délais sans doutes variables mais certains (4). Pour en terminer et quel que soit le crédit que l’on puisse accorder à ce scénario, au demeurant tout à fait concevable, le projet n’en demeure pas moins indispensable à ceux qui le réclament. Par conséquent, poser localement la question du financement : “ qui paiera, dans l’intérêt de qui et pourquoi ” ne saurait soustraire le sens même de ce projet : la circulation de la marchandise à une critique plus large, inscrite celle ci, dans une lutte globale contre le capitalisme.

 

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La signature du contrat, entre les présidents de Chikara Shipping, BGV France et de la CCI de Boulogne

 

Du “ Livre blanc ”… au “ Cercle pour l’Optimodalité ”…

Avant tout chose, il peut être utile de rappeler qui décide et comment, des projets d’aménagement du territoire de l’Union Européenne. Périodiquement, des listes de projets prioritaires sont élaborées et publiées sous la forme de “ livres verts ” et de “ livres blancs ”. Dans le domaine des transports, ces publications repèrent les zones de faiblesses préalablement cartographiées, baptisées “ Chaînon Manquant ” afin de les doter d’infrastructures permettant une circulation toujours plus importante et rapide de la marchandise. C’est ainsi que s’est élaboré au fil des chantiers, un réseau unique, une chaîne logistique baptisée “ TEN – Transeuropean Network ”. Dans le chapitre d’un de ces livres blancs, figure le programme “ Marco Polo ” qui établit le cadre de la réalisation des “ autoroutes maritimes ” à venir. Ce n’est donc pas d’une éminence grise siégeant à la CCI de Boulogne qu’émane l’idée de “ plate-forme multimodale ”, mais de groupes de recherches sous influence pressés d’alléger les contraintes physiques et matérielles d’un secteur qui représente plus de 1000 milliards d’euros, soit 10 % du P.I.B de l’Union(5). Depuis le début des années 80, la “ Table Ronde des Industriels – E.RT ” (6) définit et impulse les principaux chantiers. Ce groupe de pression réunit les 45 plus grosses sociétés de l’U.E et travaille à la promotion de ses intérêts propres auprès de la commission européenne. Dans le cadre de réunions privées les membres de l’E.R.T, dont certains furent commissaires européens, rencontrent les plus hauts responsables politiques avec lesquels ils entretiennent une étroite collaboration. De cette manière, l’E.R.T a obtenu de l’U.E l’extension des réseaux d’autoroutes qui permirent le développement jusqu’à saturation du fret routier. Régulièrement, l’E.R.T intervient dans tous les domaines où son influence lui permet d’engager les fameuses “ réformes ” qui la positionneront au mieux sur le marché mondial, puisque là est sa raison d’être.

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A titre d’exemple, depuis la fin des années 90, elle travaille à casser les systèmes publics de retraite en trouvant des interlocuteurs attentifs, citons entre autre l’homme de gauche italien Romano Prodi, ancien président de la commission européenne. Si depuis quelques temps, l’E.R.T se montre plus discrète, elle n’est pas moins active, elle change juste de façon de faire. Elle a redéployé ses activités sous la forme de groupes paravent qui s’annoncent comme indépendant et interviennent sur des points spécifiques. Dans cet esprit, la création en mars 2007 du “ Cercle pour l’optimodalité en Europe ”, une officine composée des principaux patrons des sociétés de transports, de banques et d’entreprises de constructions (7) s’annonce comme la locomotive du prochain programme. La société “ B.G.V- France ” membre de ce regroupement en publie la charte sur son site (8).

Après le mythe du progrès voici celui de … l’alternative !

Annoncée comme une alternative à la route, attendue d’abord dans les zones saturées autour du Golfe de Gascogne, l’autoroute de la mer séduit naturellement les collectifs mobilisés contre la logique du tout camion (9). Il faut avouer que le concept est suffisamment flou pour qu’on le présente pour ce qu’il ne sera pas. Nous affirmions dans un précédent texte que les autoroutes maritimes prolongeraient sur mer la circulation à flux tendus de marchandises, que le souci des patrons n’était pas de trouver une alternative “ écologique ” au délire routier mais bien de s’approprier de nouveaux espaces afin d’augmenter les quantités transportées et diminuer les temps d’acheminement. Confirmation a été apportée lors de la signature de la fameuse charte : “ Il semble qu’un vent nouveau ait soufflé. On ne parle plus de mode “ alternatif ” à la route, mais de mode “ complémentaire ” à la route ”. Cette fois, les choses sont dites pour ce qu’elles sont…On sait dorénavant que l’autoroute maritime ne sera qu’un moment et un espace soumis à l’unique règle du temps marchand, un tronçon autoroutier sur mer, qu’à son contact les ports compteront pour des gares de péage supplémentaires. La dynamique du capital repose sur l’accumulation et sa croissance sans limite, alors, envisager ne serait-ce qu’un aménagement partiel de la chaîne qui, au surplus, entrerait en contradiction avec cette logique, relève d’un doux rêve, à fortiori quand “ Il est prévu un doublement du trafic dans tout l’espace européen et un accroissement du transport de marchandises de 300% par rapport à 1990, pour la seule Europe du Sud ” (10). Par contre, il est évident que dans les temps à venir, le pouvoir, État et capital ensemble, sous la pression de nouvelles contraintes liées au réchauffement climatique et à la dilapidation des ressources naturelles, va recourir plus encore à ces formes de la manipulation. Le renversement du discours par le pouvoir n’est pas nouveau ; durant les décennies écoulées, il a vendu le nucléaire pour le progrès, l’automobile pour la liberté et aujourd’hui la “ grande vitesse ” pour l’écologie.

Se positionner clairement et politiquement contre ces projets.

Peu importe alors que les “ Bateaux à Grande Vitesse ” accostent demain à Boulogne sur mer ou ailleurs, que dans la valse des subventions, telle enseigne les rafle à son concurrent. Aujourd’hui on ne peut avoir qu’une certitude : les patrons se donneront toujours les moyens nécessaires d’accumuler du capital, si les B.G.V en sont un, les B.G.V circuleront tôt ou tard, ici ou ailleurs. C’est un des traits essentiels de la période, que la nécessité pour le capital de mettre en circulation accélérée la marchandise, c’est donc et d’abord en rapport à la production de ces instruments et infrastructures indispensables à sa reproduction qu’il convient de prendre position. Corollairement à cela, jamais les populations ne sont conviées à se prononcer sur le bien fondé de tels projets, simplement parce que ces projets ne sont pas les leurs. On les mobilisera en recourant systématiquement au chantage à l’emploi, particulièrement efficace dans les zones socialement laminées mais pour des résultats dérisoires et à court terme en comparaison de la demande sociale qui restera, elle, non satisfaite. Systématiquement, les bénéficiaires immédiats se trouvent être les petites mains des chambres économiques, chargées de porter dans les instances régionales et locales ces projets au nom d’un bien commode “ Intérêt général ”. Sur le terrain, les groupes de construction et de B.T.P. accentuent la précarité et la flexibilité profitant au maximum de la mise en concurrence des travailleurs et dont les effets se font rapidement ressentir sur l’ensemble du bassin d’emploi. Les B.G.V seront un des instruments de la longue chaîne d’un modèle productiviste, énergivore et hiérarchique qui repose sur une articulation faussement schizophrène de la distribution . A ce sujet, constatons qu’à mesure de la destruction/inclusion des productions locales aux normes du marché mondial, de l’augmentation des distances parcourues entre la production et la consommation des marchandises, se développe en contre point, un discours certifiant et labellisant des savoirs-faire dorénavant dissociés de leur communauté de production d’origine le plus souvent préalablement désintégrées sous les coups de boutoir du capital. Le travail demeurant la question centrale, celle sans laquelle on ne peut établir qu’une critique partielle de ces projets, c’est donc en terme de : Pour qui ? Comment ? Dans quelles conditions sociales et écologiques ? et pour satisfaire quels besoins voulons nous produire et travailler ?

Alors que faire …

Il est évident que s’il se concrétise, ce programme à l’inverse d’autres en d’autres lieux, ne touchera pas directement la population boulonnaise dans son quotidien. De nombreux projets à grande vitesse – autoroutes, T.G.V, tunnels…- ont rencontré ces dernières années des oppositions fermes de la part des populations. D’importantes luttes, dans différents pays européens et ailleurs se sont parfois terminées par des victoires, il est toujours important de le rappeler. Si ici, la configuration est différente, dans un premier temps une campagne d’information peut être menée à l’échelon local dans le but d’informer, et de débattre largement de ces projets puisque : “ La lutte contre les grandes infrastructures de transport est indissolublement liée à la lutte pour la transformation radicale du modèle économique et social, auquel elles sont nécessaires et dont elles sont la conséquence ” (11)

Boulogne-sur-mer le 17/06/07.

 

(1) in : « El puorto exterior de pasaia » : Otro proyecto gigantesco e innecesario.

(2) Des citoyennistes qui, soit dit au passage, sont le plus souvent liés d’une manière ou d’une autre au fonctionnement de cet État et trouvent en son sein des intérêts très “ particuliers ” ; que ce soit en terme de carrière professionnelle ou de représentation politique, parfois les deux à la fois…

(3) Un horizon mystifié et borné par l’État, héritage du compromis fordiste de l’après guerre ; autant dire en référence à un temps très court de l’histoire du capitalisme.

(4) L’Etat et le capital : l’exemple français. Tom Thomas. éd L’Albatroz.

(5) http://europa.eu/scadplus/
leg/fr/lvb/l24007.htm – révisé ensuite : Révision du Livre blanc sur les transports : http://www.europe-international.equ

(6) E.R.T : lire in : “ Chronique internationale ” de l’IRES n° 72-septembre 2001.Etienne Davignon l’actuel président de l’E.R.T fut vice-président de la commission européenne de 1981 à 1985. Président de la Société générale de Belgique, Union Minière. Vice président dAccor, Arbed, Tractebel, Fortis Belgique, membre du conseil de surveillance de Anglo American Mining, Gilead, ICI, Pechiney, Foamex, Kissinger Associates, Fiat, Suez, BASF, Solvay, Sofina, Recticel, CMB.Membre du directoire du think tank Centre for European Policy Studies.[1] Ainsi que Président de Les Amis de l’Europe/Friends of Europe, un proéminent think tank.

(7) : Pour les banques : Dexia, CDC, HSBC… ; les constructeurs : Alstom, Eiffage, Lohr Les transporteurs : CMA-CGM, Fedex, Ports Maritimes, SNCF

(8) : http://www.hsc-bgv.com/IMG / pdf/COE_Mars_2007.pdf.

(9) Association Contre le Tunnel Inutile dans les Vallées d’Ailleurs et du Lavedan – ACTIVAL se réfère aux autoroutes de la mer qu’elle propose en remplacement d’un nouveau tunnel pyrénéen. : http://www.actival.org/-Le– Cabotage- .html

(10) Transport et capitalisme mis en question. in “
http://www.mrafundazioa-alda.org/ar… (11) ibd.

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