A propos d’ AC! et du mouvement des chômeurs, précisions et contribution à la réflexion

Votre article dans la Mouette Enragée de juin 1998 sur le mouvement des chômeurs appelle, à mon sens, quelques commentaires et approfondissements. Chômeur, militant investi dans le collectif AC ! (celui de Lille), j’ai eu l’occasion de vivre de près les événements du mouvement des chômeurs de l’hiver dernier. Investi dans AC ! depuis trois ans, j’ai aussi un peu de mal à reconnaître la structure que vous décrivez dans l’article. Votre vision de AC ! est relativement proche de ce que j’ai pu en lire en général dans la presse libertaire comme le monde Libertaire, pendant ou après le mouvement des chômeurs.

AC ! serait somme toute une organisation bureaucratique, à l’image des syndicats traditionnels, et qui a joué sa propre partie dans le mouvement des chômeurs. Tel un bloc homogène, AC ! aurait ainsi décidé, à un moment, de lâcher le pied pour engranger les profits de lutte et pour préserver le gouvernement.

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 A propos d’AC !, du fonctionnement local, au fonctionnement national.

     Votre point de vue découle selon moi, d’une fausse impression, renforcée par des clichés et une méconnaissance de la nature d’AC ! c’est pourquoi il me semble important de préciser le fonctionnement d’AC !

     Au niveau national, il convient d’abord de noter la faiblesse organisationnelle de AC ! peu de moyens (80.000 F de budget l’an dernier), pas de permanent. Les décisions y sont prises par deux instances et uniquement par celles-ci :

–  Les assises, qui se déroulent une fois par trimestre. Y sont discutées les décisions sur le fond, l’organisation et les grandes orientations. Dans AC !, chaque collectif est libre de s’engager selon ses moyens et ses capacités dans les campagnes nationales.

–   Les Coordinations nationales se réunissent une fois par mois environ. Elles prennent les décisions entre les assises, notamment les décisions plus concrètes.

    Enfin, au cours du mouvement des chômeurs, la coordination entre les collectifs était assurée par des conférences téléphoniques. Là, sur la base de propositions, de nouvelles actions étaient décidées. Ce fonctionnement assure, me semble-t-il, une certaine démocratie, même si elle n’est pas parfaite. Pas de sommet, pas de superstructure mais des décisions prises collectivement, par les collectifs de base eux même.

 Les collectifs locaux.

     Ils sont révélateurs d’une volonté d’agir autrement. Sans vouloir dépeindre une situation idyllique, je peux décrire la manière de fonctionner d’un collectif local, celui de Lille. Le collectif fonctionne avec des assemblées régulières (une fois tous les 15 jours, ou plus si nécessaire) qui sont les organes de décision par rapport aux actions. Si, pour des modalités pratiques, nous avons opté pour un statut associatif, il convient de noter que le fonctionnement classique d’une association (bureau, présidence, trésorerie, etc … ) n’a été gardé que pour la forme, au profit d’un fonctionnement plus démocratique : Commission finance pour la trésorerie, porte-parole et délégation tournants, décisions uniquement en AG… L’objectif est ici de rassembler au maximum, mais sur des bases claires et radicales. On retrouvera de fait des personnes très différentes : militants syndicalistes (CGT, CFDT oppositionnelle, SUD),des chômeurs et précaires, militants de différentes sensibilités politiques (libertaires compris).

    Nos actions visent tous ceux qui de près ou de loin portent une responsabilité dans la dégradation du sort des chômeurs et des précaires. L’année 97/98 a vu ainsi le collectif AC ! mener des actions et des occupations visant aussi bien des ANPE, les ASSEDIC et l’UNEDIC, la DDTE, la SNCF, le siège du patronat mais aussi des responsables politiques (le PS, occupé par trois fois, dont deux avec les sans papiers, et une réunion publique de Philippe Vasseur interrompue). Notre action va aussi au delà du problème strict du chômage, pour s’intéresser à la question du revenu ou encore pour apporter notre soutien aux sans papiers de Lille.

 A propos du mouvement des chômeurs

 Il s’est déroulé en trois phases distinctes :

 1)Le développement séparé: début décembre 1997, deux initiatives sont menées parallèlement. AC ! lance une semaine d’urgence sociale dont l’écho sera faible. Les comités de chômeurs C.G.T démarrent sur la prime de Noël. La convention UNEDIC ayant décidé de limiter les fonds sociaux dont elle a la charge. Les comités de chômeurs de Marseille rencontrent une réelle mobilisation dans leur action (la prime de Noël y était devenue une véritable institution). Dès lors, le mouvement démarre réellement, de même qu’à Arras. A ce moment là, il n’existe aucune passerelle entre association de chômeurs et CGT, hormis à Arras. Mais c’est là que vont se sceller, au départ les premiers rapprochements.

 2) La médiatisation du mouvement (fin décembre à fin janvier). C’est une manifestation à Arras qui se termine par de légers dégâts (porte vitrée brisée à la préfecture d’Arras) qui va marquer la médiatisation du mouvement mais aussi sa radicalisation. Les revendications portent désormais sur la hausse des minima sociaux, un revenu pour les moins de 25 ans en plus de la prime de Noël. Le mouvement commence alors réellement à prendre de l’ampleur et à dépasser le simple cadre de la prime de Noël. Les collectifs AC sont largement présents un peu partout pour donner un second souffle au mouvement avec de nouvelles occupations (A Lille, nous occuperons une antenne ASSEDICle 5 janvier jour et nuit avant d’en être délogés le 7. Par la suite nous mèneront jusqu’à fin janvier deux à trois actions par semaines). Le 17 janvier marque l’apogée du mouvement. Les associations de chômeurs ont poussé à l’organisation de manifestations avec l’élargissement aux salariés malgré les réserves de la C.G.T. C’est un succès, sauf à Marseille…

 3) La réponse du pouvoir: division et criminalisation. Le pouvoir va désormais, après une phase de dépassement. reprendre les choses en main : La préfecture des Bouches du Rhône dégonfle le mouvement à Marseille en cédant sur la question des primes (ce qui explique la faiblesse de la manif du 17 janvier à Marseille, alors que quelques jours encore avant, c’est l’endroit ou les manifs sont les plus importantes). Les ASSEDIC de Marseille et d’Arras sont évacuées par la Police, tandis que Jospin déclare qu’il veut « une société basée sur le travail et non sur l’assistance, après avoir laissé plané la possibilité pendant quelques jours de lâcher quelques concessions mineures… La C.G.T cherche désormais à lâcher le mouvement, mais ne tient pas à ce que celui-ci continue sans elle… Elle axe tout sur les 35 heures et tente d’aiguiller le mouvement dans cette direction. Il est assez clair également que la C.G.T cherche alors à se positionner en « leadership » sur la question des 35 heures, auprès de ses concurrents syndicaux. Plusieurs actions se terminent par des interpellations de militants (Cash Conventers notamment). A C ! est la seule des structures de chômeurs à s’impliquer dans la défense des inculpés. A Lille, nous serons largement partie prenante dans la campagne de soutien à Christophe FETAT(d’ailleurs adhérent à AC ! Lille). Enfin, les médias « squeezent » le mouvement. Du jour au lendemain, on ne parle plus du mouvement si ce n’est pour le dénigrer. Les journalistes ont été repris en main (pour ceux qui faisaient correctement leur travail) par les rédactions et on parlera désormais, dans les reportages de « commandos de chômeurs manipulés, et de dangereux activistes (dont certains à la C.N.T) Dans ce contexte, les collectifs AC ! ne vont pas lâcher prise (voir l’excellent 4 pages « la presse sous les occupations). A Lille, les actions se continuent (1 à 2 par semaine jusqu’au 7 mars), bien au delà du mois de janvier. Cependant, il est indéniable qu’à partir de la déclaration de Jospin, le mouvement a tendance, faute d’un écho national, à s’essouffler et à se dégonfler. Pour nombre d’entre nous, la fatigue se fait ressentir et l’élargissement du mouvement ayant été loupé.

 Et aujourd’hui ?

    AC ! se place toujours dans une perspective de lutte. Avec beaucoup de sujets d’inquiétude en ce début d’année… Le principal est celui du travail forcé. Une idée qui a fait son chemin en Angleterre (avec le Work Fare) progresse ici : avec la tentative à Perpignan d’imposer un travail forcé aux RMIstes. Avec certains aspects de la loi contre l’exclusion (flicage et contrôle social des chômeurs). Avec un programme d’embauche de 800 agents de l’ANPE cet automne, chargés du suivi (et du contrôle) des chômeurs longue durée. L’objectif sera bien évidemment de forcer les chômeurs à accepter n’importe quel boulot. AC ! compte également relancer les actions pur ne pas rester sur la défensive. Pour cela, il est important de développer des passerelles, entre collectifs, autonomes ou pas, pour s’organiser, coordonner le mouvement… En espérant qu~il puisse reprendre de plus belle avant cet hiver…

 Un militant AC ! Lille. Novembre 1998.

La réponse de la Mouette

     Tout d’abord, merci pour cette réaction. Il semblerait, une fois n’est pas coutume, que les différents articles sur le mouvement des chômeur/euses parus dans le n°17 de la Mouette aient appelé quelques commentaires. Vous n’êtes pas les seuls à nous adresser des objections ce qui est plutôt positif ! A première vue, nos analyses se recoupent sur pas mal de points : criminalisation et casse des mouvements sociaux par la gauche, généralisation du contrôle social, tentation du Workfare …

     Venons-en à ce qui vous chagrine, c’est à dire selon vous, une critique à l’emporte pièce d’AC! (Agir contre le Chômage!). En premier lieu, il ne nous semble pas avoir présenté AC! comme une structure « bureaucratique », simplement parce que le terme ne s’y prête pas. Ce n’est certes pas un groupe homogène, mais pas moins un des multiples lieux où certains pensent encore recomposer la « vraie gauche ».

     Pour cela, il est bon de rappeler d’où vient AC ! . Ce que l’on pense vous n’ignorez pas. C’est à l’origine un regroupement de personnes autour de la revue « Collectif », essentiellement, des syndicalistes oppositionnels à l’intérieur de la C.F.D.T ou la C.G.T. Ce que l’on appelle dans nos milieux « la gauche syndicale« . Certains, partisans de renforcer l’opposition au sein même des centrales, d’autres favorables au développement de structures comme S.U.D.

     En fait, les mêmes débats qui traversaient et traversent encore la L.C.R mais aussi l’ex U.T.C.L.(I) ainsi que toute une partie de la nébuleuse gauchiste. Aux côtés des syndicalistes, pour certains des permanents, il est bon de le rappeler, on retrouvait aussi des universitaires qui travaillaient dans les labos de recherche en sciences sociales. Donc pour nombre d’entre eux, des cadres, aussi bien dans leur fonction syndicale, politique que sociale. Avec naturellement ce que cela implique au niveau des rapports sociaux.

     Alors bien sûr, ce sont là les initiateurs et depuis la structure AC! s’est étoffée, les débats se sont élargis. Il n’en demeure pas moins, que l’on ne peut véritablement assimiler AC ! à une structure horizontale et autonome, ou alors nous n’avons pas la même définition de la hiérarchie. Tous les débats préliminaires aux marches européennes en sont l’illustration. Ceci dit, il est vrai qu’il se passe et se dit des choses intéressantes dans les comités locaux d’ AC ! Et il est vrai aussi qu’on y retrouve parfois des libertaires. Tout cela nous ne l’avons jamais nié. Durant le mouvement de cet hiver, nos camarades, selon les situations auxquelles ils étaient confrontées ont favorisé l’émergence de collectifs autonomes de chômeurs/euses. C’est à dire, des regroupements ou l’assemblée générale est décisionnelle et dans laquelle, chaque individu membre d’un syndicat ou d’une association ne représente que lui même. C’est une pratique différente qui, on vous l’accorde, n’est pas exempte de contradictions.

     Alors, AC! « une structure bureaucratique à l’image des syndicats traditionnels » ? Un copain de la C.G.T. nous a également interpellé dans ce sens, nous reprochant de présenter de la même façon son syndicat. Ce que vous, dans votre courrier, vous notez également. Alors bien sûr, nous pourrions débattre de cela pendant des heures, mais il semble évident que nous n’utilisons pas les mêmes références pour apprécier la situation. Il y a des pratiques sur le terrain qui nous semblent plus intéressantes que d’autres. Et indépendamment de l’étiquette sous laquelle on se présente, la recomposition du tissu et du mouvement social nous semble la chose à privilégier. Que nombre de militants d’A.C en soit partie prenante, nous en sommes bien conscients.

En espérant vous avoir apporté une réponse satisfaisante. A bientôt dans les luttes.

 Bien amicalement la Mouette

(1) U.T.C.L. Union des Travailleurs Communistes Libertaires devenue depuis Alternative Libertaire. Relativement proche dans ses options et ses analyses de la gauche de la gauche.

 Boulogne-sur-mer. novembre 1998.

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