Bilan public sur le mouvement des précaires et chômeurs : le collectif “Vivre Autrement” ouvre le débat

Le mouvement des précaires et chômeurs apparu durant l’hiver dernier a marqué une nouvelle étape dans la recomposition du mouvement social. Il nous semblait donc important nous, c’est à dire le collectif « vivre autrement » de faire un bilan public et de confronter nos points de vues sur cette lutte avec les boulonnais. Cela fut fait au début du mois de juin dans la salle du C.C.A.S. Regroupement de circonstance, le collectif n’a depuis donné de suite réelle à ses activités. Le compte rendu qui suit n’est donc pas le fait direct du collectif, mais celui d’un membre de la Mouette ayant participé à ses activités.

      Rappelons d’abord la situation telle qu’elle se présentait il y a à peu près un an. Ici, c’est la C.G.T., qui, au travers de son comité de chômeurs est apparue comme le relais légitime de la lutte puisque, nulle autre association spécifique n’existe sur le terrain (1). Le comité de chômeurs CGT fut donc à l’initiative de plusieurs actions en direction de l’A.N.P.E, de l’antenne A.S.S.E.D.I.C. et de la C.A.F. Pour autant, il n’y eu pas de mouvement au sens véritable du terme. Comprenez, de prise en charge de la lutte par les intéressés eux-mêmes au travers d’assemblées générales souveraines, et dans lesquelles les associations et les syndicats ne constituent qu’une des composantes de ce mouvement. Il ne s’agit pas de minorer les actions entreprises par la C.G.T., mais simplement, la définition que nous donnons d’un mouvement est pour nous spécifique (2). Autre constat, et ceci explique cela, la mobilisation des chômeurs et précaires de la ville fut très faible au regard de la situation sociale locale. Cela mériterait que l’on s’y intéresse de plus près mais le temps nous manque, et la désertion de la lutte sociale n’est malheureusement pas circonscrite à ce champ précis…

 Pourquoi et comment le collectif « Vivre Autrement »

      Il ne s’agissait pas, pour le collectif, de se substituer à un hypothétique mouvement mais de faire passer un point de vue, de nouer des contacts, bref de comprendre la situation politique et sociale du moment. Ce fut donc l’occasion pour des militants de la mouvance anticapitaliste et anti-autoritaire d’échanger leurs idées sur la place qu’occupent aujourd’hui dans notre vie, le travail et son corollaire, le chômage (3). Trois tracts furent rédigés collectivement et distribués aux portes de l’A.N.P.E, dans le centre ville, àla bourse du travail le premier mai, ainsi que sur le plateau du Chemin-vert. Les camarades de la C.N.T. de Dunkerque et Berck, qui participèrent à cette initiative, firent de même dans leur ville respective. Entre temps, quelques militants du collectif participaient à l’occupation d’une A.S.S.E.D.I.C. sur Lille, durant laquelle un de nos camarades se fit interpeller par la police. Il passa en procès au mois de juin et fut relaxé. Décidés à ne pas en rester là, nous avons organisé une rencontre publique afin de dresser le bilan de cette lutte.

 Quand arrive l’heure du bilan…

      Pour l’occasion, nous avions décidé d’aborder les multiples questions qui se posent en donnant la parole à différents acteurs de la lutte. Devant une quarantaine de personnes un représentant du « Comité Autonome de Chômeurs d’Arras et d’ Ailleurs » livra une description précise de la lutte menée sur la ville. Il évoqua les occupations, qui, si elles furent amplement médiatisées ne reflétaient que l’aspect le plus visible d’un travail de terrain mené de longue date par ce collectif. Plusieurs points essentiels furent débattus tels que 1 ‘extension et la popularisation de la lutte, mais aussi les difficultés que l’on rencontre afin de maintenir la participation et le contrôle de la base face aux tentations hégémoniques. On échangea également sur le rôle des associations et des comités proche de la gauche, ainsi que de la façon dont cette gauche s’y prend pour casser les mouvements sociaux. Les contacts établis par les camarades d’Arras avec le comité des sans papiers de Lille, ainsi que les manifestations de solidarité sur lesquels ils débouchèrent, permirent à certains chômeurs de prendre conscience des galères communes. Pour l’heure, le collectif arrageois continue ses activités (4).

     Ce fut ensuite le tour d’un membre du syndicat C.N.T. des sans-emplois de Béthune de retracer l’histoire de sa section. A l’origine adhérente à la C.G.T., elle décida de quitter la centrale de Viannet après s’être fait chasser du local qu’elle occupait. Il semblerait que pour l’heure ce soit la mairie de Béthune qui userait de pressions pour retirer son local aux cénétistes. En deuxième partie d’après midi, Christophe , qui venait de passer en procès quelques jours auparavant, nous apporta son témoignage sur la criminalisation du mouvement social. Depuis le retour des luttes et notamment celle du C.I.P. (5), les pouvoirs en place systématisent la répression. Le scénario est à chaque fois identique, casser le mouvement en criminalisant quelques personnes perçues comme des « meneurs ». Les jugements souvent rendus de façon expéditive, sont en général assortis de peines de prison ferme, ou de lourdes amendes. Ce qui dans un premier temps désamorce tout soutien efficace et vise à court terme à décourager les acteurs du mouvement. A noter qu’un appel pour un « Réseau de solidarité face à la répression » a été lancé dans le courant du mois de juin. Toute personne qui désire en savoir plus, ou simplement prendre connaissance du contenu de cet appel, peut en faire la demande auprès du journal (6).

     En fin d’après midi, on ouvrit le débat sur la place du travail salarié dans la société capitaliste et les modalités de sa remise en question. De nombreuses pistes furent discutées, au nombre desquelles, la critique du productivisme, le mythe de la croissance ou encore l’utilité sociale du travail. Une façon de rappeler que cette société ne peut être aménagée comme semble l’entendre la gauche de la gauche.

 Parce qu’il faut bien conclure.

     Des regrets bien sûr, l’absence remarquée des membres du comité de chômeurs de la C.G.T. qui étaient cordialement invités et à qui nous aurions volontiers laissé la parole. Ce n’est peut-être que partie remise… Mais surtout, les chômeurs, qui nous le savons, ont beaucoup à dire et comme celles et ceux que nous avons rencontré devant l’A.N.P.E. ou ailleurs, n’osent encore faire le pas.

     La Voix du Nord s’était déplacée pour l’occasion mais à la lecture de l’article qu’elle a consacré à ce bilan public, nous n’avons pas l’impression d’avoir participer au même débat. Voici l’article en question.

d-bat Mvt ch-meurs

     Enfin, la satisfaction d’avoir permis à celles et ceux qui luttent de confronter leurs expériences et ce dans un cadre collectif. Pour toute réaction, information, consultation des tracts rédigés par le collectif, vous pouvez écrire au « Collectif Vivre Autrement », B.P. 403, 62206 Boulogne/Mer Cedex.

Boulogne-sur-mer. Novembre 1998.

Notes

 (1) L’ADEFOR (Association Droit pour l’Emploi, à la Formation, à l’Orientation et à la Réinsertion), comme nous l’avons précisé dans le n°17 de la Mouette n’est pas une structure de lutte.

(2) Un mouvement, se définit pour nous plus par les formes de luttes qu’il se donne que par le nombre de ses acteurs et la légitimité que le pouvoir et les médias lui reconnaissent.

(3) La Mouette Enragée/Organisation Communiste Libertaire, la Confédération Nationale du Travail, la Fédération Anarchiste.

(4) Fruit de la lutte, le local, auquel vous pouvez contacter le collectif arrageois porte le nom de « Nouvelle Commune » 82 rue Meaulens 62 000 Arras. Tel 03.21.51.42.16.

(5) Le smic-jeune de Balladur.

(6) A ce titre, nous conseillons de se procurer auprès du « Collectif d’aide aux manifestant/es interpellé/es » au 21 ter rue Voltaire, 75011 Paris, le guide du manifestant interpellé. Principes et conseils pratiques. Contre un timbre à 3,50 Francs.

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Mouvement des chômeurs à Boulogne-sur-mer

 A plusieurs reprises la comité local des chômeurs C.G.T. se trouva à l’initiative de diverses actions et autres manifestations de rues : barrage filtrant devant les ASSEDIC à St Martin-Boulogne, action à la C.A.F. Boulevard Clocheville, rencontres avec des responsables de la C.C.I. et du C.C.A.S. Pour avoir assisté ou participé de son côté à ces initiatives comme à d’autres en d’autres lieux, la Mouette saisit ici l’occasion de tirer quelques enseignements.

  Aux dires du directeur de l’antenne locale de l’ ANPE, Boulogne-sur-mer compterait 17 % de demandeurs d’emplois (1). Si on ajoute à ces chiffes les non-inscrits sous tous profils, nous arrivons plus sérieusement à un taux supérieur à 20 %. On peut donc s’interroger sur le pourquoi d’une si faible mobilisation locale en plein mouvement de chômeurs. Face à l’ absence complète de mouvement comme à Calais ou à Dunkerque, on peut se féliciter de l’initiative syndicale mais l’occasion permettait pourtant de multiplier les initiatives et de lancer le débat dans bien des directions. C’est ce que nous ferons publiquement le 13 juin à partir de 15 heures dans la salle du C.C.A.S. de Boulogne-sur-Mer.

 Les acteurs de la mobilisation

 Soulignons d’abord l’ absence de l’ADEFOR. Il est vrai, que cette association largement subventionnée, ressemble par trop à une amicale de dames patronnesses pour tenter de faire bouger un temps soit peu les choses. Proche de la C.F.D.T. elle assume son rôle de pompier social, affirmant avec une certaine candeur aux copines de la Mouette de passage dans ses locaux qu’ A.C. ! (Agir contre le chômage) “est une organisation politique, des durs… »

Du côté de la C.G.T., c’est un peu différent. On a eu l’occasion de rencontrer des gens sympathiques et intéressants à la base (2). Mais il est clair que la stratégie du syndicat reste dans la forme comme sur le fond, celle d’une structure verticale qui compte nombre de relais au gouvernement. On s’interroge encore sur la réelle prise en charge du mouvement par les chômeurs eux-mêmes, quand ceux-ci se retrouvent à distribuer la propagande gouvernementale de leur syndicat sur les 35 heures… D’autre part, s’inviter au C.C.A.S. ou a la C.C.I., quand le jour même on ouvre sur la ville une nouvelle antenne ASSEDIC, c’est stratégiquement très fort… Pour l’anecdote, quelques membres de la Mouette y ont attendu à l’intérieur et à l’extérieur de l’édifice durant une partie de la matinée une très hypothétique arrivée de renforts (3).

 Sur le fond des revendications, localement, rien de très original n’est apparu, comme ailleurs, l’accent a été mis sur le retour à l’emploi, la hausse des minima-sociaux, la prime de 3000 francs et les fameuses pour ne pas dire fumeuses 35 heures.

 En ce qui nous concerne

Pour l’occasion, la Mouette et la Confédération Nationale du Travail (4) avaient décidé d’un commun accord de faire entendre un autre son de cloche. Nous avons essayé de prendre contact avec des chômeurs/euses au moment où le conflit était le plus médiatisé. Les réactions étaient timides, mais lorsque les gens se décident à parler, il apparaît clairement que la coupe est pleine. A plusieurs reprises, nous avons distribué nos tracts devantl’A.N.P.E.ou sur le marché de la place Vignon. Ils le furent également à Dunkerque et Berck par les camarades de la CNT. Il est toutefois difficile de bousculer les habitudes et l’isolement avec un discours qui ne fait sens que lorsqu’il est partagé avec une communauté en lutte.

tract.Mvt CHOM-2Tract diffusé par la Mouette et la CNT

  Il nous est aussi apparu important de pointer le danger qui existe à séparer des conditions qui ne sont que celles qu’impose le système lui-même, de désamorcer le discours, qui depuis quelques années maintenant, présente aux yeux de l’opinion ceux qui se vendent à un patron comme des nantis. Pour nous, l’exploitation au travail comme la misère vécue par celles et ceux qui se raccrochent aux minima-sociaux n’est qu’une et même conséquence de l’exploitation capitaliste. Dans ce cas, l’alternative ne se situe pas dans un retour à l’emploi définitivement hors propos mais dans la remise en question du travail salarié lui-même. Ce qui ne signifie aucunement la fin de toute activité de production mais sa redéfinition et son partage en fonction des besoins définis par la collectivité elle même.

 Et maintenant

 A l’heure où nous tapons ces lignes, nous préparons un forum public qui se tiendra le samedi 13 juin dans la salle du C.C.A.S. de Boulogne-sur-mer. La Mouette Enragée, l’Organisation Communiste Libertaire, la Confédération Nationale du Travail/Côte d’Opale, la Fédération anarchiste/Côte d’Opale appellent au titre du collectif “Vivre Autrement” à venir débattre du mouvement des chômeurs avec une intervention du comité des privés d’emploi de la CNT de Béthune, de la criminalisation du mouvement social avec l’intervention d’un occupant d’une antenne ASSEDIC de Lille victime de la répression. Et enfin, du travail salarié et de sa remise en question par un camarade de l’OCL.

Boulogne-sur-mer. Juin 1998.

Notes

(1) Cette personne que nous avons rencontré personnellement l’année dernière ne semblait pas des plus précis sur le nombre réel de chômeurs que compte la ville.

(2) Pour ce qui est des « chefs » c’est une autre histoire… Ne t’inquiète pas Daniel, on ne te volera pas ton fond de commerce, on n’en veut pas. Et il ne faut pas toujours croire ce que l’on raconte sur les méchants manipulateurs anarchistes …

(3) Bien sûr que c’est aux chômeurs/euses de déterminer les modalités de l’action, mais dans le cas présent, était-ce véritablement le cas ?

(4) La C.N.T. est une organisation syndicale qui se réclame du syndicalisme révolutionnaire et de 1’ anarchosyndicalisme. Elle se considère en France comme l’héritière de la C.G.T.S.R. ou de la C.N.T. espagnole. Elle est maintenant présente sur Boulogne et ses environs.

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La lutte des chômeurs, précaires et solidaires

Après la lutte des sans papiers et le mouvement de novembre-décembre 1995, l’action prolongée des chômeurs et précaires apporte une nouvelle pierre à la recomposition du mouvement social. Si l’on peut se réjouir du contenu de classe et de la radicalité dont il a été porteur, la vigilance s’impose afin de prévenir toute tentative de mise sous tutelle par les appareils de la gauche. Autre danger et non des moindre, la criminalisation de la lutte et de celles et ceux qui la portent : de multiples peines de prison, le plus souvent avec sursis ainsi que des amendes ont été distribuées à des chômeurs en lutte.

tract. Mvt. Ch-meurs-1.

A cette occasion, la Mouette Enragée a fait paraître des tracts

  Ce mouvement est apparu comme première sur la scène sociale, une flambée spontanée largement relayée par les médias. Les chômeurs habituellement évoqués sous la forme de la seule statistique se rendaient cette fois visibles et offensifs. Par ailleurs, on ne saurait ignorer les années d’actions ponctuelles menées aux quatre coins de l’hexagone par des collectifs locaux aux revendications et contenus souvent différents. Il nous semble pourtant raisonnable de relativiser l’ampleur de la mobilisation. Elle est restée et demeure en dessous des possibilités qu’offriraient un mouvement axé sur la question du travail, du chômage et de la précarité. Le gouvernement le sait et n’a pas hésité à tout mettre en œuvre pour d’abord freiner puis ensuite criminaliser une dynamique qui pouvait sinon l’emporter au moins sérieusement le mettre à mal. (1)

 Ayant pris la mesure du danger, les socialistes, puis dans un deuxième temps les représentants des principaux groupes de chômeurs : C.G.T., A.C. ! , M.N.C.R , A.P.E.I.S. tous débordés tant par les revendications formulées que dans les formes que prirent les actions, ont rapidement tenu un double langage. (2) Le milliard et la matraque pour Jospin, la prime et les 35 h pour la C.G.T. , sans oublier du côté d’A.C. ! Aguiton, V.R.P. multicarte du gauchisme institutionnel, qui ne voulait surtout pas mettre le gouvernement en difficulté, voyant même dans ce mouvement une chance offerte à ce dernier … Depuis le plus fort de la mobilisation en janvier, les choses ont évolué. Une redistribution des cartes s’est opérée et la lutte continue toujours, bien qu’elle ait quitté les feux de l’actualité.

 Quand toujours plus de richesses = toujours plus de misère !

 Une évidence s’impose, la misère a suivi une courbe ascendante et identique à celle des richesses produites dans ce pays. Durant les quinze dernières années, la richesse, fruit direct du travail rémunéré, a augmenté de 2000 francs par habitant et par mois. Dans le même temps, une fraction toujours plus grande de la population a connu une aggravation de ses conditions de vie. Ce paradoxe à lui seul apparaît comme déterminant dans les récentes humeurs sociales. Les revendications immédiates comme la hausse des minima traduisent la volonté des acteurs de s’opposer à la croissance quotidienne de la pauvreté. En 1970,on comptait 2,3 millions de bénéficiaires des minima sociaux, depuis le nombre des prestataires s’est accru de 43 % (3). Ce sont plus de 7 millions de personnes (dont nombre de salariés) qui vivent actuellement en dessous du seuil de pauvreté. A noter que, durant les quinze dernières années, le montant des minima a stagné. Dans ce climat, l’accumulation des scandales financiers tel le Crédit Lyonnais, les valses de la bourse ou la course à l’Euro, jouent à plein l’effet dissonant. Il n’en fallait pas plus en pleine période de Noël où l’hystérie consumériste bat son plein pour soulever la contradiction.

 Le processus s’est enclenché à Marseille lorsque les comités de chômeurs C.G.T. ont revendiqué une prime de Noël. Puis ce fut au tour du collectif de chômeur(euse)s d’Arras de réclamer la hausse des minima en se lançant dans l’occupation de la caisse ASSEDIC (4). Ce ne fut alors que le début d’une longue suite.

 

Extrait SOIR 3 – 29/12/1997 (INA)

Vers un retour de la radicalité

 A la différence d’une lutte se menant dans une boite, les chômeurs ne se battent pas sur un lieu défini, d’où la difficulté rencontrée à s’organiser lorsqu’on est isolé. Les occupations d’ A.N.P.E. et d’ASSEDIC ont donc permis dans un premier temps, de fixer des endroits où les personnes qui voulaient lutter avaient la possibilité de se retrouver. C’est là que furent élaborées les modalités de l’action, menés les débats, multipliés les contacts à l’aide de tous les moyens de communication à disposition Ce fut également l’occasion pour nombre de personnes cassées et isolées de retrouver une place dans un espace collectif, de se ré-approprier pour un temps leur existence. Quand le pouvoir a eu compris que ces occupations permettaient un élargissement et une structuration du mouvement, il ordonna les évacuations, le plus souvent dans la violence. La fin des évacuations vit les comités réinvestir le plus souvent dans un laps de temps plus court, des lieux directement liés à la précarisation ou à la misère des personnes comme les centre E.D.F, les cabinets d’huissiers etc… Mais surtout, cette lutte a renoué avec des modes d’actions disparus de la scène sociale dans les années 80 : occupations ou déménagements de lieux symbolisant le pouvoir de l’ argent, comme les Crédit Lyonnais, la Bourse de Commerce à Paris, les C.C.1… Réquisition de nourriture dans les supermarchés, prise de repas dans les restos de luxe, actions contre les magasins de crédit style Crazy Georges, Cash Conventer… Sans oublier les mairies ou les sièges du Parti Socialiste qui connurent la visite de chômeur(euse)s en colère. La ré-émergence de ces modes d’action n’est passée inaperçue aux yeux de personne. D’une part, ils témoignent d’un certain niveau de radicalité qui ne se contente plus de s’affirmer au travers du seul discours. Ensuite, pour une fraction des personnes qui luttent, l’action directe redevient le moyen de satisfaire -le plus souvent en partie- leurs revendications. C’est le cas des luttes pour le logement où l’occupation est le moyen le plus sûr de se loger dans l’ urgence mais aussi de porter sur la place publique les contradictions du système. Cela ne va pas sans appeler en retour, en fonction du niveau de contrôle exercé par les organisations légitimées par le pouvoir sur le mouvement, sa criminalisation et celle de ses acteurs.

 La gauche dans le mouvement et au pouvoir, danger !

 Etre au pouvoir et dans la rue est dorénavant possible. C’est avec une ubiquité manifeste que la gauche a donné le spectacle. Tantôt dans les occupations, les manifs, sous l’étiquette des Verts, du P.C.F., de la C.G.T. ou d’A.C… les représentants de la gauche plurielle se retrouvaient au coude à coude avec les chômeurs. Ce paradoxe apparent trouva son aboutissement dans un soutien à peine voilé au gouvernement lors des manifs précédant les élections régionales. Après la reconnaissance des principales organisations de chômeurs par Jospin, on assista à l’instrumentalisation rapide du mouvement. Le comité C.G.T. de Marseille, un des premiers à s’être engagé dans la lutte, rentra à la maison, tandis qu’aux quatre coins de l’hexagone, la centrale de Voinet s’empressa d’utiliser ses comités locaux afinr d’appuyer la loi sur les 35 h. En obtenant une place à la table des organismes de gestion, les quatre C.G.T., A.C. ! , M.N.C.P. et A.P. E. 1. S . vont jouer la carte du “donnant donnant”. La C.G.T. s’est ainsi imposée comme la référence syndicale face à F.O. et la C.F.D.T. (5), exclus de fait de cette lutte puisque gestionnaires avec le C.N.P.F. de l’UNEDIC.

 En réponse aux pratiques verticales des associations et des syndicats, une « coordination autonome des collectifs de chômeurs, précaires et solidaires” s’est réunie en février à Nantes ainsi qu’en avril à Strasbourg. Elle regroupe des collectifs locaux qui entendent se structurer en réseau afin de garder le contrôle du contenu des revendications et de la forme de la mobilisation (assemblée générale souveraine). Ce regroupement a déjà lancé des actions communes, gageons que sa dynamique permette un rebond du mouvement ainsi que son élargissement …

 Du travail ! … à la remise en cause de sa centralité

 Le contenu des revendications illustre bien les lignes de partage qui traversent la lutte. Dans un premier temps, la revendication d’une revalorisation de 1500 F de tous les minima sociaux a opéré comme un catalyseur et permis de donner une unité au mouvement. Rapidement, la liste des revendications s’est allongée signifiant la nécessité de pouvoir vivre dignement même sans travail. Et c’est tout naturellement que, face à l’accumulation toujours plus grande de la richesse entre les mains de quelques uns, le partage du gâteau est revenu avec force dans les esprits et les discours. Mais certains mythes ont la vie dure et notamment celui du retour au plein emploi porté par la C.G.T. Les incantations sur le plein emploi n’ont jusqu’ici servi qu’à développer les petits boulots, la précarité et la flexibilité sous couvert de lutte contre le chômage. La période offre l’opportunité de renvoyer au travail salarié sa critique radicale. Et si elle rencontre toujours des difficultés à être entendue ou comprise, elle n’en demeure pas moins porteuse de sens.

Le temps est venu de s’interroger sur la place qu’occupe le travail dans notre vie. Que voulons nous produire et de quelle façon voulons nous le faire, pour quel coût social et écologique. Dans une société où la logique du profit façonne toujours plus les conduites, le dire et le faire, nous devons nous ré-approprier nos existences. Voulons nous réellement perdre notre vie à la gagner derrière une caisse de super-marché, dans une centrale nucléaire, une usine d’armement, pour un emploi-jeune sans avenir ? Il nous faut rompre avec une certaine logique, celle qui nous impose l’identification au poste que l’on nous impose dans la production, ou en nous en excluant, ce qui chez nombre d’entre nous ne génère que culpabilité et repli sur soi. Des collectifs de chômeurs et de précaires ont au delà des revendications immédiates qu’ils ont formulé, commencé à réfléchir à ces questions. A nous de creuser ces pistes car il y a autre chose à défendre que notre survie par des allocations de misère ou la mort lente au bureau et à l’usine !

 Notes

(1) Depuis la lutte contre le C.I.P., il y a une volonté manifeste de la part de l’Etat de réprimer de façon expéditive les mouvements sociaux. La lutte des chômeurs a permis au pouvoir de réitérer la pratique en utilisant la violence et les actions en justice contre des militant(e)s ou des acteur(trice)s de ce mouvement. Nous reviendrons sur cette question ultérieurement.

A.C. ! est une organisation à l’origine mise sur pied par des syndicalistes (la fameuse gauche syndicale) et qui se retrouvent autour de la revue Collectif. La direction de cette structure vise à réactiver les schémas sociaux-démocrates de « la gauche de la gauche », toutefois, certains collectifs d’A.C. ! poussent la réflexion au delà.

Source « A Contre Courant » B. P. 2123 68060 Mulhouse Cedex.

(4) « le président de la C.F.D.T. des ASSEDIC d’Arras demande au tribunal l’expulsion en citant plusieurs noms. Une ordonnance sera rendue dans ce sens ». in « le poing des sans » journal du mouvement des chômeurs d’Arras et d’ailleurs.

La participation des Assoc de chômeurs à la gestion des fonds qui leur sont alloués est très mal perçu par la C.F.D.T. Notat affirme que c’est aux syndicats que revient ce rôle.

Boulogne-sur-mer. Juin 1998.

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Occupations ASSEDIC à Lille et CAF à Boulogne-sur-mer

Avant toute chose, petit rappel de l’actualité du moment. Amorçé à la fin de l’année 1997, le mouvement des chômeurs ne s’essouffle pas avec les fêtes de fin d’année. Bien au contraire, les ASSEDIC sont occupées partout en France et les chômeurs ont passé le réveillon dans les agences occupées. Petit aperçu des JT de l’époque.

Extrait JT A2 20H – 31/12/1997

Violences policières contre les occupants des ASSEDIC du « Port de Lille”

Mercredi 7 janvier 1998, comme de nombreuses antennes lilloises, les ASSEDICdu quartier Port de Lille connaissent une occupation de locaux. Vers 16 heures une vingtaine de chômeurs, précaires et sympathisants investissent les lieux. Ils seront bientôt rejoints par des militants de la C.G.T. et d’A.C. Au bout d’une heure, une rumeur annonce l’intervention imminente des forces de police. C’est sans surprise que l’on voit alors arriver au pas de course une quarantaine de flics entrés dans l’édifice par une porte dérobée. Le responsable des ASSEDICdemande immédiatement à l’ensemble des occupants d’évacuer la place. Au moment où nous commençons à passer la porte de l’antenne, les flics s’en prennent sans raison aux derniers manifestants qui quittent les lieux. Trois personnes sont alors molestées et frappées après s’être fait jeter à terre. A notre connaissance, au moins une d’entre elles passera prochainement en procès pour “violence à agent ».

Aussi scandaleux qu’il puisse apparaître, cet événement illustre le mépris dans lequel le pouvoir et sa police tiennent celles et ceux qui refusent la misère et l’injustice de ce système.

Des scènes similaires de répression ont lieu à Arras. Extrait SOIR 3 – 10/01/1998

 

Occupation de la CAF à Boulogne-sur-mer

 occup de la CAfArticle de la presse bourgeoise, la Voix du Nord

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Pêche, le saccage continue

La situation dans le domaine de la pêche n’a pas véritablement évolué depuis l’année passée, on ne voit d’ailleurs pas comment il pourrait en être autrement. C’est pour nous l’occasion de réaffirmer 1’urgence d’une exploitation respectueuse du milieu et donc en rupture avec « les exigences du marché ».

     Le projet de loi de Philippe Vasseur qui devrait entrer en vigueur au début de l’année 97, se veut une réponse aux problèmes rencontrés par ce secteur d’activité depuis une décennie. Souvenez vous qu’il aura fallu que les marins pêcheurs tiennent le haut de l’actualité pour que les pouvoirs publics se pressent au chevet du malade. Et pourtant, à l’examen du projet ministériel, il ne fait aucun doute que les causes profondes de la crise ne trouveront cette fois encore de conclusion pour la simple raison que la logique productiviste qui hypothèque à terme la ressource assoit l’ossature de ce plan.

marché

Marché, vous avez dit marché…

Indéniablement, les recettes préconisées ne sont qu’une allégeance à peine dissimulée aux intérêts du marché. En reprenant les termes du texte, « mieux gérer la ressource en intégrant pleinement les données du Marché… prenant en compte les besoins économiques et sociaux des populations et des régions » on comprend à l’évidence que toute sortie équilibrée de l’impasse prédatrice dans laquelle s’est engouffrée l’exploitation des fonds n’est d’aucune manière envisagée. Pour le moins, il convient de s’interroger sur ce qu’entend le ministre dans ce qui constitue le deuxième point de son projet en proposant « la régulation des apports et les besoins du marché ». Car le marché objet de toutes les justifications de la politique libérale, n’est pas la main invisible qui d’une façon quasi parfaite établit la concordance entre l’offre et la demande. Dans la réalité, les besoins ne sont pas ceux qu’il s’agit de satisfaire biologiquement et socialement mais plutôt les fruits d’un conditionnement qui fluctue au rythme des profits fixés. Ainsi lorsque P. Vasseur fait mine de prendre en considération les contraintes du milieu naturel, c’est pour mieux refuser à Bruxelles la réduction de 20 à 40 % des captures préconisée par un groupe de scientifiques.

     Cette commission a estimé la diminution des prises vitale pour l’équilibre des espèces démersales (cabillaud, églefin, merlan … ) et pélagiques avant la fin de l’année 2002. A cette annonce la levée de bouclier fut unanime chez les ministres concernés. Une réaction inquiétante quand on sait que la revendication émanent d’un groupe de chercheurs opérant pour le compte des marchands européens. Par ailleurs la contradiction n’est qu’apparente, puisque la protection des stocks n’ambitionne pas de rétablir un équilibre par trop compromis mais plutôt de permettre l’augmentation de la production mondiale de 15 à 20 %. Logique suicidaire qu’illustrent les résultats obtenus par le port boulonnais en 1994 avec une baisse de 6 % des prises et de 9 % selon les prévisions établies pour l’année 1995. La bande côtière, zone de surexploitation comme espace d’évolution des poissons les plus jeunes, qui mériterait une intervention rapide dans le but de rétablir la situation, ne fera l’objet d’un examen que dans deux ans…

Le poisson à toutes les sauces

    Rien donc, ne semble pouvoir freiner ces halieutivores dans leur incessante quête de profits, puisqu’ils fixent à 500 000tonnes la quantité de produits que traitera le complexe de transformation de la ressource dans les dix ans à venir au lieu des 300 000tonnes actuelles. Pour ce faire, le ministre de la mer a réaffirmé la nécessité d’accroître les importations afin de faire face à la situation déficitaire que connaîtrait en ce moment le marché français. Déficitaire signifiant qu’il ne rapporte pas ce qu’il devrait. Il rappela dans le but de calmer les esprits des producteurs que les importations feront l’objet de contrôles sanitaires stricts. D’un ministère à l’autre, si notre homme sert un discours qui semble en apparence ménager la chèvre et le consommateur, dans les faits, il couvre les intérêts financiers des magnats de l’agro-alimentaire et de la grande distribution. En effet, la part que se taillent les hyper et supermarchés dans la commercialisation des produits maritimes est de l’ordre de 51 %, et représente 5 % de leur chiffre d’affaire dans le domaine alimentaire. On comprend alors mieux ce qu’entend P. Vasseur lorsqu’il évoque le déficit du marché français.

     La consommation de poisson frais a augmenté de 9 % en 1995,une croissance à mettre en parallèle avec l’essor des produits surgelés et une modification des habitudes alimentaires. Ce tournant ne correspond ni a une croissance de la population, qui impliquerait un approvisionnement accru, ni à un changement qualitatif de la manière de se nourrir -le poisson, grâce à ses acides gras saturés, permet d’éviter les maladies coronariennes- mais plus prosaïquement aux pratiques commerciales des patrons de grandes surface.

Une autre logique s’impose.

     En rappelant lors du salon Profish que la population mondiale atteindra les 10 milliards dans la première moitié du siècle prochain et que le défi à relever sera aussi alimentaire, le président d’IFREMER ne croyait pas si bien dire. La contrainte démographique pèsera de tout son poids dans la recherche d’une alternative au saccage systématique des milieux naturels et des conséquences qu’il implique. Il semblait acquis il y a encore vingt ans que les ressources halieutiques étaient inépuisables, on sait dorénavant qu’il n’en est rien. A l’époque, certains envisageaient même de pourvoir aux besoins alimentaires des zones géographiques touchées par la famine grâce aux ressources aquatiques. Il est maintenant démontré que le mode de production dominant est dans l’incapacité de satisfaire les besoins les plus élémentaires d’une population mondiale en constant développement. Il s’impose donc à nous de redéfinir notre rapport à la production dans ce domaine, en privilégiant la satisfaction réelle de nos besoin alimentaires comme l’exploitation équilibrée du milieu naturel. Cela signifie rien de moins que la rupture avec le modèle économique en question et la recherche et l’application d’alternatives visant à satisfaire les besoins des populations concernées. On pense donc dans un premier temps :

– A l’arrêt des activités spoliatrices des eaux des pays les plus pauvres par les pays les plus riches. Monsieur Vasseur ayant réaffirmé que les importations insuffisantes en provenance des pays européens proviendraient des pays tiers (2).

– A une modification des techniques de pêche (puisque les quotas n’enrayent pas la diminution des stocks due à un chalutage manquant de sélectivité) comme à la diminution des prises des espèces les plus touchées.

– Le refus du POP IV assimilé à une réduction du nombre d’unités en exercice n’est que la démonstration de la fuite en avant qui tient lieu de politique en matière de pêche depuis des années. On ne peut nier les conséquences sociales qu’implique la réduction du nombre de ces unités, la seule politique qui pouvait éviter cette casse est celle qui consisterait à organiser le secteur afin de produire en fonction des ressources et des besoins spécifiques et non en fonction des intérêts des distributeurs.

– A la fin du bradage inqualifiable de quantités énormes de poissons par leur transformation en farines animales. Ce qui implique la remise en question du système des cours qui génère cette hérésie. La façon dont les responsables de tous poils ont géré cette affaire s’apparente à une véritable partie de roulette russe tant leur horizon s’arrête là où commence à poindre l’odeur de l’argent.

(1): Si on a consommé plus de poisson durant ces dernières années, tout le monde ne met pas la même chose dans son assiette. Ainsi le poisson frais est ainsi consommé par les milieux aisés et les plus de 50 ans. Pour les plus jeunes et les milieux modestes , on se contentera de poisson pané (La pêche Maritime).

(2): Voir Mouette n° 11.

Boulogne-sur-mer. Novembre 1996.

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Novembre-décembre 1995 : un automne chaud contre le “Plan Juppé”

Tout commence par un mouvement étudiant d’ampleur nationale, redite quasi annuelle où l’on croit deviner ça et là le dépassement des traditionnelles revendications matérielles. Dans quelques endroits, les étudiants affichent la volonté de rattacher la problématique au fonctionnement de la société elle-même. Une approche qui semble un peu nouvelle dans la période et trouvera un début de concrétisation au travers de la rencontre dans l’action des étudiants et des travailleurs (1). En parallèle, l’attaque frontale du gouvernement sur deux dossiers : la sécu, fonds de commerce de FO, et la SNCF,secteur rompu de longue date aux luttes fournira les ingrédients nécessaires à l’émergence d’une dynamique qui allait dépasser le cadre étroit du départ.

En complément, un article Wikipédia ici pour se rappeler la chronologie

 LA LIGNE EST COUPÉE…

     Première surprise et non des moindres, ce mouvement éclate en pleine hystérie sécuritaire. Depuis des semaines, la France vit quadrillée par l’armée et la police. La vague d’attentats de l’été avait fourni l’occasion au gouvernement Chirac de s’assurer au travers de son plan Vigipirate l’adhésion de la population à son endroit et de museler ainsi les foyers de tension sociale que sont les banlieues. Une façon déjàéprouvée de taire les véritables problèmes, d’atomiser toujours plus les individus sur fond de basses besognes diplomatiques. Rien donc, ne laissait présager un retour en force de la lutte. Et pourtant…

 … LA COMMUNICATION ROMPUE !

     Régulièrement dans les médias, on attribue l’échec du gouvernement à un défaut de communication. Ainsi, ce ne serait pas le contenu de la « réforme » qui serait en cause, mais la manière avec laquelle elle fut présentée aux travailleurs. Il est certain que la gauche se serait montrée moins maladroite dans sa façon de gruger le client. Question de style…

    Pourtant, les multiples tentatives de culpabiliser les grévistes échoueront. Il faut remonter à la période de la Guerre du Golfe pour retrouver des médias se déployant au grand jour comme les alter-ego du pouvoir. A leur tour, les « comités de défense de la République », comme les “comités d’usagers” feront long feu. Le divorce avec le pouvoir est patent et toute manœuvre de division échouera. Le spectacle disparaît pour un temps, c’est la vie qui reprend ses droits, et ce cheminot de Rouen ne s’y trompait pas quand il affirmait: « Faudra plus faire confiance qu’en notre propre communication ! « 

 SUR QUEL ECHIQUIER SE JOUE LA PARTIE?

     Le front des attaques menées par le pouvoir va catalyser le mécontentement et déboucher sur une lutte défensive de grande ampleur. Mais cette fois, les catégories sociales prises comme cible inaugurent une redéfinition du champ de la lutte des classes. Le secteur public après le textile, la sidérurgie, l’automobile, les chantiers navals ou la petite paysannerie se retrouve à son tour dans le collimateur des restructurations. Que ce soit le contrat de plan de la SNCF,les privatisations de France-Telecom, la fin du monopole d’EDFet plus globalement la casse de la “Sécurité sociale”, les enjeux du conflit sont ceux de la redistribution du capital en matière de services dans une économie globale où le cadre national est en phase de dépassement.

 LA LUTTE ENTRE LES CLASSES AU GRAND JOUR

     On a assisté à un renouveau identitaire, que ce soit au travers des slogans, comme le très prisé : « tous ensemble« , ou par le dépassement des clivages catégoriels. Le sentiment d’appartenance était de nouveau vécu comme porteur de sens autant que comme une nécessité. Les travailleurs ont, dans ce conflit, renoué avec leur histoire et redécouvert pour un temps les possibles de l’action collective. Baptême du feu pour des générations de jeunes et de salariés, l’automne 1995constitue dorénavant une référence qu’ils ont contribué à construire. La première pour bon nombre d’entre eux. C’est à un retour fulgurant du politique auquel on a assisté. Non pas celui des appareils discrédités d’un bout à l’autre de l’échiquier mais à celui de la prise en charge par les travailleurs de leurs propres problèmes.(2)

      Le système des valeurs de cette société n’a pas non plus été épargné. Les multiples actes de solidarité qui se sont exprimés, basculement en heures creuses, le transport gratuit, le ramassage des ordures dans les quartiers populaires, les aides financières multiples, souvent par l’action directe, ont contribué à battre en brèche le conditionnement de la société du spectacle sur un court laps de temps. Simplement les gens étaient heureux d’être ensemble, enfin ensemble dans la rue. C’est bien la démonstration qu’il est possible de vivre autre chose et autrement. Ce que beaucoup exprimèrent à leur façon : « Les gens parlaient, rigolaient de tout.. comme dans une fête » (un marcheur de Paris en grève). « Ils se disent que quelque chose est peut être en train de changer. Ils savent qu’ils peuvent rêver » (Un manifestant le 28.11.95).

 

Mvt 1995. B.

FORCER L’HORIZON ?

     « Insurrection ! » (Titre d’une affiche placardée dans un local de la gare Paris-Nord). Un prétexte, le plan Juppé ? Non, bien sûr, mais on exprima plus que la défense d’acquis sociaux et du service public. De façon confuse, c’est partout : dans les AG, dans les manifs, lors d’actions … que jaillit le ras-le bol d’une société basée sur le fric et la compétition. Pourtant il est difficile d’y entrevoir clairement la volonté affichée d’une rupture. Est-ce à déplorer ? Certainement, mais l’absence de la gauche pendant le mouvement sera peut-être apparue comme un espace dans lequel pourra s’exprimer avec discernement au fur et à mesure des luttes prochaines, la nécessité de redéfinir les contours de ce que l’on veut vivre et non plus nous faire vivre. D’ailleurs, revenons un instant sur la position de la gauche. Le P.S. a brillé par son silence, bien sûr, il avait appuyé le plan Juppé et son absence totale de projet politique a démontré son inutilité et sa nocivité. Il est resté caché, il avait tout intérêt. Quant au PCF qui n’impulse, ni ne contrôle plus les luttes depuis belle lurette, il s’est retrouvé, lui aussi, sur la touche.

DU COTE DES SYNDICATS

    Un des traits de ce mouvement fut sans nulle doute l’espace qu’y occupèrent les organisations syndicales. Localement, si elles apparurent comme les représentants légitimes de la contestation, la gestion quotidienne des rassemblements releva autant de l’accompagnement que de l’encadrement. Pour autant, on ne saurait affirmer qu’elles furent débordées par la base. D’abord, parce que dans la région, la lutte, si elle a connu des moments forts, n’exprima peut-être pas la radicalité qui se fit jour à d’autres endroits (occupations de mairies, séquestrations, sports gratuits .. ). Dans le même temps, on ne saurait ignorer les manifestations de mauvaise humeur qui secouèrent certains bureaucrates. Un vent de fronde caressa les rangs de la FEN dont les pratiques quasi staliniennes et les revendications catégorielles en échaudèrent plus d’un. A EDF, c’est le représentant de la CFDTqui se fit remercier après sa tentative d’explication de la position de Nicole Notat. La FSU, quant à elle, joua sur les deux tableaux empêtrée dans sa logique de syndicat co-gestionnaire au vernis revendicatif. Même si la grève fut reconduite pendant une semaine en AG, toute tentative d’ouverture interprofessionnelle fut occultée, ce qui ne fut pas le cas sur l’ensemble du territoire, bien sûr.

     Mais pour comprendre l’événement sous son jour syndical, il faut revenir dix ans en arrière. Une longue descente aux enfers qui se traduit par un taux de syndicalisation de 8 % en 1995 et l’émergence des fameuses coordinations dans les mouvements qui jalonnèrent la période : cheminots 86, infirmières, enseignants… auront, pour le moins, incité plus d’un bureaucrate à la prudence. Il est évident qu’au fil du mouvement, et dans ce contexte, les syndicats relégués à une fonction d’assistance technique, ne pouvaient diriger une situation qui les dépassait de fait. Les confédérations avaient retenu la leçon et toute tentative un peu dirigiste de leur part pouvait conduire à un nouveau clash avec la base. Sans nul doute, durant le mouvement, ils auront tiré leur épingle du jeu.

     Mais surtout, c’est maintenant du pouvoir lui même que les organisations syndicales vont recevoir les sollicitations les plus pressantes. Car l’une des principales victoires de l’automne aura été l’échec de la politique de communication de l’État. Un État qui devra recourir impérativement à la responsabilité des corps intermédiaires et au premier rang desquels figureront les syndicats dans le but de désamorcer toute expression non digérable par le système. Car quel autre acteur intégré à l’appareil d’État se prêterait le mieux à cette fonction, si ce ne sont les syndicats ?

    D’ailleurs, il est une question qui est revenue sans cesse durant ces semaines de luttes : pourquoi le secteur privé n’ a-t-il jamais rejoint la lutte ? On nous a bien expliqué que le privé avait le sentiment d’être dans la grève par procuration, qu’une formidable manifestation de soutien s’éleva de ses rangs malgré les tentatives de division opérées par le pouvoir et par quelques intellectuels serviles. Pourtant, comment expliquer que les grandes entreprises dans lesquelles des sections syndicales sont implantées soient restées hors de la lutte ? La réponse c’est Blondel qui nous la sert lorsqu’il revendique la « généralisation » de la grève, qu’il prend soin de distinguer de la grève générale. Il est certain que l’entrée en scène du privé aurait chamboulé singulièrement le scénario qui s’acheva par le guignolesque “sommet social” que l’on sait.

     Pour l’heure, nous allons assister à une redéfinition du paysage syndical. Le contexte international (chute du bloc de l’Est), a manifestement joué en faveur du rapprochement entre la CGT et FO durant plus de trois semaines. La confédération de Viannet a d’ailleurs, dans les derniers textes de son congrès, tiré un trait sur le dépassement du capitalisme. La CFDT va-t-elle, une nouvelle fois, purger ses rangs pour apparaître comme le plus collabo des appareils, entendez l’interlocuteur privilégié du pouvoir ?

 QUELLES PERSPECTIVES ?

     Comme nous l’affirmions dans un tract que nous avons distribué le 12 décembre dans la manifestation boulonnaise : « C’est bien les travailleurs à la base, syndiqués et non syndiqués unis, qui sont la force de ce mouvement… et qui ne gagnera que si la base renforce sa détermination. Un mouvement qui doit se coordonner par exemple par des assemblées locales, interprofessionnelles, avec les chômeurs, et les étudiants, élisant directement leurs représentants… »

     Nous n’obtiendrons que ce que nous prendrons!

 

Boulogne-sur-mer. Février 1996.

1) Ces rencontres ont montré que bien des barrières étaient tombées durant l’automne. Est-ce à dire que les étudiants ont rompu avec l’ apolitisme naïf et imbécile qui les caractérise ?

2) Grand absent du mouvement, le Front national. Voilà la démonstration que seul le retour des luttes peut contraindre l’extrême droite à la boucler et à amorcer un recul.

 

Ce que disent les images de l’époque (aperçu, montage INA)

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Cheminots ! Au bout de la voie.. la victoire !

Nous reprenons certains passages d’un texte produit à la suite du mouvement de 1995 par un camarade cheminot syndiqué à la CGT. Si nous ne partageons pas l’entièreté de son approche d’essence syndicaliste – les bureaucraties syndicales de la SNCF ont d’abord pris soin de ne pas répéter les erreurs qui provoquèrent l’ apparition des coordinations de cheminots des années 80 – certains éléments de son récit ont leur place dans ce bref retour sur cette lutte qui entraîna dans son sillage un retour de la conflictualité : mouvement des sans-papiers de 1996, mouvement des chômeurs de 1997-1998, etc…

     Le 24 novembre, l’ensemble des organisations syndicales de la SNCF appellent les cheminots à faire grève. Les revendications portent sur deux points : la remise en cause de l’âge de départ en retraite, avec la durée d’allongement des cotisations de 37,5 à 40 années, mesure prévue dans le plan Juppé de casse de la Protection sociale et la signature du Contrat de Plan entre l’État et la SNCF, document qui prévoit la fermeture de 16 000 kms de lignes, la suppression massive d’emplois et une augmentation de la productivité.

    Les fédérations de Cheminots concluent leur appel commun à la grève par l’organisation sur chaque lieu de travail dès le vendredi, d’assemblées générales, afin de créer les conditions d’une poursuite de la grève au delà du 24 novembre.

    Le 24 novembre, la grève est massivement suivie, avec des pourcentages de participation de 90% dans le collège ouvrier, 75 % chez les Agents de Maîtrise et 60 % chez les cadres.

    Cette forte participation se révèle être immédiatement un formidable point d’appui pour la poursuite du mouvement. Les premières assemblées générales montrent une présence importante de cheminots, syndiqués et non-syndiqués, avec une réelle volonté de mobilisation. La grève reconduite, les cheminots rentrent alors dans un conflit qui va durer trois semaines, et être le moteur d’un mouvement social d’une importance essentielle en ce qu’il porte le refus de la pensée unique et du libéralisme européen.

COMMENT UNE LUTTE AUSSI FORTE ?

Si la lutte a été aussi forte à la SNCF,cela repose sur plusieurs raisons :

– d’abord, celle d’un réel mécontentement chez les cheminots. Ceux-ci refusent le démantèlement de la SNCF voulu par les technocrates et Bruxelles. L’ensemble des actions au cours de l’année 1995l’a montré. Les journées de lutte ont rassemblé au fur et à mesure qu’on avançait dans l’année de plus en plus de travailleurs. Le mouvement s’est ainsi construit tout au long de l’année 1995.

– Puis une pratique syndicale qui privilégie la base. Cela sera la méthode durant toute la grève, et donnera ainsi toute sa puissance au mouvement. Les cheminots vont s’approprier leur lutte.

   Il faut noter aussi que la fédération CFDT des cheminots est une opposante traditionnelle à la ligne confédérale. Ainsi, dès l’annonce du plan Juppé, elle a condamné fermement les positions de Nicole Notat.

 

LA GREVE A BOULOGNE

Mouvement de 1995

     L’assemblée générale se tient le matin à 8h ou 9h selon les opérations du jour prévues. On y discute de tout, du déroulement de la journée, des actions à mener, des personnalités à interpeller, de l’organisation du repas de midi… et surtout on y vote la poursuite du mouvement. Les votes ont lieu à main levée.

     Le piquet de grève est mis en place à l’entrée de la cour SERNAM dès le mardi 28 novembre. Le feu brûlera jusqu’au dernier jour de grève.

– Le mercredi 29 novembre, un rassemblement en gare, auquel seront conviés les usagers, rassemble 300 personnes.

– Le jeudi 30, les gaziers et électriciens du littoral, qui ont organisé une manifestation à Boulogne, viennent dissoudre leur rassemblement devant le piquet de grève des cheminots en fin d’après-midi. Leur visite sera saluée par un défilé dans le quartier de Brecquerecque, à la lumière des torches et au son des trompettes.

     A partir du vendredi 1er décembre, l’assemblée générale décide de ne laisser dans les locaux SNCFqu’un responsable de la direction, aidé d’un cadre, pour les questions de sécurité. Les non-grévistes (essentiellement des cadres et quelques agents de maîtrise) sont renvoyés chez eux. Ces derniers iront louer un local à Garomanche pour se donner l’illusion de leur utilité. A partir de ce moment, la gare appartient aux grévistes.

Le samedi 2 décembre, après une semaine de grève, les cheminots appellent la population à manifester en ville afin d’apporter leur soutien à la lutte. 1 500 personnes répondent à l’appel. L’importance de la manifestation étonne ce jour là, mais ce ne sera que la première d’une longue série. Elle renforce le moral des grévistes car on va assister à une série de défilés qui vont rassembler à chaque fois de plus en plus de monde :

– Mardi 5 décembre : 3 000 manifestants, au départ de la Bourse du Travail.

– Jeudi 7 décembre : 5 000 manifestants. La Bourse du Travail devient trop petite.

– Mardi 12 décembre : 10 000 manifestants envahissent Boulogne, une « marée humaine » titrera La Voix du Nord. Le départ se fera de la place Dalton. Les cheminots, symboliquement montent des voies de chemin de fer devant l’Eglise.

NOUS L’AVONS FAIT!

      Les objectifs étaient ambitieux mais les cheminots sont parvenus à emporter une bataille qui restera un moment important de l’Histoire sociale. Le Contrat de Plan est retiré et sera réécrit. Le gel de toutes les restructurations qu’il contenait arraché au gouvernement. Pas touche aux retraites et à la protection sociale.

     La lutte s’est caractérisée par la maturité de ses participants, qui a forcé le respect, la compréhension et la sympathie de l’opinion publique. Des comportements nouveaux ont été suscités chez l’ensemble des salariés. Les cheminots ont réveillé la conscience collective du monde du travail et des exclus. Ils ont fait naître un immense espoir en démontrant que l’on peut encore se battre et gagner.

TOUS ENSEMBLE

      Il y a des hivers où il fait moins froid quand… tous ensemble, tous ensemble, tous, tous, tous, on lutte pour gagner. Ce mouvement a donné un message fort: ENSEMBLE ON PEUT GAGNER!

Boulogne-sur-mer. Février 1996.

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Enseignants -gnants-gnants dans le mouvement

Le plan Juppé a été décidé le 15 novembre 1995 et les cheminots sont entrés en grève reconductible à partir du 24 du mois. Dans les écoles, on évitait le sujet et la grève fut décidée d’en haut, aucune décision ne fut prise par la base.

image Prof 1995.

    La FSU (Fédération des syndicats unitaires) déposa son préavis le 2 décembre pour ne commencer la grève que le 7 espérant ainsi qu’entre temps, les autres centrales syndicales se décideraient. Et en effet, la FEN (Fédération de l’Éducation nationale) a suivi. Localement, le trois quart des enseignants grévistes n’ont suivi le mouvement qu’à l’appel des syndicats qui leur ont donné la marche à suivre (et les instits osent critiquer l’assistanat !).

    Très peu d’entre eux ont stoppé le travail en ayant vraiment idée de ce qu’était le plan Juppé. Peu se sentaient concernés. Pas ou peu de discussions sur les lieux de travail ou dans les cortèges de manif. Le plus souvent, ils étaient là parce que M. FEN (la FSU étant minoritaire à Boulogne) avait dit que ce serait bien qu’ils y soient (mais ceux qui continuaient le travail avaient quand même le droit à toute son affection). C’est tout ! Et encore « faudrait pas qu’ ça dure parce que ça va coûter cher et qu’est-ce qu’il nous restera pour le réveillon ? » a été le leitmotiv quasi général.

     Les instits défilèrent joyeusement sous la bannière du S.N.U.I.P.P (syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC, appartenant à la FSU),visible de loin, pub oblige (« le syndicat a besoin de vous ! » ou plus tristement sous la bannière digne et austère de la FEN (on se serait cru à l’enterrement prémonitoire de Mitterrand !)

     Seuls quelques « agité-es » (dixit les responsables syndicaux eux-mêmes) ont tenter d’impulser une dynamique à la base, malheureusement assez vite retombée faute de combattants. Les syndicats enseignants s’appliquant à dépolitiser la grève, la FEN en centrant les revendications sur la retraite et en ne dénonçant pas le plan Juppé pour ce qu’il était ; le SNUIPP en « noyant le poisson » sous un ensemble de revendications catégorielles.

     Tout se termina comme il devait le jour où la FEN décida de la reprise du travail. Les enseignants se sont alors précipités dans leurs écoles, soulagés pour leur salaire (« on n’a pas trop perdu ») et pour leur retraite (« on a gagné »). Du côté du SNUIPP, le retour en classe se fit également dans l’ordre et comme prévu avant les sacro-saintes vacances de Noël. mais avec un peu plus de difficultés. Les syndiqués, moins nombreux, ayant le sentiment d’avoir eu davantage le droit à la parole. Si l’issue de cette « lutte » en a déçu et énervé certains, il en résulte que la réalité du syndicalisme enseignant est :

– celle d’un syndicalisme de service (« encartant » des consommateurs), réformiste (si, si, on peut se battre de l’intérieur pour un capitalisme plus humain) et catégoriel.

    Quant aux enseignants eux mêmes, ils se montrèrent peu conscients d’appartenir au même monde que celui des parents de leurs élèves, pseudos travailleurs-intellectuels ignorants de la sauce à laquelle ils seront mangés.

Boulogne-sur-mer. Février 1996.

 

………………………………………………………………

Encadré :

Visite en terre F.E.N

 

    Sans y être conviés, nous nous sommes incrustés lors des journées de grève dans une grand messe qui se voulait être une “assemblée générale” organisée par la FEN. Cette petite visite nous a permis d’assister à leurs “débats ». Ça commençait plutôt bien : y avait du monde, sur l’estrade comme dans la salle. Sur l’estrade, entouré de quelques “élus », un tribun populaire vêtu d’une panoplierévolutionnaire (costard noir, sous-pull rouge) haranguait la foule : « Camarades !” …

     Malheureusement ça s’ est arrêté là. Discours vide, ultra-corporatiste. La seule explication qui fut donnée du pourquoi de la grève fut la défense de la retraite des fonctionnaires !

     Le syndicat ayant chargé ses ministres sur terre (Labit entre autre) de prêcher auprès de son troupeau (les lnstit’s) la bonne parole : la grève, modérée, du bout des lèvres. Aucune possibilité ne fut donnée à ces derniers de réagir, de discuter, de débattre des modalités de la lutte, des raisons de la grève, ce qu’ils se gardèrent bien de tenter de faire soit dit en passant.

Bref, les dirigeants dirigent et ordonnent, la base applique. Si, si, la FEN est un syndicat DE-MO-CRA-TI-QUE !

 

………………………………………………………………

 

Boulogne-sur-mer. Février 1996.

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Le témoignage d’un marin pêcheur

boulogne sur mer zoom720

 

Voici le témoignage d’un marin de passage à Boulogne-sur-mer qui nous éclaire un peu plus sur les réalités de ce métier.

 

La Mouette : Comment trouves-tu du travail en règle général ?

 

Je viens du Calvados et je vais de port en port. J’ai des adresses ou je prends contact avec le Comité local des pêches, il y en a dans chaque port.

 

La Mouette : Tu travailles sur quel type de bateau ?

 

Sur des bateaux de pêche industrielle ou artisanale, ça dépend, mais ça me permet de connaître les différents types de pêche.

 

La Mouette : Peux-tu nous parler de tes conditions de travail ?

 

Généralement je suis en activité 7 mois dans l’année, mais les conditions sont différentes d’un bateau à l’autre. Le travail est difficile, tu es continuellement sur le qui-vive. Il faut savoir que tant qu’il y a du poisson, il y a du travail ; j’ai déjàtravaillé 48 heures d’affilées et les pauses sont rares. Évidemment, quand il y a une surcharge de travail et que les conditions sont difficiles, l’ambiance est parfois tendue… c’est normal… et parfois, c’est pour des conneries…

Dans la pêche artisanale l’ambiance est plus familiale ; sur les bateaux industriels les relations sont plus serrées, chacun tient à son poste, le second et le mécanicien ne mangent pas avec nous, tu vois… mais attention, bien souvent si le patron dit qu’il soutient les matelots lors des conflits, il reste le patron…

 

La Mouette : Comment s’applique la rémunération des équipages ?

 

D’abord, le patron soustrait les frais de gasoil, l’huile, le matériel, les vivres… en général le matelot a droit à une part, le novice 3/4 de part et le mousse 1/2 part. En fait cela dépend aussi des ports : à Cherbourg, le second recevait 1/4 de part en plus mais il s’occupait des épissures ; en fait c’est le patron qui décide.

 

La Mouette : Pour toi, à quoi sont dues les difficultés actuelles ?

 

Les importations ! C’est ce qui nous fait le plus de tort. Et le manque de poissons aussi, quoique en partie ce sont des conneries…

 

Boulogne-sur-mer. octobre 1995.

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Le saccage industriel des ressources halieutiques

Le saccage industriel des ressources halieutiques

 

La crise que traverse la pêche boulonnaise n’est que l’effet d’une onde de choc mondiale. Les mêmes causes produisent partout les mêmes effets et les solutions que semblent préconiser les différents responsables, armateurs, pouvoirs publics, politiciens prennent des allures de fuite en avant.

 

De 1945 à 1989, les prises annuelles mondiales ont été multipliées par quatre passant de 20 millions à 100,3 millions de tonnes pêchées. Durant cette période, l’amélioration des techniques comme de l’outillage, couplés à la croissance mondiale de la demande alimentaire contribuèrent à une progression de l’effort de pêche. Cette politique s’imposa au prix de déséquilibres écologiques, économiques et sociaux au sein même des pays industrialisés ; mais depuis peu, la redistribution des cartes frappe de plein fouet nombre de pays tiers dont les ressources halieutiques sont la proie des prédateurs occidentaux.

 

L’EXEMPLE DES MERS D’EUROPE DU NORD

C’est au début des années 80 que la surexploitation des fonds commença à faire sentir ses effets, notamment dans les eaux de l’Atlantique Nord sillonnées par les chalutiers de pêche industrielle. La mer du Nord qui totalise 5 % des prises mondiales constitue le réservoir des pays d’Europe du Nord pour leur approvisionnement en harengs, maquereaux, cabillauds.

Cette zone est aujourd’hui exploitée à un tel niveau que les prises sont quatre fois supérieures au seuil permettant à 90 % des espèces de se reproduire. Des années de pêche intensive et si peu sélective (selon la FAO, 40 % du poisson extrait de la mer, surtout par les flottilles industrielles, est rejeté mort ou impropre à la consommation ont progressivement vidé les fonds. Aujourd’hui les chercheurs chiffrent à 60 % le taux de surexploitation des 80 espèces étudiées dans les eaux de la CEE où les mers du Nord tiennent un rôle de premier plan.

Les premières mesures prises pour endiguer la situation furent d’imposer une taille minimale de capture et un contrôle des maillages. Depuis peu, on assiste à la mise en place des quotas et de zones de pêche. Le but est de contrôler le taux de prises sur un stock donné afin d’en rationaliser l’exploitation et en éviter le saccage. Pour le moment il est difficile d’affirmer que les quotas participent au rétablissement des stocks car les espèces les plus sollicitées constituent la moitié de la valeur d’une pêche à l’exemple de la morue, de l’églefin ou du colin dont les prises en tonnages sont passées de 5 millions à 3 millions et pour lesquelles une réduction de l’effort de pêche s’impose. Un effort qui ne semble pas prêt d’être consenti tant les enjeux financiers que représente le secteur aux yeux des industriels sont importants.

 

UNE LOGIQUE SUICIDAIRE

 En effet, puisque c’est maintenant dans les eaux des pays du tiers monde que s’est rabattue une partie de la flotte industrielle européenne notamment au large de l’Afrique, privant les populations locales de ressources vitales. Plus près de nous, ce sont les eaux poissonneuses de la Norvège que jalousent les industriels français, au premier rang desquels le président du syndicat des armateurs boulonnais. Il faut dire que le stock de morues, partout au plus bas, a fourni dans la mer de Barents 700 000t. en 1994. Un productivisme prédateur contraint les flottes des pays riches à la recherche de nouvelles zones où redéployer leurs activités. De même, de nouvelles espèces dites « de grand fond » sont depuis peu l’objet d’une exploitation de la part de ces mêmes industriels sans que l’on sache comment réagiront les stocks à une exploitation intensive.

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La déprédation des ressources naturelles directement liée à un type d’exploitation inhérent au capitalisme, hypothèque chaque jour l’équilibre vital de la planète. Le contrôle scientifique n’a jusqu’ici pas réussi à modifier le mode de gestion de la ressource halieutique qui ne pourra indéfiniment s’accommoder d’une exploitation basée non pas sur les besoins réels de la population, mais sur les intérêts des lobbies économiques. Saccage écologique et social, comme nous allons le voir …

 

 

Boulogne-sur-Mer, octobre 1995.

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