Le tract que nous distribuerons le 6 juin 2023 à Boulogne-sur-mer

 A l’heure des bilans

Comme un certain nombre d’entre-vous, nous perdons aujourd’hui notre treizième journée de salaire. Parmi nous, certains ont perdu davantage ; d’autres encore y ont laissé une main, un oeil et on ne dénombre plus les arrestations, placements en garde à vue, humiliations, sévices, amendes, peines de prison distribués dans les coulisses de l’Etat par de serviles petites mains… Tout cela, pour un dénouement que l’on savait couru à l’avance. Nous pouvons sans risque en conclure qu’au mieux nous avons gâché notre temps, et qu’en définitive, il ne nous reste qu’à graver une encoche supplémentaire au manche de nos défaites.   

La faute de l’intersyndicale ? 

Nous l’avons rabâché à maintes reprises, en soi, l’intersyndicale nationale n’a aucune réalité concrète. Depuis le 19 janvier, les directions parisiennes en rang serré derrière la CFDT dictent à leurs épigones locaux le calendrier à tenir et leur délivrent la marche à suivre ; à la grande satisfaction des chaînes d’infos et des professionnels de la politique louant dans une unanimité qui dit le tout, « leur grande responsabilité ». A son heure et au prix d’une répression féroce, le mouvement des Gilets Jaunes avait pourtant fait la démonstration qu’on ne gagne rien en s’enchaînant aux catégories de la sujétion bourgeoise : « partenariat et dialogue social ; compromis ; négociation ». Et sur ce registre, il est inutile d’incriminer le doux Berger ; l’ensemble des bureaucraties syndicales confondues ne souhaitent ni ne savent désormais dépasser cet horizon caduc. Les causes en sont d’ailleurs plus profondes que la commode « trahison des directions » remâchée ad nauseam par les prétendants au titre, quels qu’ils soient. Mais c’est là, un autre débat…

 

Petits enseignements de la période …

Aliénés à une comptabilité nourrie d’artéfact médiatique, les représentants officiels de la  mobilisation ont cru pouvoir opposer la loi du nombre à un quarteron de ministres et de députés retranchés derrière la légalité des institutions démocratiques. Or, au petit jeu du mieux fondé à imposer sa légitimité, l’Etat de droit signifia d’emblée à ceux qui feignaient encore de l’ignorer, qu’en la circonstance, comme en toute autre, L’Etat a … tous les droits ! Que ce soit à coups de grenades ou de 49.3 ; les deux si nécessaire. En conséquence de quoi, circonscrire le champ du rapport de force à l’illusoire « Bataille de l’opinion » revenait à partir en randonnée chaussé d’escarpins… S’en tenir à brandir « la démocratie sociale » à la face de la « représentation nationale », même à plusieurs millions dans les rues, accusait l’ampleur du malentendu. Voici quelques temps déjà que la bourgeoisie ne s’embarrasse plus de tels faux-semblants. Empêtrée dans ses propres contradictions mais assurée de sa position de force acquise après des décennies de défaites ouvrières ininterrompues, la bourgeoisie ricane désormais au nez et à la barbe de ceux qui lui tiennent son propre langage. Ne vient-elle pas d’interdire une fois encore l’accès de la zone industrielle de Capécure à une inoffensive déambulation syndicale? Et, à l’adresse des moins ingénus, elle assume désormais de leur en tenir un autre, celui des armes ; comme ce fut le cas, il y a quelques mois à Sainte-Soline.

Prendre l’initiative à la base …

S’il est manifeste que l’intersyndicale ne fut qu’un attendu sans horizon, nous nous réjouissons des multiples initiatives porteuses de son dépassement qui, à la base, ont spontanément fleuri, ici et là. Incontestablement, elles sont restées isolées, dans tous les cas peu discutées ou débattues dans la  perspective de leur élargissement. Du sabotage de la gare de l’Est, le 24 janvier, aux « grèves sauvages » des cheminots de Chatillon ou des contrôleurs aériens d’Orly en passant par le mouvement reconductible des éboueurs et des raffineurs, sans oublier les multiples actions ciblées des électriciens et les explosions de colère au coeur des villes après l’application du 49.3 ou lors du 1° Mai dans les rues de Paris et d’ailleurs… un fourmillement d’initiatives a permis de faire monter d’un cran le niveau de la contestation. Même ici, à Boulogne-sur-mer, deux belles nuits à Capécure ont témoigné de la détermination d’une fraction de la classe ouvrière locale. Certains ont cru un peu hâtivement qu’on était parvenu à un point de bascule, en réalité on en était encore loin. 

La spontanéité et la détermination, ça se travaille !

Après quatre mois de mobilisation, on entend maintenant dire que treize jours de grèves en continu nous auraient donné plus de force que des dates éparpillées aux quatre vents, comme ce fut le cas jusqu’à aujourd’hui. C’est vrai ! Cela nous aurait sans doute permis de construire la grève à la base et de chercher à l’élargir auprès des travailleurs des secteurs qui sont restés en dehors du mouvement. Mais restons lucides, cela n’aurait pas suffit davantage. 

La grève reconduite pendant deux mois par les ouvrières de l’enseigne Vert Baudet nous montre à quel niveau de détermination il s’agit désormais d’élever le rapport de force pour emporter la victoire. La solidarité manifestée entre les ouvrières entre-elles, mais aussi celle exprimée à leur égard depuis l’extérieur de l’entreprise, ont été des facteurs déterminants dans l’issue de cette lutte. Toutes smicardes, elles ont infligé un sérieux démenti aux discours complaisants  tenus aussi bien par les syndicats que par nombre de travailleurs eux-mêmes, pour trop souvent justifier de leur inaction ! Et de la détermination, comme de la solidarité, il en fallait pour résister aux méthodes de barbouzes du patron et aux violences de l’Etat et de ses flicards !

Cette victoire prouve, puisqu’il semble encore utile de le rappeler que, seul un coup d’arrêt porté dans le temps à la production des marchandises, des services et donc des profits par la grève est en mesure de faire plier les capitalistes et leur Etat. Dans le dernier épisode de la guerre sociale en cours, c’est d’un tel élan à la base dont nous avons manqué. Il s’agira de s’en rappeler et d’en tirer tous les enseignements pour les prochains rendez-vous qui nous attendent.

 A bientôt …

Boulogne-sur-mer, le 04/06/2023 

tract 6 juin 2023

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