Toujours plus d’ombre dans la taule

Toujours plus d’ombre dans la taule

Alors que d’aucuns s’indignent aujourd’hui de ce que la liberté de « nos enfants » de se serrer la pogne et d’aller au resto serait vouée aux gémonies, d’autres luttent sans relâche depuis des lustres contre l’injustice, le mépris, la maltraitance et la déshumanisation subies par leurs proches, leurs semblables, et parfois eux-même au premier chef, dans les lieux d’enfermement de la République. 

Il arrive parfois que les abonnés aux peines courtes adhèrent à l’antienne « je me suis fait serrer, normal que je paye ». Pourtant, depuis quelques années, au fil des mouvements de contestation sociale, qui dépassent les considérations individualistes, le nombre de personne faisant un séjour derrière les barreaux se multiplie à l’aune des jugements à la chaîne. Des gens qui n’auraient jamais imaginé être détenus, sûrs qu’ils étaient que contester une atteinte à ce que le prolétariat a pu conquérir et dont ils usaient jusqu’alors, était un droit démocratique et républicain , deux «valeurs» qu’ils s’étaient machinalement appropriées jusqu’à en perdre le sens originel, c’est à dire révolutionnaire. 

Par quelque bout qu’on attrape la question de l’enfermement, on arrive inévitablement à une question sociale et politique. Sociale parce que n’importe qui peut se retrouver ne serait-ce qu’en GAV au gré des mesures défouraillées en rafale pour un oui, pour un non – surtout pour un non ! ‒ et sans doute pour un peut-être. Politique parce que le capitalisme a besoin de symboles de son absolutisme. D’une part des taulard-e-s bossent pour des clopinettes dans des ateliers trompe- la-mort et puis, d’autre part, le partenariat public-privé peut s’étendre à l’infini : la conception de la prison, sa construction, le maintenance, le nettoyage, le transport, la gestion des cantines, la restauration, la blanchisserie, le travail et, le cas échéant, l’accueil des familles. Enfin l’entretien d’une auto-culpabilisation d’enfreindre des règles édictées par la bourgeoisie est naturalisé, sur le lieu de travail comme dans l’espace public. Tout est fait pour réduire les libertés individuelles au nom d’un « bien commun ». Un cas exemplaire : le squatter d’un logement vide comme le gréviste qui occupe son lieu de travail entravent la sacro-sainte propriété privée. Il n’est pas ici question de morale mais de réaction à l’inégalité sociale et surtout à la nécessité de survivre. Les maisons d’arrêt, centrales, centres éducatifs fermés et autres CRA sont peuplés par les classes désignées dangereuses, traitées comme telles. 

On ne pose ici aucune question d’affect hors sujet pour les taulard-e-s mais des faits relatifs aux causes et aux conditions de leur incarcération. La prison est représentative de la société. On y trouve le tout venant entassé dans des cellules de neuf mètres carrés, les réfractaires abonnés au mitard davantage que des maffieux ou des terroristes. Il va de soi que la réinsertion sociale des détenus « classiques » est le cadet des soucis des personnels, du directeur au maton. 

Que l’on ne voit pas davantage d’opprobre jetée aux visages hâlés des défileurs de ces derniers samedis estivaux en polo ‒ lesquels ne sont curieusement pas interpellés ‒, mais une pensée pour les encapuchés extra-muros , les bronzés façon « marcel » du gilet jaune, les marrons du fric-frac, la tête de ou Maure ou d’Euskara des militants corses ou basques… Quant aux exilé-e-s de toute la misère du monde, pour qui la privation de liberté, sévices compris, elle est réelle et effective sur simple décision administrative. 

Si d’Amnesty international à l’OIP ( Observatoire international des prisons ), de la Cour européenne des droits de l’Homme à l’ACAT ( ONG chrétienne contre la torture et le peine de mort ), des défenseures des droits successives aux énièmes commissions parlementaires, dénoncent publiquement, en permanence les prisons françaises en pure perte et pour la forme, d’autres voix, issues du plus profond de la réalité carcérale, étouffées dès le parloir ne parviennent au plus grand nombre qu’à l’état de murmure. Il n’est pas donc besoin d’être un brûlot d’« ultra-gauche » ou une organisation subversive pour constater que la taule est un espace où règne l’arbitraire, l’omerta et la conviction que pour l’« opinion », les détenu-e-s sont forcément des dangers et n’ont que le sort qu’ils méritent. 

Les mouvements, de la simple insubordination à la mutinerie, sont réprimés de la même façon quel que soit le régime. Les lieux d’enfermement sont invisibilisés autant que ce qu’il s’y passe. Pour tenter de sortir de l’ombre et faire savoir à l’« extérieur » ce qu’est une prison au-delà des visions simplistes ou fantasmées ( déformées en tout cas ), les enfermé-e-s se sont donnés des outils d’information. Ces organes de lutte sont étouffés au plus près par la désinformation, la censure, la sanction mises en œuvre par l’État et ses relais : la justice, l’administration pénitentiaire. 

Pour rendre compte de la situation, conjoncturelle par la répression des mouvements sociaux ou la désobéissance civile, structurelle par une justice sélective et le contrôle social qui font du citoyen un justiciable en puissance. Nous relayons le travail mené par deux orgas qui militent contre toute forme d’incarcération. Le Genepi, qui annonce rompre avec toutes les compromissions que l’État attend du monde associatif à l’endroit des lieux d’enfermement et l’Envolée, porte-voix toujours combattu par administration pénitentiaire. 

Le GENEPI 

Parmi ces outils, le Genepi, association féministe et anticarcérale. Les membres de cette association publient un « zine » : Pierre par Pierre. Le numéro 4 sera le dernier. En effet, considérant avoir été instrumentalisées par l’État, ses militantes ont décidé la dissolution pure et simple de Genepi. 

« Nous refusons de continuer à être associées à l’histoire du Genepi et au fait qu’en posant un vernis humanitaire sur la taule, il a servi à la légitimer et la renforcer, justifiant ainsi toujours plus d’enfermement. Nous refusons de nous contenter d’une critique réformiste de la taule et de la justice, seule possibilité entendue par l’État et discours dominant formulé par le Genepi pendant plus de 40 ans. Le système police-justice-prison ne peut pas être réformé. Outil du racisme, du capitalisme et du patriarcat, il doit être aboli. » 

En revanche leur lutte, la lutte de toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent sur des positions continue : «Notre perspective de lutte ne peut être que révolutionnaire, son but est l’abolition de la taule et de toutes les formes d’enfermement. En faisant le choix de dissoudre le Genepi, il s’agit pour nous de refuser de faire des compromis sur nos convictions et de pouvoir penser par la suite d’autres moyens de luttes réellement féministes et anticarcéraux. » 

Texte complet sur https://www.genepi.fr/communique-sur-la-dissolution-du-genepi/. 

L’ENVOLEE 

Autre espace de résistance et de témoignage au système carcéral et à la justice de classe qui y conduit, L’Envolée est une publication réalisée par des prisonniers ou ex-prisonniers, des proches et par des militant-e-s conscient-e-s que « la prison plane au-dessus de notre tête à tous. » Ainsi, la menace est-elle permanente, au gré des lois de circonstance, pour tout-un-chacun d’être transformé en repris de justice. Du contrôle préventif à la chasse au migrant, du zadiste au gilet jaune, de la préventive à la « sur-peine » côté symptôme, de la surpopulation au manque de soins, de la violence des matons au suicide de détenu, de l’humiliation au viol côté traitement. 

« Numéro intégralement désapprouvé par le ministère des tribunaux et des prisons et l’administration pénitentiaire mais pas encore censuré ». Le numéro 53 d’avril 2021 exprime remarquablement un contexte et une époque ou la criminalisation se décline politiquement dedans comme dehors. Pour le coup, la démonstration que la taule est le point de chute de toute velléité de résistance est patente. 

L’Envolée exprime aussi la solidarité entre et avec les détenus, les rebellions légitimes, le refus d’une lente agonie, substitution à la peine de mort officiellement abolie. Dedans comme dehors. Enfin, c’est aussi une parole Radio Fpp – 106.3 FM. 

Au sommaire : 

Le ministère et l’administration pénitentiaire voudraient faire taire l’Envolée, les prisonniers et leurs proches. 

Lettre de l’Infâme, au quartier d’isolement (QI) de Vendin : « C’est hallucinant les trucs qu’ils inventent pour justifier les actes odieux et injustes ». 

La peine de mort n’a pas été abolie, c’est la guillotine qui a été supprimée ! 

Lettre de Libre Flot, au QI de Bois d’Arcy : « L’isolement est à la solitude ce que la lobotomie est à la méditation ». 

« Ici c’est Marseille, bébé » : Des prisonnières des Baumettes contre les violences et le  sexisme des matons. 

Pour un féminisme anticarcéral. Contributions à la réflexion. 

Le COVID, on pensait que c’était une maladie.

L’AP nie l’identité de genre des prisonnier.e.s trans : « En prison c’est homme ou femme ».

Tour des structures d’enfermement pour mineurs : le parcours de Jul.

Superdupont sucre les remises de peine « dans la dignité ».

… et pas mal de brèves.
À lire et à soutenir : https://lenvolee.net/
NB : le journal est téléchargeable, néanmoins l’achat du format papier et des événements de soutien restent la seule source de financement.  

Boulogne sur mer, le  15/09/2021

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