Retraites : Une défaite mais pas la déroute…

Retraites : Une défaite mais pas la déroute…

 

Ce texte a été rédigé durant la période où ont menées les actions contre la nouvelle loi sur les retraites imposée par l’État. Depuis nous avons poursuivi la réflexion sur la nature de ce “mouvement”, le rôle qu’y ont joué les structures syndicales, la forme qu’ont pu revêtir certaines actions, etc …

Un texte qui fait état de nos échanges sur la question sera publié dans le numéro à venir de la Mouette Enragée.

 

 

 

 

    En ne débordant pas le périmètre délimité par les centrales syndicales : des journées de grève espacées combinées à des actions le plus souvent symboliques, ce “mouvement contre la réforme des retraites” ne laissait présager qu’une défaite supplémentaire annoncée de longue date.

Pour autant, il serait facile de s’en tenir à ce seul constat et passer sous silence tout ce qui dans le cadre imposé aussi bien qu’à sa marge, le plus souvent au sein des deux à la fois, révéla une volonté, certes minoritaire, mais bien réelle de lutter. C’est en cela, peut être, que cette défaite n’en n’est pas définitivement une…

Voici quelques éléments éparses qui traduisent cette impression à partir des semaines de protestation telles qu’on a pu les vivre à Boulogne-sur-mer.

 

D’abord, reconnaissons qu’en dehors des syndicats, personne ou presque ne posa dans la forme comme sur le fond la question de la lutte autour des retraites. L’emprise syndicale put donc se déployer sur le seul registre qui vaut pour elle : la destruction d’acquis sociaux en prise avec le rôle gestionnaire qu’exercent certaines confédérations au sein de l’appareil d’État : caisses de retraites, sécurité sociale, mutuelles etc…

 

C’est donc à leur propre reproduction et dans l’attente de la loi sur la représentativité de 2013 que les centrales ont travaillé dans l’unité que l’on sait. De fait, on pouvait craindre que seule une fraction des travailleurs répondrait à l’appel. Celle encore garantie par un statut déjà bien mis à mal ou échappant – pour combien de temps encore – à la précarité; autant dire les salariés de la fonction dite publique. Ce ne fut pas complètement le cas. C’est d’ailleurs un des traits notables de ce mouvement qu’un nombre de travailleurs d’entreprises privées y aient occupé une place et joué un rôle à part entière.

 

 

Le privé dans la grève et dans l’action.

 

Les cheminots répétant que cette fois, ils ne porteraient pas le mouvement, à Boulogne-sur-mer, ce sont deux entreprises de l’industrie alimentaire qui les premières investirent le terrain. Ces boîtes en lutte à l’interne durant les semaines et les mois qui précédèrent la mobilisation en assureront pour une part le déroulement. Elles reconduiront la grève sur plusieurs jours puis multiplieront les arrêts sur des modalités propres à l’organisation du travail posté. A leur tour, d’autres boites saisiront le relais. Pourtant à aucun moment, elles ne se rejoindront sur un temps commun en dehors des journées d’action. La faiblesse des salaires explique cela, comme la précarité mais sans doute aussi la difficulté à se projeter, à esquisser des contours un peu assuré à la lutte. On pourrait également y entendre la manœuvre d’appareils syndicaux passant en revue des troupes potentiellement mobilisables. Mais on ne saurait ignorer que la crise a réactivé dans certains secteurs des réflexes de lutte qu’une mobilisation, même en trompe l’œil comme celle des retraites, a pu confirmé.

 

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Les ouvriers de Capécure, en première ligne sur les barrages avec toutefois le soutien des autres grévistes

 

 

Prendre l’initiative, même si …

 

Le cadre intersyndicale ne s’est imposé ici qu’après une habile reprise en main par l’UL CGT. A deux reprises, et en marge de l’intersyndicale, une assemblée ouverte composée de travailleurs des secteurs privés et publics se réunit à la bourse du travail. Au sein de cet espace s’exprima la critique de la stratégie des journées sans lendemain. On y partagea la nécessité mais aussi l’envie d’un véritable rapport de force inscrit sur le terrain économique. La question de la reconduction et de l’élargissement de la grève fut au cœur des échanges. D’emblée, le blocage s’imposa comme la forme d’action à mettre en œuvre avec un double objectif : porter un coup au patronat local et appeler les travailleurs d’abord occupés à manifester à venir nous rejoindre. Ce ne fut pas totalement un échec. D’abord parce que la tentative de blocage de la zone portuaire où se concentrent les entreprises de transformation de produits de la mer eut lieu. Elle se répétera d’ailleurs avec plus de succès quelques semaines plus tard. Mais il était clair que l’appareil cgtiste jusque là absent du terrain s’empressa de cisailler toute nouvelle tentative en recourant aux bonnes vieilles techniques de manipulation.

 

 

Un coquille intersyndicale sans réel mouvement.

 

Si la CGT put s’imposer aussi facilement durant ces deux mois, c’est qu’à contrario de 2003 bien peu de travailleurs étaient en grève. Rappelons qu’ il y a sept ans, ce furent essentiellement des grévistes non syndiqués qui portèrent le mouvement à bout de bras. Cette fois, la CGT eu beau jeu d’ enserrer ses partenaires tout en jouant la partition du “je t’aime moi non plus” avec un Solidaires empêtré dans ses propres contradictions.

Maintenant, quel sens donner au programme d’actions concocté par la CGT et ratifié par ses consœurs durant trois semaines. En martelant qu’il ne fallait pas brader le capital de sympathie engrangé auprès de l’opinion, on ne pouvait pas s’attendre à grand chose. Et en effet, il ne se passa rien, ou … presque. Les actions ont put se déployer car pour la plupart elles ne frappaient pas directement les intérêts du patronat. Et lorsqu’à la marge, elles y parvenaient partiellement par un débordement de circonstance, le grand frère syndical admonestait contre “la mise en danger d’activités déjà fragilisées”.

Les actions de terrain ont d’abord servi de soupape à une base syndicale un peu déboussolée par une mobilisation qui n’en n’était pas vraiment une. Elles permirent ainsi d’entretenir le spectacle entre deux dates nationales. La plupart du temps négociées avec la police, elles prenaient fin à l’heure dite. Si bien que la formule de la CGT : “Nous n’avons pas poursuivi mais sachez que cela est remonté en haut lieu…” ne laissait planer aucun doute sur le sens de toutes ces mises en scènes.

 

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La gauche syndicale dans cette histoire

 

La minorité syndicale organisée localement dans et autour de Solidaires offrit un espace à partir duquel il fut parfois possible de desserrer l’étau, de modifier le sens et la portée de certaines actions. En soi ce n’est pas négligeable. Mais enfin, tout cela est resté relativement anecdotique. Les limites sont d’ailleurs apparues rapidement. Ensuite, la position partagée localement par l’ensemble des Sud en opposition avec celle de Solidaires national rendait la situation certes intéressante, mais confinait à l’impuissance en l’absence d’une véritable dynamique portée par les travailleurs. Un peu partout dans les défilés, les cortèges Solidaires sont apparus comme pourvus et offensifs, pour autant, ces manifestants là n’ont pas dans leur grande majorité investi d’avantage le terrain que leur homologues cégétistes ou autres. Faut-il comprendre que même “sudiste” un manifestant demeure pour le moment un manifestant et rien de plus ? C’est un fait, où alors comment expliquer que sur la dizaine de milliers d’adhérents de Solidaires-Nord-pas-de-Calais, une fois encore, seule une minorité ait franchi le pas. Par ailleurs, dans leur grande majorité, là où elles sont structurées, les sections de la gauche syndicale n’échappent pas à l’influence du jeu traditionnel ni à celui des vassalités en cascade. Une réalité qui même lorsque l’on sort du strict champ de sa boîte continue de peser et d’influer sur la manière d’aborder la construction d’un mouvement.

 

 

Boulogne-sur-mer. 19/11/2010.

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