Retour sur les semaines de mobilisation contre la réforme des retraites et la décentralisation : mai/juin 2003 à Boulogne-sur-mer

Le 6 mai, première action au départ d’une course cycliste régionale. Le 13 mai, première assemblée générale après un tour de ville qui comptera 4 000 personnes. L’encadrement syndical y est assuré par le SNES et le SNUIPP. A noter pour la première fois, l’apparition d’un représentant SUD aux côtés de figures locales installées pour certaines depuis deux décennies. A cette date, ce sont près de trois cents personnes qui se retrouvent au sein de l’A.G. Composée essentiellement de travailleurs de l’enseignement, elle s’ouvrira progressivement à d’autres secteurs sans réellement parvenir à prendre une dimension interprofessionnelle.

L’A.G du boulonnais au fil des semaines

    Dans un premier temps, les échanges qui animent l’A.G sont de deux ordres : l’état de la mobilisation dans les établissements et l’organisation d’actions menées le plus souvent en direction des médias censées répondre, d’après les partisans du « dialogue social », à la nécessité de « gagner la bataille de l’opinion« . On peut estimer à cette période qu’entre 20 et 30 % d’enseignants, profs et instits confondus, reconduisent quotidiennement la grève. La popularisation du mouvement au sein des équipes pédagogiques donne lieu à une comptabilité journalière qui aura pour conséquence de remettre systématiquement à plus tard les débats de fond. Très tôt, les non-syndiqués ont reconnu l’A.G comme le seul espace de prise de décision. Les organisations syndicales accompagnent alors le mouvement plus qu’ils ne parviennent à le contrôler. Pourtant, le souci existe de maintenir une unité tout en se livrant à une concurrence entre partisans de l’ouverture de « réelles négociations » et ceux qui réclament le retrait pur et simple des plans gouvernementaux.

    Progressivement, la participation de travailleurs des Télécom, de la D.D.E, de cheminots relativement déterminés vient redonner du souffle aux discussions que les enseignants plombent par d’interminables palabres sur la nécessité ou non de bloquer les examens. Nombreux furent également les questionnements pour caractériser la grève à un moment où l’on attend l’entrée des cheminots dans le mouvement . Cette grève doit-elle être : « reconductible », « illimitée »…? Les syndicats argumentent sur l’inopportunité de la déclarer générale, le débat n’aura pas lieu. Une communauté de lutte se dessine progressivement au gré des actions menées. La nécessité de donner du contenu aux revendications fait la part belle aux positions d’ associations comme ATTAC sur la taxation, à celles de Bourdieu contre la « barbarie néolibérale ». La tonalité des échanges reflète assez bien l’esprit « citoyenniste » qui désigne cette gauche opposée à la « mondialisation libérale ». Il est souvent question de lutter contre la marchandisation des services publics, de dénoncer l’AGCS (Accord général sur le commerce des services) et l’O.M.C. Cette limite semble difficilement dépassable, nous y reviendrons plus largement par la suite. La question de la précarité trouvera un prolongement dans l’intervention d’une délégation de l’A.G à l’A.N.P.E et dans une boite de formation le GRETA. Une volonté d’élargissement qui resta dans une certaine mesure le fait de quelques personnes. Des contacts s’établiront avec l’A.G de Calais, de même qu’un site web rendra compte au jour le jour de l’état de la mobilisation (1). Au fil des semaines, apparaît avec plus d’acuité la nécessité d’un fonctionnement interprofessionnel ainsi que le choix de cibler les actions, de sortir de la logique des manifs traine-savates du mardi en centre ville, qui, si elles permettent effectivement de se compter, n’entament pas la détermination de l’État. Progressivement le débat se déplace de la « bataille de l’opinion » qui pour une partie des gens en lutte n’a bientôt plus de fondement, à la nécessité d’établir un réel rapport de force sur le terrain. C’est la traduction d’une prise de conscience. « Frapper là où il y a du fric c’est prendre la réelle mesure de l’offensive lancée par le MEDEF par État interposé.

    Une évolution qui intervient tardivement dans la mobilisation mais qui laissera à n’en pas douter des traces dans les consciences et espérons le portera ses fruits lors des prochaines mobilisations. Dans l’attente de la rentrée, l’A.G se transforme début juillet en « collectif de vigilance » et poursuit son activité durant l’été.

Sur le terrain.

    Réunions dans les établissements avec les parents d’élèves afin d’expliquer le mouvement et le projet de décentralisation. Blocage d’école à l’initiative de parents dans les quartiers populaires. Théâtre de rue, opération sur l’ A16 avec levée des barrières aux péages, diffusion de tracts dans les centres commerciaux, intervention à un meeting de Douste Blazy au Touquet, il quittera rapidement la salle sous les quolibets. Intervention devant un lycée contre les réquisitions de personnel, tournée de l’ensemble des bahuts et de la fac. Tenue de permanences animées par des enseignants et des parents chaque soir pour informer le plus largement et désamorcer la nervosité de certains d’entre eux face aux problèmes de garde. Barrages filtrants et distribution de tracts dans le centre ville, sur la zone industrielle de la Liane, à St Martin… Piquenique sur le rond point du » dernier sous »…

     La manifestation du 19 mai réunira 7000 personnes, ce qui est exceptionnel. Elle traversera les quais du port où sont localisées l’ensemble des usines de transformation de poissons. Participation à cette occasion de 400 ouvriers de la Continentale de Nutrition. Le lendemain, l’ensemble du personnel de cette boite recevra un rappel à l’ordre sous forme de courrier. Le 22 mai, 4000 personnes, bonne mobilisation des lycéens, et organisation de départs groupés pour rejoindre la manifestation régionale de Lille. Le 3 juin, à partir de 5 heures du matin, des enseignants rejoindront les grévistes de la SERNAM (société de transport), heure à laquelle ceux-ci installent leurs piquets. Danse et musique sur les quais de la gare et « pti déj » avec les cheminots. Vers 7 heures du matin, un patron routier force le piquet avec son véhicule. A partir de 10 h, manif en ville. L’après-midi, le cortège sillonne les rues de la ville et rejoint une nouvelle fois les cheminots. Petite visite dans les locaux qui abritent le MEDEF, nous trouvons porte close…

Capécure : la pression commence à monter…

    Neuf heures trente, manifestation en centre ville : 2 500 personnes selon la Voix du Nord. Peut être plus. Alors que la manif devait rejoindre le quartier de la marée et qu’un militant de la CFDT Marée réclame du renfort au rond point de la Glacière, la tête du cortège CGT part en divaguant dans le centre ville. Nous ne sommes qu’une poignée à venir renforcer les barrages. La détermination des ouvriers de marée est forte. La fumée des pneus indique que les barrages tiennent toujours. Premier incident, un patron de marée connu localement pour sa politique sociale musclée tente de forcer un barrage à bord de sa mercedes. Il en sera pour ses frais…

     Une rumeur court Capécure, les camions vont forcer le blocus à 12 heures, à 13 heures à 14 heures… Ce qui est sûr c’est que la grève n’est pas générale et qu’on travaille dans les magasins de marée. Vers 13 heures, première intervention peu convaincante des flics locaux en tenue anti-émeute. Le commissaire lance les sommations au rond point de la Glacière. Quelques occupants se positionnent sur une butte surplombant la position des flics. Petit à petit des renforts arrivent. Nous étions vingt à 11 heures nous sommes maintenant une cinquantaine. Les flics avancent, repoussent les manifestants avec leurs boucliers au delà de la barricade. Il n’y a pas d’échange de coups. Les pompiers interviennent pour éteindre le brasier.

L’intersyndicale avait mis au programme de la journée du 10 juin le blocage de Capécure où, de 5 heures du matin à 15 heures, les camions font la navette pour alimenter en produits de la mer le marché de Rungis. Il s’agit enfin de frapper là où ça fait mal: au porte-monnaie. Les Dockers sont les premiers à mettre les barrages en place vers minuit. A 6 heures du matin quelques enseignants arrivent à leur tour. Sont également présents des cheminots, des ouvriers de marée (dont une partie de non grévistes : ils occupent avant ou après leurs postes). Les cinq accès au port sont bloqués. Les camions peuvent entrer mais toute sortie leur est impossible. Dans le face à face qui suit le démantèlement de la barricade, les camions se préparent à partir. Des ouvrières de marée posent des planches à clous sous les roues. Les chauffeurs ont compris le message et n’insistent pas. Les hommes interpellent les flics qu’ils connaissent et à plusieurs reprises, se mélangent à eux, obligeant le commissaire à faire reculer son groupe. Une nouvelle barricade est immédiatement enflammée. Les camions ne circulent toujours pas. Quelques chauffeurs participent au blocage en immobilisant leurs bahuts sous le viaduc J. Jaures. A 15 heures le commissaire annonce la venue d’une compagnie de CRS de Calais. Ils sont signalés devant la poste par le groupe qui tient le barrage près de la douane. A 15 heures 30, ils prennent position. Un groupe est chargé de nettoyer la colline en surplomb. Incertitude chez les 200 grévistes à présent regroupés. Un rendez vous est donné en cas de dispersion au rond point du parc Mont-plaisir. Des dockers, cheminots, ouvriers de marée tentent de résister à la charge. Quelques caillasses volent. La lacrymo couvre la fumée des pneus. Une personne est frappée au sol, une autre reçoit un tir. Les CRS insultent copieusement les grévistes. La dispersion se fait au travers des camions arrêtés. Les camions sont de nouveau bloqués par les manifestants qui ont rejoint le nouveau rond point. La motivation est au rendez-vous. Les CRS arrivent de nouveau suivis de prés du maire de la ville. La négociation est difficile d’autant que le temps joue en notre faveur: les camions ne peuvent toujours pas circuler. Finalement, le maire obtient un barrage filtrant contre le retrait des CRS. Il tente de négocier les délais de passage, les manifestants restent fermes. Le soir à 22 heures, cheminots, dockers et ouvriers de marée réinstallent deux barrages. De nouveau les pneus et les palettes brûlent. A 4 heures du matin fin de la partie.

NB : Toutes les photographies sont celles du blocage de Capécure, le 10 juin 2003. Elles ont été prises par la presse, présentes lors des échauffourées avec les CRS. Les bloqueurs étaient déterminés, la police aussi. Malgré les coups, les barrages ont tenu !

Et de plus belle à l’hyper-marché Auchan.

    Le jour du bac philo, deux actions sont menées simultanément. Une qui s’adresse une fois encore symboliquement aux médias et aux lycéens. Des enseignants déploient le matin une banderole devant l’entrée du lycée Branly. L’action menée sur l’hyper-Auchan répond à une tout autre logique. A la suite d’une action péage gratuit sur l’ A 16, il est décidé en A.G de frapper le secteur de la grande distribution. L’initiative suscite la controverse voire la réticence chez certains, les mêmes qui s’empressent par ailleurs de scander que le « monde n’est pas une marchandise »…

     Peu importe, à trois heure du matin, une cinquantaine de personnes bloque l’accès aux quais de déchargement de l’hypermarché Auchan. Sont réunis une nouvelle fois autour du barrage de pneus et palette enflammés : des enseignants, des ATOS (Agent Technicien et Ouvrier de Services) , des dockers, des travailleurs de la Continentale (usine de transformation du poisson), des cheminots… Ce sont 24 camions qui ne parviendront pas à livrer leur chargement. Jusqu’à 16 heures, l’ambiance est chaleureuse, on discute, on fait le point. On réalise qu’en osant, on crée un rapport de force, loin des médias mais au plus prés des intérêts du système . Un peu de convivialité à opposer à la logique mortifère de la marchandise, c’est peu mais ça permet d’entrevoir des perspectives.

Photo du blocage (source : presse)

    Durant la journée, les communaux de St-Martin organisent des barrages filtrants à proximité. Dans l’après-midi, deux cortèges de voitures au départ de Calais et Boulogne se rejoignent et coupent les moteurs au milieu de l’ A16. Le lendemain des enseignants partagent un barbecue avec les parents de l’école Louis Blanc. Le mardi suivant, dernière grande manifestation à l’issue de laquelle on brûle l’effigie de Raffarin et Seillières devant la sous préfecture.

Depuis…

    Le 27 Juin, rassemblement à la fac pour attendre et chahuter l’arrivée d’un ministre qui ne viendra pas. Participation à cette occasion de profs de Dunkerque et Calais. Quelques participants s’invitent au buffet dressé pour l’occasion. Le 30 Juin, entre 150 et 200 personnes organisent une fête bien méritée : la lutte oui mais la fête aussi ! Rassemblement le 1 juillet, une soixantaine de personnes se réunit devant la Sous-Préfecture afin de montrer qu’en dépit des vacances les profs restent mobilisés. Il est décidé de maintenir une AG hebdomadaire tous les mardis durant l’été en vue d’une reprise du mouvement à la rentrée. Le 8 Juillet : rédaction d’une motion en soutien aux camarades cheminots frappés par la répression : demande d’explication écrite de la part de la direction, mesures de mise à pied… Le 13 Juillet : Intervention symbolique lors des fêtes de la mer à Boulogne. Les profs portent les lettres  » Liberté Égalité Solidarité  » et distribuent un tract en soutien aux intermittents. A cette occasion lecture est faite par un intermittent d’un texte de Victor Hugo sur le budget de la culture en 1848.

     Le 14 Juillet, manifestation en ville le matin, les profs s’invitent au pot de la mairie. Rassemblement toujours avec les fameuses lettres lors du feu d’artifice sur la plage. Les AG du 15 et 22 sont consacrées à un travail de documentation sur la sécurité sociale. Rédaction d’un tract pour célébrer l’abolition des privilèges le 4 août. Le texte est diffusé sur Boulogne et Calais.

     Élaboration toujours en cours d’un document d’information et d’analyse sur la « réforme de la sécu » en prévision d’une mobilisation prochaine. Suivi de la répression qui frappe les cheminots, le samedi 20 septembre action en gare de Boulogne sur mer, des enseignants, des chômeurs sont présents. Au même moment des camarades de Calais et Boulogne-sur-mer se rendent aux côtés des travailleurs de la Comilog qui attendent Delevoy en « visite » à wimille, à cette occasion l’invitation est lancée aux travailleurs de la Comilog (usine sidérurgique) pour l’AG du mardi 23 septembre.

Nous dresserons un état de la mobilisation des semaines qui viennent dans le prochain numéro du journal.

 

Boulogne-sur-mer. Septembre 2003.

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