Retour sur la grève à l’usine “Capitaine Houat” de Boulogne-sur-mer

Retour sur la grève à l’usine “Capitaine Houat” de Boulogne-sur-mer

Le 19 juin, les ouvriers de l’usine Capitaine Houat de Boulogne-sur-mer cessaient spontanément le travail. Ils répondaient par la grève au licenciement d’un cadre jugé par la direction : “trop proche des salariés”. Ce conflit résonne ici avec un écho particulier car il a impliqué indirectement un certain patronat que l’on a vu à la manoeuvre en novembre 2013 lors du mouvement dit des “bonnets rouges”. Ce patronat de l’industrie agro-alimentaire bretonne aux méthodes éprouvées. Mais qu’elles se déploient sur le port de Boulogne-sur-mer ou dans les usines du Morbihan, elles ne restent pas sans réponse chez les ouvriers qui les endurent …

 

Capitaine Houat est une filiale du groupe les Mousquetaires/Intermarché spécialisée dans la production de produits de la mer. L’entreprise s’est restructurée il y a quelques temps en concentrant son activité sur deux sites de production au lieu de trois auparavant. Elle emploie actuellement 200 salariés sur le port de pêche de Lorient et une centaine à Boulogne-sur-mer, auxquels il faut ajouter une soixantaine d’intérimaires réguliers. En fermant l’usine de Plougasnou dans le Finistère, intégrée au groupe quelques années auparavant, 37 ouvriers ont été licenciés. A la suite de cette fermeture, le même nombre de postes a été créé sur le site boulonnais. Nous reviendrons dans le cours de cet article sur les implications à plus d’un titre de ces délocalisations. Des chaînes de ces deux usines sortent chaque année 24 000 tonnes de produits finis, essentiellement des filets de poissons. A Boulogne-sur-mer, le saumon représente 50 % de la production, le reste de l’activité revient au filetage de poissons blancs : cabillaud, lieu noir, églefin.

Afin de s’assurer le contrôle de l’activité d’un bout à l’autre de la chaîne, le groupe Intermarché a développé en amont de ses unités de production, deux filiales : un armement de pêche, la société Scapêche et une entreprise de logistique, la Scamer. Cette stratégie permettra au patron de l’usine boulonnaise de contourner l’arrêt de travail sur le site et de déjouer le mouvement de grève.

Selon ses propres sources, la Scapêche (Société Centrale des Armements des Mousquetaires à la Pêche) détient la première flotte de pêche en France avec plus de vingt navires. Elle embauche 250 marins et concentre sa flotte sur les quatre ports de Lorient, du Guilvinec, de Bayonne et de la Réunion. La Scamer, la société du groupe Intermarché spécialisée dans l’acheminement des produits de la mer dispose de 4 plate-formes logistiques, les “bases Scamer” localisées à Lorient, Boulogne-sur-Mer, Bordeaux-Bègles et Frontignan.

A l’origine de cette organisation économique, on trouve le choix stratégique du fondateur du groupe Intermarché, Jean Pierre Leroch, lui même initiateur aux côtés de Joseph le Bihan du fameux institut de Locarn (1).

Jean Pierre Leroch, Jospeh le Bihan et l’institut de Locarn

Jean Pierre Leroch a commencé sa carrière aux cotés d’Edouard Leclerc. Il deviendra le secrétaire général du groupe avant de créer sa propre enseigne “Ex” qu’il rebaptise par la suite Intermarché. C’est aux côtés de Joseph le Bihan qu’il crée en 1991 l’institut de Locarn (Cultures et Stratégies internationales)(2). Ce lobby promeut les intérêts du patronat Breton et développe une idéologie qui mêle l’identitarisme régional, le catholicisme traditionnel et l’ultra-libéralisme économique. Joseph le Bihan est à l’origine un professeur de géostratégie qui a travaillé, entre autre, pour les services de renseignements de l’OTAN. Dans un ouvrage intitulé « Genèse de l’Europe unifiée dans le nouveau monde du XXIe siècle », il définit le projet de l’institut de Locarn en ces termes : “la France n’a plus d’avenir; l’Etat-nation doit disparaître; il faut liquider l’éducation nationale, les services publics et surtout les services culturels, en finir avec l’héritage de la Révolution française, avec le syndicalisme, la laïcité, et autre boulets : « Nous allons réintégrer cette Europe de la civilisation et de la propreté qui existe déjà en Allemagne, en Suisse et dans certains pays nordiques. »


Les fourberies identitaires d’un certain patronat

On saisit d’emblée que la rhétorique élaborée par ce groupement de patrons n’a pas vocation a s’évanouir dans le ciel des idées mais plutôt à s’incarner dans la pratique et produire les effets escomptés. Son implication en novembre 2013 dans l’épisode dit des “Bonnets rouges” nous a dévoilé un échantillon de ses intentions autant que de sa manière d’opérer. Secondés par quelques politiciens locaux, ils ne parviendront pourtant pas à soumettre à leur volonté l’ensemble des ouvriers qu’ils allaient, pour certains d’entre eux, licencier par la suite. Si durant ces événements la CFDT de l’entreprise Gad-Josselin s’est ralliée à ce patronat pour chasser physiquement les travailleurs de l’usine de Lampaul venus réclamer auprès de leurs camarades un peu de solidarité, à contrario, d’autres travailleurs tenteront de constituer sur des positions de classe un “Pôle ouvrier” pour la défense de leurs seuls intérêts (3). La preuve en est que, parfois, la conflictualité de classe trouve son chemin, même dans les circonstances qui lui sont les moins favorables …

De “l’institut de Locarn” au “Club des trente”, en passant par le label “Produit en Bretagne”, l’ensemble de ces groupes de pression travaillent d’abord à repenser l’organisation économique et politique des territoires à la mesure des profits qu’ils escomptent y engranger. Quand bien même doivent-ils pour cela se confronter à d’autres fractions de la bourgeoisie évoluant à des niveaux différents ou supérieurs de l’organisation territoriale. Ce sont de ces antagonismes endogènes dont a témoigné en partie le mouvement dit des “Bonnets rouges”.

Toutefois, il n’est pas difficile de lever les contradictions qui sourdent derrière le caquetage identitaire de cette bourgeoisie qui se réclame de l’ “enracinement dans la culture bretonne et de l’Europe des régions”. La logique implacable du profit lève dans son mouvement la plupart des barrières qui se dressent devant elle. Rappelons seulement que le groupe Capitaine Houat n’a pas hésité à fermer une de ses usines en Bretagne pour accroître ses capacités de production sur le site boulonnais. De la même façon que d’autres enseignes manufacturent leurs marchandises prétendument régionales sous des cieux moins tempérés (3). Comme nous allons le voir, l’hypocrisie de ce patronat n’a d’égal que la brutalité de ses méthodes d’exploitation.

 

La grève du 18 juin à l’usine de Boulogne-sur-mer

Ce n’est pas le premier mouvement de ce genre que connaît l’usine boulonnaise. Un an auparavant, le licenciement d’un salarié dans des conditions analogues avait entraîné un débrayage. Cette fois, le dimanche 18 juin, la majorité des ouvriers de l’usine dressent un piquet de grève et filtrent les entrées. Depuis plusieurs années, ils endurent des pratiques managériales brutales, un cocktail corrosif à base de harcèlement, de brimades et de sanctions. Cette fois, le licenciement du responsable de la production jugé trop proche des salariés par la direction sera l’élément déclencheur. En réaction, les ouvriers réclament la mutation du bras droit du patron et reconduisent la grève.


Les patrons lock-outent l’usine

Pour briser la grève, les patrons recourent au lock-out. En cessant d’approvisionner le site en matière première, ils ont enjoint les ouvriers à rester chez eux deux jours de suite. Dans le même temps, la direction transférait la matière première auprès d’autres sites de production locaux pour la faire sous-traiter. Les ouvriers ont réclamé le paiement intégral des heures non travaillées, ce à quoi il leur fut répondu qu’ils devraient désormais donner 45 heures de leur temps au lieu de 35 afin de rattraper la production non effectuée. Depuis le travail a repris .

Quand l’usine Capitaine Houat de Lorient a brûlé …

Comme nous l’avons souligné, le management exercé par la direction boulonnaise n’est en rien une particularité propre à l’entreprise. Il est en tous points identique à ce qui se pratique dans de nombreux autres secteurs de la production et des services et en particulier dans celui de la grande distribution. Bien entendu, l’instauration de tels rapports d’exploitation et de domination ne peut rester indéfiniment sans réponse et l’action des ouvriers de l’usine boulonnaise le confirme. C’est le cours quotidien de la lutte entre deux classes aux intérêts en tous points antagonistes. Selon les circonstances, ce conflit peut prendre des formes très différentes mais qui témoignent toujours de son caractère irréductible.

C’est ainsi qu’en août 2011, en réponse aux conditions d’exploitation endurées dans l’usine Capitaine Houat de Lorient un travailleur excédé y a mis le feu une première fois. Cet incendie avait ravagé 6 000 m2 d’infrastructure détruisant l’ensemble des chaînes de production. Un nouveau site avait été ouvert sur Lorient que le même salarié incendia une seconde fois. Il justifia ses actes comme la réaction “au stress qu’il endurait au travail”

Boulogne-sur-mer, le 24/10/2017.

 

(1) L’institut de Locarn a fait l’objet d’un article détaillé sur le site du journal CQFD : “Les patrons breton en embuscade” : http://cqfd-journal.org/Les-patrons-bretons-en-embuscade 

(2) A propos des regroupements patronaux “Produit en Bretagne” ou “Le club des trente” on lira : “Le patronat breton comme relais d’une droite très « décomplexée » : Aymeric Chauprade à l’Institut de Locarn” http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article638

(3) Sur le “Pôle ouvrier”, deux textes produits par l’Organisation Communiste Libertaire :
http://www.oclibertaire.lautre.net/spip.php?article1450
http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1447

(4 )Au sujet du “mad in Bretagne”, lire : “Produit en Bretagne, l’escroquerie continue à se dévoiler” : http://www.rennes-info.org/Produit-en-Bretagne-l-escroquerie ainsi que : “Produit en Bretagne, arnaques et marketing” : http://anars56.over-blog.org/article-produit-en-bretagne-arnaques-et-marketing-40328183.html

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