Stop à la senne démersale

Stop à la senne démersale

Ce lundi 9 mai, soutenus par l’ONG Bloom, les marins-pêcheurs français et britanniques se sont rencontrés en mer, puis ont tenus des rassemblements respectivement à Boulogne sur mer et à Newhaven pour alerter élus et populations sur les effets dévastateurs de de la senne démersale.

La senne démersale est une technologie de pointe de la pêche industrielle.. En résumé, la technique consiste en poser des cordages sur le fond et provoquer une vibration. Le poisson est effrayé et remonte. Ne reste qu’à refermer en faisant coulisser – un peu comme pour fermer un sac poubelle –, aucune échappatoire possible.

Le problème

Ce procédé a été développé dans les années 2010. Au départ, nos pêcheurs locaux, comme d’autres à l’échelle artisanale, n’en voulaient pas. Les bateaux industriels néerlandais avaient la part belle et faisaient un carton plein en manche notamment. Ne faisant pas le poids leurs petits concurrents adoptèrent donc la senne démersale pour rester dans la course. À ce régime les stocks de poisson diminuent drastiquement. Les pêcheurs français et britanniques le constatent et appellent aujourd’hui les députés européens à un moratoire sur la senne démersale.

Les enjeux sont simples, à l’image de toutes les entreprises d’exploitation des milieux : raréfaction voire disparition des espèces, agonie économique des « petits ». C’est cette situation critique qui amène les riverains de la Manche à crier « stop ».

La position locale

Un sondage interne a été mené au comité des pêches sur l’utilisation de la senne démersale. Résultat sans appel : 93 % de nos marins-pêcheurs optent pour le moratoire. Comme l’exprime l’un d’eux, Alexandre Fournier, lors du rassemblement sur le quai Gambetta, en résumé : L’aquarium se vide ; on va au suicide.

De son côté, arrivé plus tard et en aparté, Olivier Leprêtre, président du Comité régional des pêches lâche, résigné : « je ne suis pas là en soutien mais j’adhère à un moratoire sur quelques années ‒ le temps de regonfler un peu les stocks ‒ ; maintenant s’il faut que cela soit définitif, on le fera. »

Ce moratoire vise évidemment la flotte de chalutiers géants, plus puissants, plus rapides, plus longs de la flotte néerlandaise. Les contentieux sont anciens et multiples : quotas de pêches, zones de pêche, pratique illégales ( high-grading qui consiste à rejeter à la mer des poissons comestibles afin de libérer de l’espace dans les cales pour des poissons plus rentables sur le marché ), subventions favorisant la pêche pélagique industrielle et autres fraudes ou infractions à la législation européenne.

La lutte

Si les pêcheurs français et britanniques s’affrontent traditionnellement ‒ et parfois sans ménagement ‒, c’est au gré des décisions de l’UE sur les questions halieutiques ; le Brexit a en outre exacerbé les différends à l’extrême. La France, au plus chaud du conflit post-Brexit, sur l’accord de licences d’accès aux eaux britanniques au bateaux de pêche français, en est arrivée à menacer le Royaume-Uni de prendre des mesures de rétorsion telles que l’interdiction de débarquement du « poisson anglais », des contrôles douaniers accrus…  dans les ports français.

Les positions respectives des marins-pêcheurs français et anglais convergèrent dès lors que les géants néerlandais continuèrent à écumer les zones de pêche, opérant industriellement, raflant tout, partout, en multipliant les dommages collatéraux ( gabegie, dégâts environnementaux… ). Et, comme dans tous les secteurs industriels, la course au profit élimine les petites boîtes incapables de s’aligner en terme de moyens.

À titre d’exemple, sur le plan économique, les Pays-Bas ‒ c’est-à-dire plus exactement  Vrolijk et  Parlevliet et Van der Plas en tête ‒ produisent 8,2 % de tout le poisson européen et ne représentent que 1,8 % de l’emploi dans la pêche. En comparaison, les pays moins industrialisés disposant de flottes de moindre envergure – comme la Grèce, le Portugal ou l’Italie – emploient près de 40 % du total des pêcheurs européens, alors qu’ils ne débarquent que 13 % du poisson de l’UE. (1)

Nous sommes donc sans surprise en présence d’une lutte qui dépasse les dissensus entre pavillons  et qui repose sur des enjeux économiques et politiques sur fond de logique capitaliste. Le combat que mènent les marins-pêcheurs français et britanniques contre les armateurs néerlandais comme Vrolijk ou les associés P&P. Ces  derniers sont à la tête d’une holding ancrée aux Pays-Bas, et possèdent des implantations en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, au Portugal, aux îles Féroé, en Lituanie, en France… Régnant sur 6 000 employés, Parlevliet et Van der Plas sont le premier armateur à la pêche de l’Union européenne. 

Le Capital 

Prenons l’exemple du Scombrus, inauguré en septembre 2020 sous protection policière.(2)Ce chalutier-congélateur de plus de 80 mètres   peut amasser 200 tonnes de poisson en une nuit quand un bateau de moins de 12 mètres se situe autour de quelques tonnes par an. Il appartient à France Pélagique, filiale du groupe hollandais…Vrolijk ! La Compagnie des Pêches de St-Malo, Compagnie française du thon océanique ou encore Euronor… sont autant de compagnies françaises aux mains des Pays-Bas. 

Au XVIIème siècle, les flottes marchandes ( et corsaires ) étaient au service expansionniste et colonialiste de leurs nations respectives et les Provinces Unies ( Pays-Bas d’aujourd’hui ) tenaient déjà la dragée haute sur toutes les mers du monde. Aujourd’hui, ce sont les puissances économiques qui tiennent directement la barre. 

Mais qu’on ne se méprenne pas, le présent conflit est intra-européen et nous touche légitimement ‒ nous : habitant-.es du premier port de pêche français ‒ ; il ne doit pas masquer le problème à l’échelon mondial. C’est ainsi qu’une véritable mafia passe des accords illégaux avec les gouvernements locaux pour se goinfrer dans les eaux poissonneuses d’Afrique de l’Ouest. Et ce sont les pêcheurs locaux qui, là encore, morflent.(3) Les pillards affluent de partout, Chine et Corée du sud comprises. Le capitalisme n’a pas de patrie !

La politique européenne

L’Union européenne est le principal client du continent africain. Aussi a-t-elle conclu en 2016 un accord avec les pays ouest-africains : 100 bateaux européens pourront pêcher dans les eaux mauritaniennes pour un total d’environ 280.000 tonnes par an. Les bateaux qui y auront accès viennent d’une douzaine de pays européens. En retour, l’Union européenne s’est engagée à verser près de 60 millions d’euros par an dans le cadre de ce partenariat. Les fossoyeurs asiatiques continuant leur bizness en dehors de toutes les lois internationales et en toute impunité. Il es vrai que  « Les poissons pêchés illégalement en Afrique de l’Ouest sont transportés dans des conteneurs géants réfrigérés et mélangés à d’autres cargaisons pour échapper à des contrôles en Europe » explique un rapport de l’Overseas Development Institute (ODI), un groupe de réflexion britannique. 

De même, Greenpeace établira un rapport selon lequel ni la pêche ni les populations locales ne tireront avantage dudit accord. Pire, les flottes artisanales se meurent loin des préoccupations  gouvernementales.

La solution ? « Pour lutter contre ce pillage scandaleux opéré par les flottes étrangères, les experts de l’ODI appellent les gouvernements de l’Afrique de l’Ouest à renforcer leurs industries de transformation du poisson et les flottes de pêche autochtones, au lieu de vendre des droits de pêche à des opérateurs étrangers. » préconise l’ODI. Il fallait y penser. D’ailleurs, ça tombe bien , Boulogne est le  plus grand centre de préparation et de transformation des produits de la mer enEurope.  

Alors quel sort pour le moratoire des pêcheurs français et britanniques dans la manche ?

Les euro-députés comme à l’échelon national, votent en fonction de leurs intérêts partisans ou de leur électorat, lequel relève de la politique intérieure et de l’image de leurs fiefs respectifs. Il sont en outre l‘objet des puissants lobbies industriels et financiers, néerlandais ou autres, lesquels ont parfois un pied sur le bateau et l’autre sur l’usine de transformation des produits de la mer.

Menu fretin contre gros poisson… Sacré coup de tabac à essuyer pour nos artisans de la mer.

Boulogne sur Mer Le 17 mai 2022

 

(1) https://associationpleinemer.com/2021/10/25/une-peche-industrielle-dangereusement-efficace-comment-les-multinationales-neerlandaises-menacent-la-peche-artisanale-europeenne/

(2) https://reporterre.net/La-France-lance-un-chalutier-geant-fossoyeur-des-mers

(3) https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/les-pecheurs-ouest-africains-desarmes-face-aux-chalutiers-pilleurs-etrangers_3061807.html

 

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