L’hôpital de Boulogne : un cluster du variant Macron du virus néolibéral

L’hôpital de Boulogne : un cluster du variant Macron du virus néolibéral

 La CGT a invité la population à venir soutenir les personnels hospitaliers devant l’hôpital ce mardi 21 décembre. La direction a en effet décidé de supprimer les services de néonatalogie et des urgences pédiatriques. Cette mesure s’inscrit dans le processus dévastateur nourri par tous les gouvernements depuis 25 ans.*

Quelques dizaines de personnes sont venues à la rencontre des agents hospitaliers des services de pédiatrie et de néonatalogie autour d’un café. Un tour d’horizon montre qu’une bonne partie sont des parents directement concernés ; leurs enfants étant pris en charge, souvent dans la durée, dans les services menacés. Des syndicalistes d’autres secteurs étaient également présents, la CGT portuaire notamment.  On peut aussi noter la présence de Brigitte Passebosc,  maire Saint-Étienne-au-Mont, seule élue de la CAB à manifester son inquiétude quant à la dégradation de l’hôpital public, et de  la sénatrice Cathy Apourceau-Poly, laquelle se fait fort semble-t-il de souffler dans les bronches de Véran. La solidarité n’était pas de façade.

Bien que contacté par la CGT, Frédéric Cuvillier, président du conseil de surveillance du centre hospitalier,  président de la CAB, maire de Boulogne, n’avait, selon le syndicat, pas donné signe de vie ce mardi. 

Capital santé

Pourtant, ce dernier ne déclarait-il pas en octobre dans le presse locale : « Ce qui fait la réussite de ce centre hospitalier c’est bien évidemment l’entente entre le corps médical, l’administration de l’hôpital, la présidence de la commission médical de santé et la Ville » ? Ce propos se voulait entrer en résonance avec ceux d’André-Gwenaël Pors, le nouveau directeur qui se targuait de « mettre en place une charte de bonne conduite du dialogue social ». Comme ça se fait dans toute bonne entreprise. Car les deux hiérarques sont d’accord sur une chose : l’hôpital c’est une entreprise comme les autres, en terme de rationalisation budgétaire au moins. Les préoccupations sont de l’ordre de la sacro-sainte excellence ‒ comptable pour le coup ‒ et de la rentabilité. Dès lors il en va de la santé publique comme de n’importe quel service à la population : ce qui coûte trop cher est éjecté au profit des activités plus lucratives. 

Alors que la question du service public doit se poser au regard de son utilité sociale ! La conception qui en était sortie pour « les jours heureux » d’après-guerre  était simple : les services déficitaires continuaient à tourner grâce aux services bénéficiaires. Ainsi la SNCF gardait petites gares et petites lignes sans remplir les trains, et les hôpitaux soignaient les petits bobos et les grands malades. Les plaies économiques étaient pansées. Ce principe abandonné, rien de plus logique que de d’exhiber les trous béants, puis  démanteler les entreprises publiques, et enfin de refiler les bas-morceaux au privé pour pas cher.

Et pourtant, à son arrivée, le gestionnaire Pors s’est extasié du budget excédentaire de l’hôpital Duchenne. 

On ferme !

Les conséquences de ce délire idéologique qui fait primer l’économie de marché sur tout le reste débouche sur des aberrations dramatiques. Et particulièrement dans le domaine hospitalier qui nous intéresse.

Ainsi le 1er novembre, c’est le service pneumologie qui était liquidé à Lens. Certes, si la plupart des anciens mineurs silicosés sont morts ‒ ou s’ils sont vieux, c’est qu’ils vont bien ? ‒, la hausse des cas de bronchiolites à l’échelon national aurait peut-être dû peser dans la décision. Ici, à Boulogne sur mer, c’est le service d’addictologie qui a été sucré il y a quelques semaines. Sans commentaire. Aujourd’hui ce sont les services des urgences pédiatriques et de néonatalogie qui sont dans la seringue. 

Et la débandade est générale. Plus de 5 700 lits d’hospitalisation complète ont été fermés en 2020 dans les établissements de santé français. Olivier Véran, le ministre de la santé, en a trouvé la cause : ce serait « faute de soignants, faute surtout de pouvoir en recruter » mais aussi  d’une hausse de l’absentéisme des salariés hospitaliers non médecins et des démissions. Késako ?

Burn out chez les pro, crise de foi chez les carabins

On le sait, durant la pandémie, les personnels hospitaliers ont donné tant et plus que nombre d’entre eux ont fini par tomber malade, craquer et s’arrêter. Le manque de personnel et les conditions de travail intenables ont eu raison de leur bonne volonté… Le déficit de médecins s’explique en partie par les choix de carrière des étudiants en médecine.  La cause drastiques des fermetures de certains services tiendrait ainsi à une double « responsabilité » des étudiants en médecine. Primo, un choix de spécialisation toujours plus en défaveur de la sphère pédiatrique ( y-compris dans la médecine de ville ), deuxio, la  désaffection croissante pour l’hôpital public autant que pour la médecine de ville. Ces derniers préférant s’inscrire dans des perspectives socialement confortables et gratifiantes plutôt que d’endosser la redingote du bon vieux médecin de famille.

L’absence de toubibs, déjà en temps « ordinaire » met sur les genoux ceux qui exercent encore. Avec une amplitude horaire pouvant aller jusqu’à 70 heures de consultation par semaine, ils ne font quasiment plus de visites à domicile et les gardes de nuit sont pratiquement abandonnées. En conséquence, les appels au secours immédiat se reportent sur les urgences, lesquelles sont dépassées et en arrivent à faire le tri en fonction de la gravité des situations. 

Par ailleurs, nombre de médecins frais émoulus rechignent à s’installer dans les quartiers à fort taux de CMU ou à jouer le médecin de campagne, sans compter la météo. Au point qu’il a été pensé à les… salarier ! Le député-médecin de Neufchâtel-Hardelot Jean-pierre Pont ajoutait en juin dans La semaine dans le Boulonnais :  « Auparavant, un médecin partant à la retraite pouvait vendre sa patientèle à son successeur, cela représentait 50 % de son chiffre d’affaires. Aujourd’hui, cela ne représente plus rien. » Et voilà, un cabinet, c’est une affaire et ça doit en être une bonne.

On comprend mieux. Du toubib libéral au centre hospitalier, c’est une histoire de fric et de prestige. Il s’agit d’être bien classé dans la presse au hit parade des établissements de santé, et la concurrence fait rage, à l’instar des universités d’ailleurs. Du coup, ce sont les boîtes privées qui ramassent les lauriers puisqu’elles ont des contraintes budgétaires plus tenables, elles peuvent « choisir » leur clientèle ‒ en fonction des moyens et couverture mutuelle… de celle-ci ‒ ; elles sont des structures plus petites, et donc d’une proximité plus forte du personnel aux patients, des délais d’attente moindres, etc.

Enfin, que dire des consultations privées assurées à l’hôpital public, avec les moyens du public, le « petit personnel » du public, les frais de fonctionnement public, et dont les dépassements d’honoraires sont à charge des mutuelles, lesquelles en répercutent le coût sur les cotisations des adhérents… 

La charité qui se fout de l’hôpital

En 20 ans, la moitié des maternités a fermé laissant parfois place à de véritables usines à bébés. À Lille, la maternité Jeanne-de-Flandre enregistre plus de 5 000 naissances chaque année.
Certaines maternités privées s’estimant « non rentables » décident de fermer leurs portes, transférant de fait leur activité sur le secteur public.  

C’est ce qui s’est produit début novembre à Boulogne, la maternité du de la clinique de la Côte d’Opale a fermé :  Les sages-femmes étaient légitimement en grève pour demander plus de moyens humains et une revalorisation salariale. Les patientes ont été dirigées vers le centre hospitalier.

Aussi, lorsqu’on décide de fermer les services consacrés à leurs progénitures, on comprend bien que les personnels des secteurs pédiatriques ruent dans les brancards. La fermeture implique un transfert des patients à Calais. Les personnels qui le désirent pourront suivre ! 

Il faudra donc visiter son enfant malade à trente bornes. Et si on n’a d’autre choix que d’utiliser les transports en commun…

Ce mouvement des personnels hospitalier de l’hôpital Duchenne n’est donc pas un simple caprice d’ordre catégoriel. Il en va non seulement des conditions de travail des personnels, mais aussi de l’accessibilité économique et géographique aux soins d’urgence et de suite des enfants de l’agglomération, de l’opposition à une privatisation des services de santé.

Vos gosses sont malades ? Qu’ils aillent voir ailleurs.

Pas question !

Boulogne-sur-mer, le 28/12/2021

 


Chronologie d’une agonie

1995 : une concurrence asymétrique au bénéfice du privé. 

Chirac suite à ses larmes de crocodiles sur la « fracture sociale ». À peine assis à l’Élysée il annonce renoncer à son programme ayant « sous-estimé l’ampleur des déficits »…  qu’il découvre. Après un mouvement de grève long et massif, Juppé, le premier ministre, s’il cède sur la réforme des retraites, instaure par ordonnance celle de l’hôpital. Il instaure « la responsabilisation et la contractualisation, la coordination entre établissements publics et la mise en place de procédures d’évaluation et d’accréditation ». La gestion des hôpitaux repose sur des objectifs chiffrés ; les comptables prévalent sur les médecins.

C’est aussi la fin de l’obligation pour les médecins de ville de prendre des gardes, donc le début de l’asphyxie des services d’urgence, seul lieu pour être soigné 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. 

2003 :  mise en concurrence des hôpitaux

Réélu dans les conditions que l’on sait en 2002, Chirac et sa bande essuient un nouveau mouvement de grève qui échoue dramatiquement. On instaure le T2A, la tarification à l’acte. Les hôpitaux sont financés en fonction du nombre d’actes produits. On les pousse à se tourner vers les activités les plus rentables. Les patients trop chers deviennent des patates chaudes que les gestionnaires cherchent à se refiler. La notion de temps opère un glissement de l’assurance du rétablissement du patient à son encouragement à dégager au plus vite.

2009 : L’hôpital entreprise

Sarkozy élu en 2008, assène via Bachelot la loi HSPT ( Hôpital, patients, santé et territoire ). Les dispositions sont froidement simples. D’abord, la création de CHT ( Communautés hospitalières de territoires ) Au principe simple : les établissements de grande taille assureraient les soins de pointe, et les hôpitaux locaux de petite taille concentreraient leurs activités dans les soins de suite et la gériatrie. 300 CHT doivent remplacer un millier d’établissements hospitaliers alors en fonction. Ensuite une gouvernance renforcée exercée par un directeur d’hôpital aux pouvoirs étendus, lequel n’est même pas tenu d’être médecin (!). Et les cliniques privées invitées à participer aux missions de service public, notamment la permanence des soins ou l’accueil des plus démunis (!!). 

Par la suite, la machine étant sur les rails ni les gouvernement de successifs de Hollande et de Macron ne chercheront à en sortir. La gestion des hôpitaux se fera sur des bases comptables, le tiroir caisse primant sur l’humain et les conditions de travail des personnels hospitaliers ne cesseront de se dégrader. 70.000 lits d’hôpital ont été supprimés en 15 ans. Une maternité sur trois a été fermée en 20 ans. Une centaine d’hôpitaux ont été fermés par la gauche entre 2012 et 2017.  Et l’on connaît la suite avec la politique actuelle en matière de santé.

Même sans Covid, c’est pire.


 

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