Dhuime tire sur ses ambulanciers
La maison Dhuime est une entreprise de transport sanitaire quasi incontournable pour le Boulonnais depuis des générations, Aussi lorsque pour la première fois de son histoire, en janvier 2011, son personnel se met en grève, cela sonne-t-il comme un événement.
La Maison Dhuime
Pour mémoire, Dhuime est la plus grosse boîte locale du genre (environ 35 véhicules). C’est un conglomérat de petites entités rachetées dans les années quatre-vingt, issu du principe d’absorption des petits par les gros. La loi basique du capitalisme. Ainsi lorsqu’un véhicule arborant l’étoile bleue se présente sous les marques Ambulances de la côte d’Opale, Outreloises, Duchêne (Neufchâtel) ou Rinxentoise : c’est Dhuime. Aujourd’bui, c’est à un patronat bicéphale que sont soumis l’ensemble des salariés de ces différents « sous-traitants ».
Nous allons voir que l’organisation de la nébuleuse repose sur le bon vouloir de l’historique famille aux commandes.
Premier point : aucune des entreprises n’excède un effectif de 49 employés, ce qui est bien pratique quand l’idée d’un CE (comité d’entreprise) révulse un patron ; il faudrait 50 salariés.
Second point : juridiquement, les véhicules devraient être garés sur les lieux des sièges sociaux des différentes compagnies. Mais tout est regroupé route de Desvres et route de Saint Omer. Faille dans laquelle la DDASS évite de s’engouffrer en prévenant Dhuime à l’avance d’un contrôle. Résultat : au
moment de l’hypothétique inspection, les véhicules tournent pour éviter de rentrer au garage…
L’entreprise a su s’adapter au marché de la morbidité en diversifiant ses missions. En effet, outre le transport sanitaire strict des patients , assis, en VSL (véhicule sanitaire léger) pour un examen… ou couché en ambulance dans le cas. d’une urgence ou d’une hospitalisation, le déplacement en taxi(l), Dhuime propose en cas de décès : la démarche administrative relative à l’autorisation de transport d’un corps -signer un document administratif en mairie- le transport de corps, la location de la housse mortuaire. Bref, le marché post-mortem est particulièrement lucratif
Le sacerdoce de l’ambulancier
Ce sont davantage les conditions de travail auxquelles les soumet leur patron que les exigences inhérentes à leur métier qui engendrent la réelle pénibilité du quotidien des ambulanciers. Et c’est sur des revendications de cet ordre, et pas salarial, que les travailleurs de Dhuime déclencheront leur grève
Concernant le temps de travail, d’abord, c’est sur une décennie qu’il faut considérer l’évolution, qui s’accélérera ces dernières années : en 2002, les ambulanciers sont payés à hauteur de 75% de leur temps de travail, en 2010 à 83 %, et à 86 % en 2011.
Ils savent déjà que les 90% promis pour 2012 seront un plafond. Certes, lorsqu’ils sont par trop éloignés de la base, il existe un temps d’attente mais dans un contexte professionnel; ils ne sont pas chez eux en famille, ni au bistrot, ni… ils sont au boulot ! D’ailleurs, ils sont toujours sous la direction d’un médecin : « vous pouvez me l’amener en radio » ou autre et l’aide à la marche des patients n’est pas une exception, alors que partout ou presque les heures de nuit et de week-end sont majorées dans le cadre d’un accord national, chez Dhuime c’est 75 %
Dans la même veine et contrairement aux accords nationaux et d’entreprise, les ambulanciers sont tenus de nettoyer (intérieur et extérieur) tous les véhicules. Avec l’agréable conséquence du lavage extérieur au “karcher” : le local est sans évacuation d’humidité, les casiers des personnels juste à côté… sacs de couchage et oreillers prennent la flotte.
Le week-end, en plus des trajets planifiés et des urgences (par définition imprévues), les ambulancier procèdent à des tâches de désinfection, de vérification des valises de secours… En cas de garde SAMU, l’équipe est en attente sur le lieu de travail, de l’oisiveté payée à 75% ; là encore il faut les occuper: nettoyage, balayage y compris des bureaux et véhicules personnels des patrons… S’ajoutent les modalités de prise de service. Le personnel est prévenu de son horaire d’embauche la veille au soir, sans savoir quand il va finir(2). On se doute que ce fonctionnement « à flux tendu » désagrège tout projet dans la vie personnelle du salarié. Dhuime ne refuse jamais une course , même si le retard de la prestation est inévitable, il faut être sur le coup.
Cette « philosophie » engendre des attentes qui peuvent excéder une heure. Aux ambulanciers, en première ligne, d’affronter le mécontentement des patients, de leurs familles, des personnels soignants qui ont poireauté. Appelés continuellement, le stress est permanent. Reste pêle-mêle les vicissitudes matérielles : pas de local d’habillage/déshabillage chauffé(3); casiers à l’air libre dans le garage; pas de papier toilette ni de produits d’entretien aux wc; chambres et lits vétustes , et Dhuime ne fournit aucune protection: le personnel achète ses gants en latex et ses protège-chaussure !
La grève
Les ambulanciers ont mis sur la table de façon répétée leurs griefs quant à leurs conditions de travail, plus essentielles à leurs yeux que les questions salariales. Le mépris revendiqué de leurs patrons pour ces petits bobos a graduellement exacerbé les tensions. À la base, nous l’avons dit, les revendications portent sur les conditions (primaires) de travail : des vestiaires dignes de ce nom, du matériel d’entretien et de désinfection des véhicules… et la mise en place d’un planning voté lors de l’accord d’entreprise. Le planning n’est pas horaire. Il y a une équipe du matin, une intermédiaire (10/12 heures) et une du soir ; c’est à dire de midi à … plus d’heures, selon les déplacements lointains (jusqu’à Lille voire le centre de la France). Aucune réponse n’a jamais été apportée aux revendications relatives à cet emploi du temps.
Tant que la CFDT était majoritaire chez les élus du personnel, les signaux de détresse des salariés s’évaporaient. La CGT, arrivée au poste de porte-parole s’est rendue compte de l’ampleur du ras le bol et de la prise de conscience des capacités à réagir des employés(4). Après avoir laissé bouillir la marmite, les syndicats, ayant raccroché les wagons, ont joué leur rôle de catalyseur. Et le 14 janvier 2011, pour la première fois dans l’histoire de la maison Dhuime, les travailleurs déclarent la grève. Le conflit sera réglé dans la journée.
Entamé à six heures du matin, le conflit démarre par des menaces verbales des patrons, qui en sont coutumiers. Cette fois, les salariés ne se laissent pas intimider et les négociations très vite menées débouchent sur la signature d’accords par Dhuime, représentant régional des compagnies d’ambulances pour sa part et la CGT.
Un état stationnaire.
Constat après l’incident: vestiaires merdiques etc. La mise en place du planning reste au bon vouloir des patrons et une entourloupe à la clef : un accord sur une prime de repas et le temps de pause. Une demi heure pour manger et une prime de 12,10 euros ; une demi heure sur la prime, une demi heure après le temps de travail. Autrement dit, une demi heure de travail reconnue en sus du temps de travail effectué. Exemple : l’ambulancier travaille dix heures avec sa pause d’une demi heure, on y ajoute une demi heure, il a donc… dix heures et demi de travail reconnues ! Ensuite, les patrons font en sorte que le personnel ait toujours une heure de pause, donc plus de prime repas. Illustration avouée des Dhuime : “Avec l’économie réalisée, on va pouvoir s’acheter une belle Mercedes !”.
Finalement, c’est le statu quo. L’escalade est ouverte, les revendications pourraient déborder sur le plan salarial, paraît-il… Le pouvoir bicéphale s’en fout. Il est d’autant prêt à aller au clash qu’il n’y a pas eu de retour de flamme au non respect des engagements paraphés. Le partenariat social a repris ses droits et ses travers. Les ambulanciers sont décidément… patients.
Notes
1) NB : le transport en taxi pris en charge par la “sécu” est mieux remboursé que le VSL. Par ailleurs, les longs trajets sont préférés à l’intra-muros : le parcours et le temps d’attente du « chauffeur de taxi » sont facturés à la sécu.
2) Légalement 12 heures consécutives maxi. Temps de travail qui est explosé en permanence pour certains.
3) Un local de douche transformé qui offre 1,5 m2 pour deux.
4) Il est évident que les affaires de collaboration, de négociation ou au contraire de lutte vis à vis du patronat repose davantage sur les militants au sein de l’entreprise que sur l’étiquette à proprement parler : chacun connaît des boîtes locales où la CFDT sait monter en première ligne.
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Dernière minute.
Depuis la rédaction de cet article durant l’automne 2011, certaines choses ont changé. Un vestiaire digne de ce nom et chauffé a été construit, une évacuation d’air humide installée et la chambre rénovée. Ceci ne doit pas faire oublier que les plannings n’ont toujours pas été mis en place. A cela s’ajoutent des disparités salariales notamment au niveau des primes, des heures supplémentaires, des indemnités repas, et le harcèlement patronal font que le personnel a de nouveau débrayé le jeudi 26 janvier 2012. Au jour de l’écriture de cet article, le 26 janvier 2012, les négociations viennent juste de s’ouvrir. Elles s’annoncent difficiles et tendues. Rendez vous au lecteur-trices au prochain numéro du journal pour les tenir informés des avancées de la lutte.