Après ces quelques mois de mobilisation, voici venu le moment de faire un premier point sur la campagne. Les questions demeurent nombreuses qui mêlent les modalités de l’action : comment construire localement une réelle dynamique, avec quels outils et quelles pratiques- au contenu proprement politique, à savoir comment s’inscrire dans une lutte sur l’immigration quand on a soi même des papiers et en faisant d’autres choix que le soutien ? Autrement dit, est-il possible sur une lutte spécifique d’avancer des éléments plus globaux partagés par d’autres secteurs de la population ? Une réflexion en direction de celles et ceux qui souhaitent bouger sur ce terrain.
Photo prise à Coquelles, lors des mobilisations
Lorsque nous avons fait le choix de nous investir dans la lutte contre l’extension du centre de rétention de Coquelles, nous savions que nous inscrivions notre intervention dans la durée. Nous le faisions en fonction d’un contexte précis, celui de la fermeture programmée du camp de Sangatte et de la dispersion des sans-papiers qui s’en suivrait immanquablement. Bien sur parce qu’il permettait de nous opposer concrètement à l’hypocrite et criminelle gestion des flux migratoires sur l’espace européen ainsi qu’à l’arsenal sécuritaire indispensable à sa mise en oeuvre. Toutes choses que les mesures légales annoncées par l’Europe confirment entre autre au travers des récentes remises en causes du droit d’asile. Nous entamerons donc notre tour d’horizon par une mise au point qui nous offrira, nous le souhaitons, une occasion supplémentaire de débattre et d’avancer dans la critique et la recherche de modes d’actions sur ces questions.
Vous avez dit » Liberté de circulation » …
Il est convenu dans les milieux associatifs intervenant sur les luttes de l’immigration, les révolutionnaires n’échappant que rarement à la règle, de porter la revendication de » liberté de circulation et d’installation « .Soit.
Comprise comme un principe nous ne pouvons qu’être en accord avec celle-ci. Mais alors, reconnaissons que c’est une revendication abstraite qui fait peu de cas des déterminations du marché mondial de la main d’oeuvre. Car les flux migratoires ne peuvent se comprendre dans le capitalisme global qu’au titre de la marchandise, tels les services, les produits manufacturés ou les rentes de la finance. Voilà pourquoi et dans ces conditions, la circulation appliquée aux individus ne relève pas du choix, encore moins de la liberté, quelqu’ en soit par ailleurs le point de départ et le lieu d’arrivée. La liberté de circulation dans le système capitaliste est un leurre, lorsque l’Etat recourt périodiquement à des vagues de régularisation c’est toujours en fonction de certaines circonstances, avant tout afin de faire baisser la pression après une longue période creuse. C’est à ce rythme que vivent les mouvements de sans-papiers.
Peut-être faut-il rappeler que toutes les mesures actuellement appliquées ou en projet, en France comme en Europe, vont dans le sens de la fabrication d’une main d’oeuvre clandestine, précaire et tournante, dont la figure est le sans papier, le plus souvent débouté du droit d’asile.
Qu’il s’agisse du discours entretenu sur les » faux réfugiés » programmant la casse du droit d’asile, de la logique d’enfermement par la multiplication des camps pour étrangers en Europe ou dans les pays tiers, de l’augmentation des expulsions et de la programmation de charters européens, ou encore de l’allongement de la durée de la rétention, toutes ces mesures convergent vers un seul objectif : mettre à la disposition des patrons un volant de main d’oeuvre corvéable et sans statut juridique. C’est donc sur un terrain de classe dans ce que le » sans papier » figure aujourd’hui et pour les périodes à venir des conditions générales du salariat , que nous inscrivons notre action.
L’indispensable lutte des sans-papiers.
Au delà de ces options de principe, il nous faut prendre en compte certains paramètres et en premier lieu l’atonie depuis plusieurs années des luttes de sans-papiers. Le cas de Lille demeure aujourd’hui l’exception hexagonale, et vraisemblablement pour un certain temps encore après l’échec cet été de l’occupation du square Séverinne à Paris. Le relais lillois est donc précieux à plus d’un titre, à fortiori quand localement l’errance ne favorise pas l’organisation des » réfugiés « . Sa collaboration nous a permis en son temps de mettre le collectif » CSur » devant ses responsabilités face à la rétention, mais aussi de mailler des initiatives communes, la dernière en date remonte à cet hiver sur le centre de rétention de Lesquin. Si théoriquement nous affirmons que c’est d’abord aux intéressés de prendre en charge leur lutte, ce qui est difficilement envisageable sur le littoral hormis des mouvements entre les murs mêmes du centre, la participation du CSP 59 permet justement ce lien indispensable avec une situation de lutte concrète. Et puis, c’est lorsque plusieurs femmes du CSP 59 en grève de la faim furent envoyées à Coquelles, que l’on a constaté un début de réaction de la part des humanitaires calaisiens. A deux reprises, ils apportèrent devant le centre leur soutien aux grévistes . Une évolution qui se confirma également par la participation de certains d’entre eux/elles aux initiatives que nous avons menées ces derniers mois. Autant qu’il est possible de l’envisager, la participation de collectifs de sans papiers est donc à encourager, puisqu’elle permet de briser au moins ponctuellement les divisons entretenues entre » vrais » et » faux réfugiés » à plus forte raison quand les relais associatifs locaux issus de l’immigration font défaut (1).
Si nous ne nous sommes jamais trouvés seuls lors des appels que nous lancions, notre difficulté à élargir la mobilisation est réelle et hypothèque d’autant le champ des possibles. Le petit réseau local et régional qui nous permet de maintenir un type d’intervention qui articule information, débat et manifs ne suffit pour le moment pas à envisager la création d’un collectif large.
Et au delà ?
C’est au delà des réalités propres au littoral, politiquement fonction de la période que nous traversons. Certes, des collectifs sont mobilisables, certains le furent bien avant le lancement de la Campagne en janvier, venant parfois de Belgique, d’Angleterre, de Paris ou de la région qui tous se retrouvèrent à Coquelles. Cela participe d’une indispensable mise en réseau des personnes actuellement en mouvement. Nous avons su éviter les pièges du localisme, profitant au départ des retombées médiatiques de Sangatte, maintenant c’est localement qu’il nous faut rebondir. L’enjeu est double qui articule la nécessité de sortir la rétention de la clandestinité et d’exister politiquement par rapport à ces questions. A notre connaissance aucune information sérieuse n’a éte produite actuellement en dehors des promenades médiatiques de personnalités de gauche.
Le travail d’information en direction de la population Coquelloise mené depuis le début demeure indispensable bien que se révélant peu payant jusqu’à aujourd’hui. Des articles parus dans la presse locale répondant parfois à nos interventions dans le village attestent qu’on ne souhaite pas laisser s’engager le débat. D’autre part, le centre existe depuis plusieurs années maintenant, sans qu’il y ait eu chez les locaux de manifestation d’aucune sorte lors de sa construction. Comme nous l’écrivions il y a peu dans une revue militante(2) : » il y a un environnement économique qui ne favorise pas la réaction des coquellois-ses… Coquelles, c’est au départ un village rural en périphérie de calais qui depuis la construction sur ses terrains du tunnel sous la Manche, a pris des allures de zone pavillonnaire croulant sous les sommes perçues de la société Eurotunnel et du complexe commercial attenant baptisé « cité-Europe« . A partir de là, on peut comprendre que la priorité de cette toute fraîche population n ‘est pas la lutte contre l’enfermement et le contrôle social… « .
Aperçus des articles de la presse locale
Ce travail peu réalisé sur Calais et malheureusement négligé sur Boulogne-sur-mer reste à mener largement au travers de débats publics. Ces débats ne constituent pas un enjeu déterminant sur le terrain mais sont indispensables, compris comme des espaces de rencontre, d’information et d’échange. Ils doivent permettre d’avancer sur les contenus ce qui n’est que trop rarement le cas, donner l’occasion de confronter des expériences en lien avec le terrain. C’est aussi de cette manière que l’on existe politiquement. En ne laissant pas la parole être confisquée par l’Etat, la gauche et ses satellites associatifs. Cela exige de poser politiquement les choses, ici et en lien avec un contexte plus global. La programmation d’une tournée dans les mois à venir et co-organisée par les réseaux » Solidarité Irak/SIL » avec des acteurs/trices des mouvements sociaux irakiens mouvement des femmes irakiennes, le mouvement des chômeurs et des syndicats autonome, serait une opportunité afin de mettre en lien l’errance des » réfugiés » sur la côte et la situation de l’Irak aujourd’hui (3).
Concrètement, la soirée du 15 mai esquissa un échange entre sans-papiers Amiénois, collectif C SUR, Inter-Lutte, la Mouette Enragée et le Collectif Anti-Expulsions de Paris. Se poser et faire le point avec d’autres est à reconsidérer dans nos milieux succombant parfois à un activisme rarement interrogé…
Des pistes possibles …
En premier lieu sur la rétention elle même puisque la pression exercée sur les sans papiers produit à l’intérieur des centres des réactions prévisibles voir en encadré le rapport de l’IGAS à ce sujet. Comme dans les prisons des mouvements de retenues sont tout à fait envisageables qu’il est important de relayer à l’extérieur. Sans pour autant attendre une présence régulière permettant de recueillir des témoignages de recouper des informations est nécessaire(4). Le soutien actif au grévistes de Lille a permis cela quelques temps.
C’est d’autant plus important sur Coquelles que l’Etat s’appuie sur l’image du » centre modèle « (5) et par ailleurs justifie la construction de nouveaux locaux par l’insalubrité de ceux en activité. Nous devons également continuer à affirmer notre présence à l’extérieur en repensant les modalités de nos interventions. Il faut maintenant inventer autre chose. Les actions sont à penser comme des moments d’affirmation publique, de construction d’un rapport de force mais à relier avec ce qui se vit dans le centre lui même. La question de la visibilité reste importante. Des moments de rupture potentielle sont à créer, l’occupation du chantier de construction de Palaiseau est intéressante. Face à l’Angleterre, un campement comme le » No Border » de Strasbourg offre des perspectives. Des campagnes sont envisageables contre les constructeurs, Bouygues et ses nombreuses filiales par exemple.
En lien avec d’autres acteurs
D’abord avec toutes celles et ceux qui sont potentiellement les cibles de la logique judiciaire et carcérale. Et cela fait du monde comme nous l’a encore démontré ces derniers mois le scandale judiciaire d’Outreau. Si aujourd’hui la prison ne fait pas l’objet d’une remise en question dans la société, elle entre pour un nombre croissant de personnes dans le champ des éventualités. Jeunes des quartiers pauvres, immigrés, travailleurs en lutte, chômeurs, syndicalistes, simple quidam… sont aujourd’hui les cibles favorites de l’offensive de classe que mènent Etat et patrons.
Pour cette raison, mettre des bâtons dans les roues de cette machine à broyer n’est d’aucune façon la chasse gardée de telle ou telle autre fraction militante mais une urgence pour le plus grand nombre. Des liens sont à établir prioritairement avec les collectifs en lutte, que ce soit ici, dans les quartiers, les boites et au delà de la Manche.
N’hésitez pas, contactez nous !
Automne 2004.
(1) On notera, mais qui s’en étonnera, l’absence des associations boulonnaises issues de lïmmigration sur le terrain…
(2) interview paru dans le n° d’été de la revue No Pasaran. in » A Coquelles comme ailleurs, non aux centre de rétention « .
(3) Pour toute info : mouvement de femmes irakiennes :
http://www.equalityiniraq.com/ Concernant les syndicats autonomes irakiens : http://www.uuiraq.org/.
Le site de solidarité irak : http://www.solidatiteirak.org
(4) Rappelons que tout personne peut visiter avec son accord un ou une retenue. Les retenues disposent de téléphones dans le centre, il est possible de les appeler afin d’établir le contact. Voici les numéros du centre de rétention de Coquelles
03 21 00 96 99
03 21 00 82 16
03 21 00 91 55
(5)Discours qui nous fut également tenu par un membre de la Cimade du centre de Coquelles…
Une vidéo sur la mobilisation contre le CRA de Coquelles, à l’initiative de la Mouette