La Social-démocratie locale et la Vidéosurveillance : volte-face sécuritaire et allégeance au patronat.

La Social-démocratie locale et la Vidéosurveillance :
volte-face sécuritaire et allégeance au patronat.

 

Au nombre des priorités que se sont fixés les élus de la CAB en matière de “développement économique” et d’aménagement de l’espace urbain, on retrouve le déploiement de la vidéosurveillance. Un dossier exemplaire qui témoigne de la manière dont la gauche prépare systématiquement le terrain aux destinées les plus réactionnaires.

 

Le choix de la vidéosurveillance répond à l’enjeu n° 3 d’un programme communautaire supposé rendre plus attractif le territoire aux entreprises. Il s’insère dans le nouveau scénario que promeut la municipalité de Boulogne-sur-mer, celui d’une ville “intelligente tournée vers les nouvelles technologies”, en route vers une chimérique “troisième révolution indistrielle” (1). Le volet sécuritaire participera de cette ”ambition numérique” qu’exalte la gauche locale dès lors que l’ensemble des caméras de surveillance sera relié à la fibre optique dont on nous annonce l’arrivée prochaine. L’intrication de la course au profit et de la propagation des pratiques disciplinaires trouve sous le masque de l’extase technologique l’une de ses plus éclairantes démonstrations.

C’est évidemment une décision cohérente si l’on admet que la vidéo est un élément à part entière des stratégies d’aménagement et de gestion de l’espace au profit du capital. A fortiori en cette période où la baisse des dotations versées par l’Etat, de l’ordre de 20 %, contraint ces élus à “faire des choix”, comme le déclare le président de la communauté d’agglomération. En déboursant la somme de 110 000 euros pour contenter les exigences du “Club de la Zone Inquéterie Entreprise”(2), la CAB ne fait que confirmer la subordination ordinaire du personnel politique aux desiderata du patronat et ce, du sommet de l’Etat jusqu’à ses plus bas échelons locaux.

 

 

l’ ambidextrie experte de la social-démocratie locale

Dans le boulonnais comme partout ailleurs, ce sont les maires des municipalités de droite qui les premiers livrèrent l’espace public à l’objectif des caméras : Saint-Léonard, Equihen et le Portel. A gauche, la conversion se fit plus lentement mais tout aussi sûrement. L’argumentation des uns ne diffère en aucun point de celle des autres et repose sur un plaidoyer articulé en deux temps. D’abord, il y aurait la nécessité de sécuriser les locaux et les espaces publics, comme les salles de sport et les cimetières, et de la sorte délivrer une réponse favorable aux réclamations formulées par des riverains excédés. Se faire le relais d’une volonté populaire, voilà le leitmotiv doucereux des élus de gauche lorsqu’il s’agit de justifier leur volte-face.

Ainsi, ni Thérèse Guilbert, maire d’Outreau, ni Oliver Barbarin, maire de Le Portel, ne se déclaraient au départ “ favorables au système de vidéosurveillance”. Antoine Logié, maire de Wimille s’avouait “quand même un peu réservé…” Quant à Frédéric Cuvillier, il a longtemps affirmé placer sa confiance dans les relations de proximité et le lien social … Depuis, tout ce petit monde s’est ravisé pour accorder son violon au diapason d’une fièvre sécuritaire qu’il alimente en retour à des fins très intéressées …

De toute évidence, le basculement s’est opéré à mesure que les scores de l’extrême-droite locale ont figuré un avertissement pour des équipes municipales installées dans la place depuis des décennies. Ces sociaux-démocrates ont agît comme à leur habitude en pareille circonstance ; opportunistes, ils se sont contentés de changer leur fusil d’épaule … Ainsi, le maire de Boulogne-sur-mer, s’est dédouané en se retranchant derrière les recommandations d’Habitat du Littoral dans le cadre du réaménagement des quartiers qu’il a lui même mis en oeuvre. Depuis, les truismes les plus éculés lui tiennent lieu d’échappatoire : “lorsque nous n’avons rien à nous reprocher, nous n’avons rien à craindre de la vidéosurveillance…” déclare-t-il benoîtement dans une interview à caractère promotionnel(3). Celui de Le Portel tente désormais de convaincre que “ce système a tout de même fait ses preuves”, quant à celle d’Outreau, elle confesse être “obligés d’en arriver là car nous ne pouvons pas avoir un agent de police à chaque coin de rue …” Pendant ce temps, ses conseillers votent de nouveaux crédits aux côtés de ceux de l’extrême-droite, dont le chef de file n’est qu’un transfuge du Parti Socialiste, afin de déployer davatange de caméras dans les rues de la ville …

 

derrière le masque social-démocrate

Ce cheminement n’est pas le fruit du hasard, ni la manifestation d’un glissement conjoncturel, il est consubstantiel de la fonction qu’occupe la gauche dans les périodes historiques où le capital se sait en position de force. Appelée aux affaires par le vote d’individus réclamant sa protection, elle leur imposera la régression sociale, là où la droite, confrontée à la même besogne se serait sans doute heurté à plus de difficultés. Les coups d’assommoir assénés aux prolétaires grecs par l’équipe de Tsipras renvoient en ligne directe à ceux portés en France par le gouvernement Hollande. Les sommations à se déclarer “Charlie” adressées aux rétifs de leur “Union nationale”, la loi Valls sur le renseignement ou encore l’augmentation de 300 millions d’euros du budget du ministère de l’intérieur dressent le rempart à l’abri duquel le Parti Socialiste désosse les restes du compromis social de l’ère fordiste.

On retrouve l’illustration de cet enchevêtrement politico-sécuritaire au sein de la municipalité socialiste de Boulogne-sur-mer où l’on recycle à des postes de management ou d’élus, d’anciens cadres de la police nationale. Ainsi l’actuelle Directrice Générale de Services (DGS) de la mairie officiait auparavant en qualité de sous-préfet, puis de commissaire centrale de police. Plus banal, le conseiller municipale en charge de la sécurité se trouve être un ancien commandant de police du commissariat de la ville.

 

 

combien cela coûte-t-il de se faire espionner ?

Comme nous l’avons vu, la baisse des dotations de l’Etat versées aux collectivités est l’argument auquel recourent les responsables locaux pour répondre des choix qu’ils opèrent. S’il est un domaine qui échappe justement à cette règle c’est celui du contrôle social et sécuritaire pour lequel la gauche s’est empressée de reconduire l’ensemble des mesures prises par le gouvernement précédent. Ainsi, lorsqu’un maire décide d’installer des caméras de surveillance sur la commune qu’il gère, près de la moitié des frais d’installation sont pris en charge par l’Etat(4). C’est évidemment une aubaine et une manne que les élus sont rares à refuser car l’opération leur permet de communiquer sur un terrain où ils s’imaginent gagner en popularité à peu de frais.

A partir des seules informations diffusées publiquement il est difficile de se faire une idée précise de ce que coûte la vidéosurveillance et encore moins de ce qu’elle rapporte aux patrons des sociétés qui s’en gobergent. Toutefois, nous savons que dans la seule CAB, le montant de ces installations s’élève à plusieurs dizaines, si ce n’est centaines de milliers d’euros. Les informations concernant les coûts de fonctionnement, d’entretien et de réparation échappent, eux, à toute publication. Pour la ville de Boulogne-sur-mer, 83 050 euros ont été déboursés en 2013 et 25 000 euros par la suite pour de nouvelles installations. A Outreau, la seule extension du réseau se chiffre déjà à 71 466 euros HT. Pour Saint-Martin-Boulogne nous ne disposons pas d’information, outre celles concernant la zone de l’Inquéterie déjà mentionnées. A Wimille, la facture s’élèverait pour le moment à 6000 € hors taxes.

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Notes :

(1)Voir le procès verbal de la réunion du 30 juin 2015 du conseil communautaire. Les projets visent entre autres, la plate-forme aquacole de Wimereux, la reconstruction d’un bâtiment à Garromanche, les travaux de parking Eplacenet et la vidéosurveillance à L’Inquétrie.
http://www.agglo-boulonnais.fr/uploads/tx_abdownloads/files/PV_CONSEIL_DU_30-06-15_01.pdf
Lire également le dossier du numéro 32 de la revue de la CAB, Aglorama, en date de septembre 2015.
http://www.inquetrie-entreprises.fr/
interview de F.Cuvilliers à propos de la vidéosurveillance in : Le journal du boulonnais : https://www.facebook.com/310311575812682/videos/431589773684861/
Le FIPD : Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance prend en charge entre 40 et 50 % du montant total de ce genre d’opération.

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Encadré :

La Social-démocratie dans l’histoire

Pour qui nʼignore pas lʼhistoire des sociaux-démocrates européens, le bilan en la matière nʼest plus à écrire mais inlassablement à exhumer. Va-t-en guerre en 1914, gagnés à lʼUnion Sacrée, bouchers de la commune de Berlin, assassins de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht -un petit meurtre entre “camarades”- ralliés à P. Pétain en avril 1940 (90 parlementaires de la SFIO), briseurs des grèves de mineurs de 1948, colonialistes de la première heure et “saigneurs dʼindigènes” à la demande : Indochine, Algérie, elle impose l’Etat d’urgence en 2015… de Gustav Noske à Manuel Valls en passant par Mitterand et Hollande, la social-démocratie se compose depuis plus dʼun siècle dʼune petite bourgeoisie arriviste prompte à tous les ralliements aux pouvoirs forts, invariablement du côté du manche, au seul service des intérêts du capital. Paul Mattick examine l’influence mortelle qu’exercèrent les sociaux-démocrates sur le mouvement ouvrier au travers du portrait qu’il brosse de l’un d’entre eux : “Karl Kautsky de Marx à Hitler”. On peut lire ce texte dans l’ouvrage “Intégration capitaliste et rupture ouvrière” paru aux éditions EDI, il est également disponible sur internet à l’adresse suivante : http://www.left-dis.nl/f/kautsky.htm
Encadré :

 

“Voisins vigilants” au service du lien social dans le boulonnais.

Aux côtés de la vidéosurveillance un nouveau dispositif né en Angleterre, terre de la contre-révolution libérale, est apparu en France en 2007. Il se diffuse actuellement dans les zones rurales et périphériques du boulonnais. Ce système repose sur un contrat établi entre une municipalité et la gendarmerie de la zone concernée et vise comme d’autres initiatives du même genre à mieux fondre l’armée et la police au sein la population. Les gendarmes dispensent à ces “Voisins Vigilants” une formation dont l’objectif serait, non pas de jouer les indicateurs comme on serait en droit de le supposer, mais plutôt de “renforcer le lien social”. C’est du moins de cette manière que le maire de Landrethun-le-nord, lui même un ancien gendarme, présente la chose tout en avouant dans les colonnes de la presse bourgeoise que :“ la commune ne soit pas plus touchée par les cambriolages que le autres communes”.

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De la France à géographie variable ou l’aménagement du territoire à l’échelle de la planète bleue

De la France à géographie variable
ou l’aménagement du territoire à l’échelle de la planète bleue

 

L’Hexagone, par la magie la convention de Montego bay, ratifiée dans le cadre de l’ONU, vient d’opérer un aménagement extra-territorial dans les grandes largeurs. Ce sont rien moins que 580 000 kilomètres carrés, soit la surface dudit hexagone  ! Coup de périscope sur le programme «  Extraplac  » suivi par l’Ifremer…

En effet, la convention de Montego bay permet aux pays côiers d’étendre leur plateau continental au-delà des 200 milles marins (environ 370 km) de leur ZEE ( zone économique exclusive )- jusqu’à une limite maximale de 350 milles – s’ils démontrent que leur territoire terrestre se prolonge sur le fond des océans. Bref, la plaque continentale de laquelle émerge le pays est considérécomme partie d’icelui. Les zones concernées portent sur une superficie de 423.000 km2 au large des îles Kerguelen, de 76.000 km2 au large de la Nouvelle-Calédonie, de 72.000 km2 au large de la Guyane et de 8.000 km2 au large de la Martinique et de la Guadeloupe. Les possessions françaises en terme insulaire exotique sont donc l’aubaine qui pourrait permettre l’extension de son domaine maritime à un million de kilomètres carré. Reste à la CLPC (Commission des limites du plateau continental) à se prononcer favorablement sur les demandes relatives à Crozet, La Réunion, Saint-Paul et Amsterdam, Wallis et Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon. Un dossier reste à déposer concernant la Polynésie française. La France est donc en passe de détenir le plus grand domaine maritime mondial.

 

 

En ces temps d’amour retrouvé pour la planète qui se réchauffe, c’est l’occasion rêvée de dorlotter la vie dans l’eau salée, de sauver les coraux, de rendre à ce monde son silence, non  ?
Non.
Que les utopistes de la COP21 se résignent, les résolutions de la France, porteuse de tous les espoirs des futures générations, n’entraveront pas les PPP (partenariats public-privé) entamés avec Ifremer, Technip et Eramet, Areva … Si quelques projets ont été abandonnés (trop chers, rentabilité trop éloignée), on envisage l’exploitation de gisements de sulfures hydrothermaux, riches en cuivre, zinc, plomb, cobalt, argent et or, voire d’autres minéraux moins connus comme l’indium (utile notamment pour les écrans plats LCD et les cellules photovoltaïques) et le germanium (fibres optiques, l’optique dans le domaine de l’infrarouge, catalyseurs et électronique). Restent les grands fonds  : « Potentiellement, le projet Wallis-et-Futuna pourrait devenir à horizon 2015-2016 le premier projet d’exploitation minière par grands fonds de la France » se réjouit-on à l’Ifremer. Outre les hydrocarbures (pourtant désormais honnis) et autre méthane. La France peut également espérer des ressources Minérales profondes, notamment les métaux rares comme le neodium qui sert à faire des aimants pour les éoliennes (!). Mais pas seulement. Au fond des océans, on trouve des nodules polymétalliques, riches en nickel, cuivre, zinc et manganèse. La France a d’ailleurs déposé des permis dans le Pacifique. Et elle est également très intéressée par les encroûtements cobaltifères (cobalt, nickel, platine et manganèse), dont les plus riches dans la ZEE française sont localisés en Polynésie. On y trouve également des métaux critiques (terres rares). Outre l’indium et le germanium, la France pourrait exploiter des gisements de cadmium, antimoine, mercure, sélénium, molybdène et bismuth.
Las, les capitalistes étrangers, les pollueurs ( la Chine la Corée, la Russie, le Japon, l’Inde et le Brésil mais aussi le Canada parti extraire 1,3 à 1,4 million de tonnes par an d’or et de cuivre aux abords de la Nouvelle Guinée-Papouasie….) sont aussi sur le coup
« La course vers les métaux rares recouvre des enjeux économiques et géopolitiques », confirme Pierre Cochonat de l’Ifremer. Et d’estimer que « c’est un enjeu très important pour le positionnement international des équipes scientifiques et des groupes miniers français, avec des enjeux juridiques derrière les demandes de permis dans les zones économiques ou dans les eaux internationales. Ces métaux rares sont stratégiques ». Car ils sont utilisés dans de nombreuses nouvelles technologies, y compris les énergies renouvelables.C’est ce que confirmait le chef d’état-major de la marine, l’amiral Bernard Rogel : « c’est une richesse qu’il nous faut exploiter mais aussi protéger car on ne peut plus aujourd’hui se désintéresser de ce potentiel immense ».

Bref, le renouvelable, dont les mérites seront vantés sur des supports gourmands en éléments rares et bien cachés, exige des forages dévastateurs…
« Il s’agit donc de concilier les grands principes de liberté des mers et de protection de l’environnement avec la volonté étatique de territorialisation des espaces maritimes ; et de composer avec les avancées technologiques qui incitent davantage les Etats à exploiter les ressources des océans.  » peut-on lire dans l’épais rapport document MONTEGO BAY, 30 ANS APRES  : Appropriation et exploitation des espaces maritimes : Etat des lieux, droit, enjeux … Car, on l’aura compris, la nature des enjeux en question intéressent les mondes politique, financier, entrepreneuriaux et miltaire. «  Si nous ne surveillons pas notre ZEE et ne montrons pas notre pavillon, nous serons pillés  », selon l’amiral Rogel.

De quoi être rassurés. Pour autant la France a renoncé à inclure l’atoll de Clipperton (25 000 kilomètres de fonds sous-marins au large du Mexique quand même) à l’époque de l’affaire Florence Cassez. On n’allait pas se battre contre l’armée mexicaine en plus…

 

Sources  :

  • http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/20120904trib000717773/france
  • -et-si-la-croissance-dormait-au-fonds-des-oceans-.html
  • Le JDD en ligne du II octobre 2015
  • Le Canard enchaîné du 28 octobre 2015
  • cesm.marine.defense.gouv.fr/…/CESM%20Montego%20Bay-bonne%20…
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De la féodalité républicaine

De la féodalité républicaine

 

Ça n’aura échappé à personne  : les enjeux essentiellement politiques des reconfigurations administratives sont loin derrière les manœuvres politiciennes soumises ou associées aux apétences du capital. Les stratégies de conquête ou de préservation des postes magistraux ne peuvent guère plus s’appuyer que sur le mieux-disant capitaliste et dans le sens des restructurations sociales et économiques qu’exigent patrons et financiers. Il est donc logique de retrouver un accord de principe de l’ensemble des partis – en pleine capilotade au passage – sur les refondations des territoires comme d’un re/dé-tricotage des tissus sociaux qui s’y maintiennent encore.

 

Difficile en effet de dissocier le grand chantier d’une décentralisation/concentration de la distribution des casquettes et des tiroirs-caisses, par la voie électorale et le jeu des nominations. Présentées comme des avancées démocratiques, l’instauration des intercommunalités et des mégarégions ne sont en réalité que l’opportunité pour les « barons » locaux les plus puissants de renforcer leur pouvoir sur des fiefs élargis. Les « partenaires privés » industriels et financiers restant des alliés de poids dont les intérêts ne peuvent que croître avec l’ampleur des projets territoriaux. Et leurs lobbies de les dicter.

 

De décentralisation en re-centralisation : une mise en âbyme du pouvoir

Métropolisation et fusion en super-régions ne sont rien moins qu’un assemblage politique qui engendre une concentration de pouvoirs digne du jacobinisme dont la République prétend se départir. Mais ce réagencement territorial, en terme d’aire, de compétences et de finances refonde également des antagonismes de magister qui ne s’adossent plus, et loin s’en faut, sur des considérations partidaires ou idéologiques, mais plutôt sur le mode les « petits » face aux « gros » : « Quel est le but de notre gouvernement et de ceux qui pensent pour eux ? Détruire les communes ! Mais comme personne n’aura jamais le courage de le faire, car tout le monde y est attaché, des élus aux citoyens, on procède par étapes : d’abord on enlève les compétences, puis on supprime les finances » dixit Jacques Genest, sénateur-maire (LR) de Courcouron et président de l’Association des maires ruraux de l’Ardèche ; « à terme nos communes et nos départements sont menacés de disparition par évaporation. C’est tout le sens de l’intercommunalité contrainte, de la métropolisation et de la mise en place du conseiller territorial » pour le front de gauche ;  « les conseils municipaux ont été vidés d’une bonne partie de leurs pouvoirs au profit de structures non élues : il n’y a aucune transparence ni pour la population, ni même pour les élu-e-s aux conseils municipaux » pour le NPA et, plus généralement, pour l’association des maires de France (AMF),  « ils sont fermement opposés au principe d’une élection supra communale des élus intercommunaux à l’échéance 2020 qui marginaliserait les communes et leur maire. » (1) Ainsi, davantage qu’une association, l’intercommunalité est vécue par les maires – et quand, elles sont informées , les populations – des petites communes comme une absorption par la structure-marâtre. Il résulte en effet de ces regroupements une perte d’autonomie des communes subalternisées. Par ailleurs, l’intercommunalité détruirait la légendaire proximité des maires avec les populations. L’institution forcément interlocutrice présente, en milieu rural notamment, c’est la mairie.

L’enjeu démocratique de ces nouvelles instances de gouvernance disparaît encore davantage derrière les injonctions propres aux gestionnaires, élus ou pas. Car c’est l’instance métroplolitaine qui décide de l’aménagement du territoire, du logement, de la taxe professionnelle… Au-delà et de fait, il est remarquable que les conseils municipaux passent désormais au second plan, tant d’un point de vue décisionnaire que… « légitime » (2) : les intercommunalités sont des structures non élues sur lesquelles les populations n’ont aucune prise, d’autant moins que les décisions sont validées dans l’entre-soi des bureaux ; « Ceux qui dirigent les intercommunalités ne sont donc pas directement élus par la population, mais par les conseils municipaux des communes membres du groupement. Ce mode de désignation des délégués communautaires tend à créer une séparation entre l’espace de représentation du politique, où se discutent les orientations politiques, principalement au moment des élections municipales, et l’espace de la décision élaborée dans des lieux relativement fermés aux citoyens au sein de commissions ou d’assemblées communautaires. » (3) Autrement dit, c’est bien la crainte d’une vassalisation généralisée des petites communes que leurs magistrats, au-delà des « postures idéologiques » redoutaient jusqu’aux scrut.ins de 2014. Dès lors « les conseillers communautaires seront élus par fléchage sur les listes municipales selon le principe  » un bulletin deux listes « .». Disposition aussitôt contestée par l’AMF qui indique sa préférence pour « un système de fléchage simple et efficace par un signe distinctif devant le nom des candidats » sur la liste des candidats au conseil municipal. Autrement dit, un bulletin, une liste. (4) En tout cas, les inégalités des marges ne seront pas résorbées au sein des regroupements, ne serait-ce que du fait de la sociologie des populations.(5)
Les mêmes inquiétudes se font jour à l’échelle de la naissance aux forceps des « grandes régions » et les querelles ont jailli, d’un côté au chevet des chefs-lieux voués au placard, de l’autre pour la nomination de la capitale. Là encore les enjeux ont dépassé les vagues clivages. On a pu assister en particulier au bref baroud mené contre les incidences d’une politique d’État -pourtant déclarée rose et durable – par Barbara Pompili, et Christian Manable, respectivement députée EELV et sénateur PS et président du Conseil Général de la Somme ; lesquels militaient pour Amiens. Mais c’est le beffroi lillois qui sera le donjon en somme…
Parallèlement, la plupart des élus de France et de Navarre ne perdent pour autant pas le nord et restent favorables (même discrètement) au cumul des mandats, préférant se trouver dans la peau d’un député-maire. Voilà au passage une des raisons de la patience de l’État quant à la suppression des départements, hérités du découpage sous la Révolution française… Et pour contenter l’apétence hiérarchique ou à tout le moins aténuer les frustrations, « chaque capitale régionale qui ne le sera plus va au moins rester capitale départementale » a promis André Vallini, secrétaire d’État à la Réforme territoriale, auprès de la ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique. Si.(6)

 

 

Urbs in fieri

La ville en méatmorphose perpétuelle. Ce phénomène est apparemment normal dès lors que la population croît, que les édifices ont besoin d’être rénovés, que les besoins sanitaires augmentent…
C’est une aubaine de plus pour les partenaires privés pour qui les marchés vont monter en volume, favorisant toujours davantage les géants, lesquels gagneront encore en influence.
Ainsi à titre d’exemple le marché de l’eau. Entre 2000 et 2014, les tarifs ont explosé : entre + 36 % à Échinghen et + 269 % à Baincthun pour ne parler que de la CAB. Mais ce lissage devrait se résorber assure Daniel Parenty, maire de… Bainthun, planificateur stratégique du SCOT, responsable de l’eau et de l’assainissement à la CAB. Et d’annoncer tou-de-go que « le contrat d’eau potable a été renégocié en 2015 et si le groupe (Véolia ndla) a pu gagner de l’argent auparavant, je peux vous assurer que ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous avons serré les boulons, à tel point que Veolia a dû se séparer d’une partie de leur personnel » ! (7) Le salariat variable d’ajustement enfin sincèrement loué par un élu aux commandes !
Ce cas de figure exprime bien les inclinations que sous-tend la réforme territoriale. Le pouvoir règlementaire des « mégamandats » ira dans le sens du moins-disant finances publiques au mieux-disant marché privé et profit à la clef. Le mécanisme est simple : un désengagement de l’État maillé à un canevas organisationnel type, à décliner par les métropoles et à charge pour elles de financer les projets. Dans cette configuration, d’une part les regroupements de communes ne peuvent que gonfler (8), alimentant des potentats d’envergure idoines, réduisant le nombre d’entités supracommunales. « Si les projets vont jusqu’au bout, la masse des intercommunalités pourrait d’après l’association (AdCF, assemblée des communautés de France ndla), fondre d’environ 35%. C’est-à-dire de2611 au 1er janvier 2016 à 1400 ». (9) Cette dissolution progressive des communes dans les métropoles est conjuguée au dégraissage de la fonction publique puisque « pour exercer leurs missions, les effectifs des directions départementales interministérielles qui ont subi l’essentiel des diminutions d’effectifs depuis plusieurs années doivent désormais être mieux préservés. Les services régionaux de l’Etat porteront, dès 2016 et dans les années suivantes, les deux-tiers des efforts de réduction d’effectifs : cela sera rendu possible grâce aux marges dégagées par la fusion des services. ».(10) Ces hautes instances à peine nées sont donc structurée selon les modalités des fusions d’entreprises. La restructuration ne souffre pas le double emploi et il n’est pas certain que les victimes puissent aller pantoufler dans le privé. Reste la répartition géographique du salariat mobile…
Les communes et intercommunalités ont eu, elles, beau jeu d’embaucher – en CDD à temps partiel mais aussi en puisant dans le petit personnel – lors de la réforme des rythmes scolaires. Las ! L’État va bientôt retirer ses billes. Mais la réduction d’effectifs s’annonce globale ; il s’agit pour les collectivités de « maîtriser la masse salariale ». À l’instar des départements et bien plus encore, les responsables territoriaux vont s’atteler à mettre la pédale douce sur les recrutements et mutualiser fonctions et services. Ce que confirme Randstad, boîte d’intérim de haut vol (« spécialiste des ressources humaines ») sans ambiguïté.(11)
Entre délégation de service publics aux entreprises des grands groupes capitalistes, voire à des entreprises d’État aux ambitions analogues (12), et le frein aux dépenses publiques exigées par le gouvernement, l’opposition, la cour de comptes, les agences de notations… il ne reste guère aux administrations locales que la fiscalité et… crier au loup avec les populations pour tenir.

 

 

Vaudeville dans le landernau du Nord

Dans la région Nord Pas-de-Calais Picardie, on sait la foire d’empoigne qu’a provoqué la fusion. On sait aussi que l’option des épousailles du NpdC avec la Haute Normandie a été un temps sortie des cartons par l’État. Difficile de dire quel critère a prévalu pour la Picardie ; le sud de cette dernière – l’Oise notamment – étant économiquement et psychologiquement relié – pour ne pas dire dépendant -à la Région parisienne, comme les Ardennes peuvent l’être à la Belgique. (13) La gestion des TER de la nouvelle région va s’en trouver à coup sûr indolore et simplissime. D’autant que des conflits larvés ou plus directs ont émaillé ces dernières années les relations entre communes privées de gare ,écartées des lignes TGV ou encore la suppression des trains « Corail » par l’ex « petite » Région (long conflit des cheminots lors de la disparition du Calais-Paris).
Les déplacements quotidiens transrégionaux ou transfrontaliers sont évidemment liés aux bassins d’emploi, déshérités en Picardie. Cette situation a d’ailleurs été un argument pour Percheron et Aubry pour disqualifier la fusion sur le mode « deux régions pauvres ne font pas une région riche ». Ambiance au PS régional et national. Par la suite, on l’a vu, ce sera la résistance, assez passive, des élus picards à la désignation de Lille pour Capitale de la nouvelle entité.
Comme vraisemblablement un peu partout les frictions à l’échelon inférieur se font jour. Qui sur la desserte des transports, qui sur l’implantation d’un parc d’éoliennes offshore (14), qui sur des questions foncières…
D’ailleurs, à ce propos c’est la motivation du retoquage du Plui de la Communauté d’agglomération du Boulonnais. Les conseils municipaux devront donc se prononcer à nouveau. Concertation et cohésion donc. « Nous avons déjà su dépasser la défiance qui pouvait exister entre nos différentes villes, insiste le président du pôle métropolitain, c’est bien connu, par le passé, le Dunkerquois était attaché à la Flandre, le Calaisisis était anglais et le Boulonnais était autour de sa boutonnière » assenait Michel Delebarre lors de l’avènement pressenti d’un pôle métropolitain de la Côte d’Opale. Appuyé avec enthousiasme par Frédéric Dupilet : « L’enjeu n’est plus de réguler les concurrences, mais d’organiser la négociation entre des acteurs territoriaux différents autour de règles du jeu partagées ». (15) C’est exactement l’esprit de la réforme territoriale…

C’est donc à une curieuse démonstration de jeux de miroir et de poupées gigognes que se livrent les promoteurs, qu’ils soient initiateurs ou suivistes, têtes d’affiche ou figurants, enthousiastes ou contraints, des plans de développement des territoires et du refaçonage de sa sociologie. Pour faire un peu de psychologie de cabinet, on serait tenté de croire que les carrières s’inscrivent dans les travaux urbanistiques, lesquels seraient garants de la prise d’envergure de ceux qui les déclenchent. Et ainsi de suite. Car le poids des presque « landers » à la française a vocation à l’écrasement.
Le propre d’une carrière politique réside dans le dyptique attentif / pas regardant et procède de la mise en avant résolument fédératrice et égocentrée. Les logiques n’ont même plus besoin d’être partisanes (au sens des étiquettes politiques) dès lors que c’est l’évolution des choix capitalistes qui détermine les besoins, les moyens et donc les orientations économiques, urbanistiques, énergétiques, culturelles, etc. L’économie dite durable en est un exemple actuel majeur : porteuse en terme de profits rapides, chiche en étude d’impact à long terme – et davantage encore de la divulgation des résultats – valorisante pour les élus et spectaculairement enrobée pour les populations, c’est l’exemple même de… l’arbre qui cache la forêt.

Boulogne-sur-mer le 01/02/2016

 

 
Notes  :

(1) in, respectivement: http://www.lagazettedescommunes.com/417547/quel-avenir-pour-les-communes-non-aux-intercommunalites-sans-ame/; www.amf.asso.fr/…/AMF_11098_REPONSE_DU_FRONT_DE_GAUCH…; www.amf.asso.fr/…/AMF_11098_REPONSE_DE_M._PHILIPPE_POUT…  ; http://www.amf.asso.fr/document_recherche/document.asp?doc_n_id=13378
(2) Pas d’illusion sur la représentativité des élus locaux  ! Les cadres supérieurs représentent 32,2  % des conseillers régionaux, 32,3  % des conseillers généraux et 10,2  % des maires, alors qu’ils représentent 8,7  % de la population. Les agriculteurs exploitants représentent à peine 1  % de la population mais 13,7  % des maires, en raison du nombre très important de communes rurales. A l’opposé, les employés et les ouvriers, dont la part dans la population est respectivement de 16,6 et 13,4  %, sont très peu présents dans les instances locales. La part des ouvriers parmi les conseillers municipaux est de 4,1  %, et de 0,4  % dans les conseils généraux. Les employés sont mieux représentés dans les conseils municipaux (21,2  %) mais ils ne constituent que 4,7  % des conseillers généraux. (source  : observatoire des inégalités, http://www.inegalites.fr/spip.php?article561). Par ailleurs, en 2014, les conseils municipaux n’ont été élus que par 60% des inscrits.
(3) http://www.metropolitiques.eu/L-intercommunalite-vingt-ans-de.html
(4) http://www.courrierdesmaires.fr
(5) Il en résulte un fossé suplémentaire communes riches/communes pauvres. Les communes urbaines les plus peuplées ne sont pas les mieux loties. Exemple (récurent)  : en 2012, Neuilly-sur-Seine, 60 000 habitants, 2% de logements sociaux, budget de 196 millions  ; Vitry-sur-Seine, 80 000 ha bitants, 40% de LS, 178 millions.
(6) Noir sur blanc sur http://www.gouvernement.fr/argumentaire/reforme-de-l-administration-territoriale-de-l-etat-2705
La Voix du nord  : http://www.lavoixdunord.fr/region/les-factures-d-eau-n-en-finissent-pas-de-deborder-dans-ia31b0n3224463

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Chronique de l’agonie de Damremont Comment mettre à mort un quartier populaire

Chronique de l’agonie de Damremont
Comment mettre à mort un quartier populaire

« Le quartier de Damrémont se meurt ». Déclinée de différentes manières, cette phrase revient régulièrement dans la bouche des habitants lorsqu’on leur demande ce qu’il pense de leur quartier. Quand on traverse les quatre places successives qui s’étendent de la tour de l’Entente cordiale à la salle omnisports, cette réponse n’a rien de très surprenant : les volets de nombreux commerces sont définitivement baissés, les rues sont quasiment désertes et les rares maisons au milieu des immeubles, place Damrémont, sont presque toutes murées après leur rachat par Habitat du Littoral. Il n’en a pas toujours été ainsi. Bien sûr, comme partout à Boulogne, la désindustrialisation, la « crise »1 et son lot de licenciements sont passés par là. Cependant, les pouvoirs publics sont loin d’être innocents dans ce qui est vécu par les habitants comme la mort du quartier. Chronique d’une agonie.

 

Tri social et concentration des plus pauvres dans les bâtiments les plus dégradés
Comment diviser pour mieux régner

Dans la dernière Mouette (n°32), nous évoquions déjà le tri social effectué par Habitat du Littoral (HdL), le bailleur social boulonnais qui gère plus de 90% des logements du quartier. Ce dernier concentre les plus pauvres dans les trois bâtiments les plus insalubres appelés « le Vieux Damrémont » : les deux tours du 57 et du 55 rue du Colonel de l’Espérance et, entre les deux, la barre Demarle (du nom de l’allée où elle est située). Évoquant la gestion des logements, un cadre d’HdL justifiait cette concentration en affirmant que « le 55, le 57 et la barre c’est autre chose. Là les bâtiments sont plus dégradés, c’est moins attractif. On peut pas aller chercher certains types de clients. Du coup c’est des ménages plus pauvres avec plus de prestations familiales. En plus c’est une typologie de logements plus adaptés pour les familles nombreuses, beaucoup de T3, T4 et T5. J’vais pas dire que c’est des gens qu’ont pas les moyens d’aller ailleurs mais c’est sûr qu’ils ont moins le choix ». Quoi qu’en dise ce cadre sup’, le niveau de revenu n’est pas le seul critère retenu dans l’attribution du logement. En 2012, un salarié du bailleur confiait avec une brutalité désarmante ayant au moins l’avantage de la clarté que le Vieux Damrémont, « c’est à part. Là c’est tous les cas. En fait, on a le choix entre deux politiques : la mixité ou le regroupement des cas difficiles. Mais la mixité, ça marche pas. Alors on les a tous réunis là, tous les cas à problèmes. » Pour comprendre ces regroupements de soi-disant « cas », un détour par les critères retenus pour l’attribution des logements s’impose.
La nouvelle gestion publique est mise progressivement en place depuis le début des années 90 en France et consiste, selon le chercheur en sciences politiques François-Xavier Merrien, « à introduire des marchés ou des quasi-marchés au sein des institutions de l’État de manière à en renforcer l’efficience. […] Sous des apparences de révolution purement technique et apolitique, la Nouvelle Gestion publique participe du mouvement néo-libéral de remise en cause de l’État-Providence ». Parmi ses instruments, on compte notamment la « gestion du risque ». Bien qu’il se donne comme un instrument neutre de gestion, le risque est une construction sociale qui s’appuie sur et participe de la stigmatisation de certaines catégories, aux premiers rangs desquels les personnes désignées comme « étrangères » ou « issues de l’immigration » (en particulier des pays d’Afrique et du Moyen-Orient2) mais aussi les habitants qui touchent le RSA, ceux qui ont des problèmes de santé physique et surtout psychologique, ou encore les familles monoparentales. Armés de cet outil à discriminer et diviser qui ne dit pas son nom, les bailleurs sociaux regroupent les personnes les plus stigmatisées dans les bâtiments les plus pourris.
Récemment, Habitat du Littoral a rénové les deux tours, le 57 en 2014 puis le 55 en 2015. En fait de rénovation, seules les façades et parties communes ont été l’objet de travaux, et non les appartements qui sont pourtant mal isolés. En revanche, la barre Demarle est restée dans l’état et concentre désormais encore plus de ménages pauvres que les deux autres bâtiments. De plus, ses locataires sont laissés dans le doute quant à sa destinée. Un gardien expliquait qu’il « y’a une dame qui m’demande toujours si ça va être détruit parce qu’elle veut refaire sa cuisine  » mais si c’est détruit dans deux ans c’est pas la peine  » elle me dit. Pour moi c’est gênant parce que j’sais pas quoi lui dire parce que si j’lui dis non et qu’au final ils détruisent… Y’a beaucoup d’appartements vides dans cette tour. Sur 56 appartements, il doit bien y’en avoir pt’êt pas 20 mais une bonne quinzaine. Et puis avec les fuites sur le toit ils relouent plus les appart’ du dernier. Sur 12 appartements y’en a 6 de vides. Mais aux autres étages y’a beaucoup d’nouveaux arrivants : y’en a eu au moins cinq ou six ces derniers mois ». L’insalubrité de la barre n’empêche pas le bailleur d’y proposer des logements, et on devine à qui ils sont réservés en priorité… De plus, sur 7 demandes de mutation à Demarle, 3 invoquent des troubles de voisinage et on peut se demander si ces troubles sont dus à des voisins trop bruyants ou, au contraire, à l’absence de voisin et aux conséquences d’être entouré d’appartements vides (plus forte résonance, humidité liée aux fuites et infiltrations, présences d’animaux nuisibles,…).

L’argument volontiers mis en avant à la fois par les agents des pouvoirs publics et par certains habitants pour justifier la concentration des « cas » dans le Vieux Damrémont repose sur le fait que ces derniers seraient particulièrement enclins à provoquer des troubles de voisinage. Ici, la stigmatisation remplit parfaitement sa fonction sociale, à savoir détourner l’attention des vrais problèmes rendus visibles par les personnes stigmatisées (appauvrissement et déclin du quartier, chômage,…) et justifier l’exclusion de ces dernières en les désignant comme responsables de ces maux. Elles se retrouvent alors désemparées, seules, en proie aux troubles psychosociaux (alcoolisme, dépression, comportements agressifs, etc). « Le pire c’est les bâtiments bleus [le Vieux Damrémont]. Là-bas y’a du trafic, de la drogue et tout. C’est Chicago. Et puis Léon Blum, c’est l’bordel. Y’a deux clans ici, Damrémont et Léon Blum » nous confiait une habitante en 2012. La stigmatisation spatiale, produite par les pouvoirs publics, vient renforcer la stigmatisation sociale et raciale qu’ils ont eux-même fortement contribué à créer tout en alimentant des tensions qui viennent justifier leur action de ségrégation. Et la boucle est bouclée. Dès lors, comment s’étonner de la détérioration des relations dans le quartier, en particulier entre les habitants du Vieux Damrémont et ceux des autres bâtiments3 ?

 

Construction, rénovation et sécurisation
Comment rendre impossible l’appropriation

Le quartier comptait par le passé des lieux qui étaient appropriés individuellement ou collectivement par les habitants, notamment la place devant les bâtiments du Vieux Damrémont et la voix ferrée abandonnée qui était située derrière le quartier par rapport à la Liane. Plusieurs habitants, surtout des femmes, nous ont fait part de leur tristesse suite à la construction du boulevard de l’Europe derrière le quartier. « Avant c’était bien, on passait l’après-midi dans l’herbe, on faisait des bouquets de fleurs et avec les mûres qu’on ramassait je faisais des confitures. Et puis ils ont construit la route. Déjà qu’on avait les usines, les deux viaducs et la Liane, il a fallu qu’ils nous fasse une route en plus. Ils nous ont vraiment encerclés. Avant on avait un coin de nature, mais même ça ils nous l’ont pris. » Le quartier est désormais bordé sur trois côtés par des routes qui voient passer quotidiennement entre 15 et 20 000 automobilistes. Cependant, on imagine très bien un cadre d’Habitat du Littoral ou de la mairie rétorquer à cette habitante qu’avec l’aménagement des berges, celles-ci sont elles aussi devenues un « petit coin de nature » destiné aux habitants. C’est faire abstraction d’un élément essentiel : en étant pas aménagés, les abords de la voie ferrée se prêtaient justement à l’appropriation. L’espace aménagé des berges contient dans sa forme ses propres usages (ce ne sont plus des fleurs que l’on peut cueillir mais des parterres entourés de grillages, pour ne citer que cet exemple). En outre, la voix ferrée était cachée depuis la ville et les routes, on y échappait aux regards, ce qui permettait une forme d’intimité propice à l’appropriation, permise en général par les espaces en marge. Or les berges de la Liane, offertes à tous les regards par leur position centrale (la rivière est désormais qualifiée d’ « épine dorsale » de la ville), ne sont pas ouvertes à l’appropriation libre mais à des usages déterminés. Elles sont désormais sous contrôle et donc soumis au pouvoir.

Concernant l’espace au pied des bâtiments du Vieux Damrémont, une autre habitante témoigne qu’« avant qu’ils construisent la crèche c’était une grande pelouse. Quand ils faisait beau tout l’monde descendait des bâtiments et s’asseyait dans l’herbe. J’pouvais même plus entendre ma télé tellement y’avait d’bruit, les gamins qui criaient et tout mais ça m’dérangeait pas, au contraire. J’préfére entendre ça qu’le silence qu’y a maintenant. Depuis qu’ils ont construit la crèche y’a plus rien, c’est mort. Y’a quelques p’tits groupes de gens du même pallier qui s’assoient sur les murets mais ça s’mélange plus comme avant. » Le directeur de la crèche expliquait que celle-ci « est vue comme un élément étranger dans le quartier […] Le lieu cristallise beaucoup de ressentiment vis-à-vis des pratiques municipales, je l’ai tout de suite senti en arrivant ici [en 2010]. Et puis ils nous ont mis un morceau de jardin dont on ne sert pas. Il aurait dû être gardé pour le passage. […] En fait nous on est venu constituer une barre de plus. On oblige les gens du 57 et du 55 à complètement nous contourner. » La production de l’espace n’a rien d’innocent. L’espace conçu par le pouvoir « consiste en  » lots  », il se dispose répressivement par rapport au points forts des alentours »4 et plus particulièrement par rapport aux pratiques d’appropriation collectives. L’espace conçu par le pouvoir écrase l’espace vécu des habitants.

La répression ne consiste bien sûr pas qu’en lots architecturaux. « Y’a eu plusieurs descentes ici. La dernière fois [juin 2014] ils ont bouclé tout le quartier. Y’avait une voiture de police à chaque entrée et y’en a qu’ont fini en prison [deux d’après la presse]. Ils ont perquisitionné plusieurs appartements, des caves,… Enfin, partout où ils pouvaient aller. Avant la descente y’avait tout le temps des jeunes qui traînaient en bas mais depuis y’a plus personne. » Cette descente visait principalement le Vieux Damrémont et a eu lieu quelques jours avant le début des travaux de rénovation du 57… Bien qu’il soit impossible d’affirmer une coordination en amont des deux opérations, la coïncidence est troublante, en particuliers quand on sait qu’intervention policière et de rénovation avancent en général main dans la main5. Quoi qu’il en soit, espaces public et collectif du Vieux Damrémont sont désormais déserts, ce que regrettent des éducateurs de rue : « Avant sa rénovation, le 57 c’était un lieu vachement important. Y’avait un peu d’deal mais y’avait surtout plus de mouvement. C’était là qu’on venait toutes les semaines pendant cinq ans. Avec les jeunes on a fait pas mal de trucs. D’abord y’a fallu les rencontrer et créer des liens de confiance, mais ensuite on leur a proposé pas mal de trucs. On faisait des sorties bateau avec Cité Mer. Ça marche vachement bien ça avec les jeunes et puis c’est dans la culture de la pêche de Boulogne. On a organisé des sorties dans la région et en dehors. On organisait aussi un tournoi de foot inter-quartiers […] Maintenant qu’les rues ne sont plus fréquentées on vient plus trop dans l’quartier. » Les éducateurs s’interrogeaient sur le classement de Damrémont en quartier prioritaire fin 2014 et constataient que l’isolement des habitants du quartier semble plus fort qu’ailleurs, ce qui expliquerait que la pauvreté y soit moins visible. En rendant impossible l’appropriation collective par la sécurisation de l’espace via des opérations policières et l’installation de digicodes, caméras, grilles et grillages, les pouvoirs publics détruisent le quartier populaire de Damrémont. « Un  » quartier populaire  » n’est pas un quartier pauvre, du moins pas nécessairement. Un  » quartier populaire  » est avant tout un quartier habité, c’est-à-dire ingouvernable. Ce qui le rend ingouvernable, ce sont les liens qui s’y maintiennent. Liens de la parole et de la parenté. Liens du souvenir et de l’inimitié. Habitudes, usages, solidarités. […] L’intensité de ces liens est ce qui les rend moins exposés et plus impassibles aux rapports marchands. Dans l’histoire du capitalisme, cela a toujours été le rôle de l’Etat que de briser ces liens, de leur ôter leur base matérielle afin de disposer les êtres au travail, à la consommation et au désenchantement  »6.

Aujourd’hui, le rez-de-chaussée du 57 accueille deux associations très institutionnelles : Tous Parrain, parrainage de demandeurs d’emploi par des cadres et entrepreneurs, et le Cercle Côte d’Opale Synergie dont les membres, essentiellement des chefs d’entreprises, cadres dirigeants et professions libérales, sont cooptés… Des associations qui, si elles sont « très bien implantées dans l’agglomération » d’après le directeur du DSU qui a fait le lien entre Habitat du Littoral et ces deux structures, n’ont aucun lien spécifique avec le quartier. Or plusieurs habitants me disaient demander des locaux depuis des années pour leurs associations, véritablement implantées dans le quartier… Peine perdue. Elles proposaient notamment de transformer une voûte traversant le plus grand bâtiment en local mais m’expliquaient qu’Habitat du Littoral leur avait opposé des problèmes relatifs à la propriété intellectuelle de l’architecte… ce qui n’a pas empêché le bailleur d’en transformer une en cabinet médical entre le Vieux Damrémont et la place Léon Blum. Deux classes, deux poids, deux mesures.
Une autre association souhaite ouvrir un local à Damrémont « parce que y’a rien pour les jeunes ici, ils sont pas valorisés ». Si les intentions sont sans aucun doute louables, on peut néanmoins présager que si son souhait se réalise, le nouveau local participera également de la mise sous contrôle de l’espace, comme il le fait déjà au Chemin vert. « Les gens sont contents, [notre association] met d’la vie dans l’quartier. Bon, y’a aussi des gens qui nous en veulent parce qu’on a des caméras pour surveiller le local et les alentours et si les flics nous demandent la bande en cas d’problème, on est obligé d’leur donner. Alors y’en a à qui ça plaît pas. » D’autant qu’« à l’association on connaît bien les jeunes. On a des dossiers sur eux, on fait beaucoup d’recherches ». Plusieurs éléments concordent qui laissent à penser que leurs sources viennent d’échanges de « bons procédés » avec la police, la justice et la mairie. L’exemple de cette association révèle un élément indispensable pour comprendre les nouvelles formes de l’État, à savoir que ce dernier exerce un pouvoir diffus en s’appuyant sur différents types d’acteurs, dont des associations « partenaires » qui lui sont en fait plus ou moins directement inféodées.

 

 

L’atelier cuisine

Cet atelier qui a duré entre un et deux ans de 2009 à 2010 avait lieu une fois par semaine à l’espace Maës et s’articulait une à deux fois par semaine avec des distributions de colis de nourriture récupérée par la Croix Rouge et « des colis spéciaux pour les personnes les plus en difficulté ». L’atelier était composé d’un noyau dur d’une vingtaine de femmes qui cuisinaient ensemble à partir de produits eux aussi récupérés par la Croix Rouge. Les repas qui suivaient rassemblaient quant à eux cinquante à soixante-dix personnes, majoritairement des habitants du quartier, en particulier des voisins, amis et membres des familles des cuisinières semble-t-il. Repas et distributions répondaient non seulement aux besoins concrets des habitants face à la double défaillance du marché et de l’État, mais toutes les personnes qui en ont parlé le présentaient avant tout comme un support pour les rencontres, l’occasion de partager un moment convivial créateur de liens et base pour la construction d’un espace collectif ouvert à tous.
Ce n’est donc sans doute pas anodin si, à la même période, nombre d’habitants du Vieux Damrémont, majoritaires parmi les participants aux repas de l’atelier, se sont rendus à une réunion d’information organisée par la mairie et Habitat du Littoral pour exprimer leur colère face aux institutions et à leurs projets. Une habitante déplore que « y’avait une réunion à chaque fois qu’ils voulaient nous imposer quelque chose » et une autre précise que les agents des pouvoirs publics « prenaient des notes, c’est tout, mais ça servait à rien. Y’avait surtout des gens du Vieux Damrémont et à la dernière réunion, le maire et les gens d’Habitat du Littoral se sont fait siffler. Après y’en a plus eu ». Bien que que l’Espace Maës se présente comme ouvert à l’« appropriation » par les habitants, il reste avant tout un centre social municipal et les pratiques en son sein doivent de faire selon les règles du jeu telles que définies par le pouvoir. Or il semblerait bien que ce dernier se soit senti menacé par le succès de l’atelier cuisine. D’après certains boulonnais bien intégrés dans le tissu associatif local, c’est la mairie et le DSU7 qui ont coulé l’atelier cuisine et les distributions au prétexte du manque d’hygiène. L’un d’entre eux nous explique que « l’atelier cuisine ça marchait trop bien alors ils ont coulé le projet. Ils ont peur que les gens puissent se passer d’eux. Ils l’ont coulé mais pour le ressortir ensuite de leur chapeau en disant que c’était leur idée. On en parle en ce moment au Chemin vert de faire un restaurant social. […] La fête des voisins c’est pareil, ça n’intéresse plus personne depuis que c’est organisé d’en-haut, avant c’était fait par les habitants ». Aujourd’hui, l’atelier cuisine existe encore, mais sous une forme tout à fait différente, hygiéniste et encadré. Il n’a plus rien à voir avec ce qu’il était : le nombre de cuisinières est passé d’une vingtaine à sept ou huit, les repas ne sont ouverts qu’aux maris et enfants de celles-ci et il semblerait que le processus de fermeture continue pour que ne soient plus réunies autour de la table que celles qui se réunissent pour cuisiner.

 

Quelques pistes de réflexion

Bien plus qu’un intermédiaire, les DSU, présents dans toutes les villes touchés par le programme national de rénovation urbaine, sont en réalité des « morceaux d’État ». Leur rôle est, outre la « pacification sociale » (entendez le muselage de toute contestation), de faire des associations d’autres morceaux d’État par une sorte d’agencification en cascade autour de projets éphémères, permettant la diffusion du pouvoir public et de ses représentations de l’espace (social) en profondeur dans le tissu social en général et les quartiers populaires en particulier, avec au premier rang ceux qui sont l’objet de vastes rénovations urbaines (à Boulogne, le DSU intervient essentiellement au Chemin Vert). Le pouvoir étatique se fait englobant, à la fois séparé et au plus près, centralité et périphérie, horizontalité et verticalité, présent à toutes les échelles, fragmenté mais orchestré selon une conception unitaire.
A Damrémont, on a vu que tous les espaces communs qui étaient l’objet d’appropriation collective par les habitants ont été détruits par les pouvoirs publics, que ce soit par la construction de route, d’une crèche, au prétexte de la rénovation ou encore de l’hygiène. Force est de constater qu’avec la destruction de ces espaces ou leur intégration au sein des espaces publics institués (contrôlé par les institutions), il n’y a plus que la séparation entre des êtres isolés que plus rien ne relie si ce n’est l’État qui seul demeure public. Pouvoir public, il occupe l’espace intervallaire, s’insinue entre les gens qu’il a au préalable divisés et regroupés selon ses propres intérêts. L’État ne revendique plus seulement le monopole de la violence légitime, mais encore celui de l’espace public. « Le pouvoir, c’est-à-dire la violence disjoint et maintient dans la séparation ce qu’il a disjoint ; inversement, il rejoint et maintient dans la confusion ce qui lui convient […] Dans le dominé, contrainte et violence sont ici et là : partout. Et le pouvoir omniprésent »8.
Loin d’avoir déserté les quartiers comme on voudrait trop souvent nous le faire croire, l’État, sous différentes formes (police, mairie, bailleurs, agences, centres sociaux, certaines associations,…) y est au contraire omniprésent, envahissant. Si « l’air de la ville rend libre », il le pompe allègrement, étouffant toute velléité d’investir collectivement l’espace public au sens propre (espace physique) comme figuré (espace politique) hors du cadre fixé par ses institutions. Quand les pouvoirs publics et les médias parlent d’« intégration » aujourd’hui, il faut entendre « intégration a l’État », injonction à se soumettre à son pouvoir diffus, ordre de ne pas lui échapper.
En posant la question des conflits qui ont lieu ou, plus délicat, qui n’ont pas lieu, l’exemple de l’atelier cuisine est éclairant à plus d’un titre. « Avoir lieu », c’est-à-dire prendre corps dans l’espace, espace comme support du commun, lui-même condition sine qua non de l’espace public. Cependant, si l’espace sert bien de support aux relations qui s’y jouent, il ne constitue pas en soi une raison de se réunir. Or la table offre non seulement une raison de se réunir mais encore un espace autour duquel le faire. En permettant le dialogue et la rencontre, les repas organisés par l’atelier sont devenus un véritable espace public vécu libérant la contestation des habitants face au pouvoir et ouvrant la possibilité d’action collective (dont l’intervention des habitants du Vieux Damrémont pendant une réunion publique semble avoir été le germe avorté). « Les espaces publics de sociabilité ordinaire (la rue, la place du village) ou plus occasionnels (les fêtes, les foires) qui pouvaient être tout aussi bien économiques que festifs furent toujours des espaces d’une vie propre, mais toujours soupçonnés par les pouvoirs d’abriter une sourde turbulence politique, source possible de sédition »9. A raison sans doute. Aussi ne faut-il pas sous-estimer le potentiel de ce type d’initiative, à une condition : qu’elle se tienne à distance des pouvoirs publics et de ses espaces. S’il convient de maintenir une séparation pour maintenir l’espace public, c’est d’abord celle d’avec l’État et ses institutions.

Lille-Boulogne 01/02/2016

Encadré :

A propos du projet qui prévoit la construction de 63 logements collectifs « de standing », de bureaux et commerces, d’une résidence de tourisme, d’un hôtel, d’un restaurant et de deux parkings souterrains place de la République, juste à côté du quartier de Damrémont, une Boulonnaise nous disait : « Si ça ne se fait pas, c’est pas moi qui vais m’en plaindre. Et puis à tous les coups ça va faire comme l’Espace Lumière… Presque tous les commerces sont vides. Et puis… on dirait qu’on veut cacher le port, ce qui veut bien dire qu’on veut pas le relancer. Par contre si ça se fait, la population de Damrémont va changer. On voit bien que c’est pas pour les gens d’ici, y’a qu’à voir le prix des appartements [entre 139 000 euros pour un T3 et 320 000 pour un T4]. Faut dire qu’à Boulogne si y’a de plus en plus de pauvres y’en a aussi qui s’enrichissent hein, c’est comme partout, les pauvres sont de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches. Je me demande comment ça va se passer la cohabitation entre les pauvres de Damrémont et les riches de République… Enfin, c’est décidé en-haut tout ça, c’est que ça doit bien être dans l’intérêt de quelqu’un, enfin, du système, mais pas des gens. » Un autre habitant nous disait : « Entre nous on appelle ça le projet Qatar ».

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Un parc d’éoliennes dans la Manche : le secteur de l’énergie pense large

Un parc d’éoliennes dans la Manche : le secteur de l’énergie pense large

 

   Alors que le programme nucléaire français reste le fer de lance de la production énergétique nationale,  le capitalisme, privé comme d’État, dans sa frénésie de « green washing » lui adjoint désormais des alternatives prétendues écologiques. C’est le cas des aménagements de parcs éoliens. Dans le détroit du Pas-de-Calais, un parc offshore est en projet. Sans doute pour l’air frais et iodé que les éoliennes brasseront au cas où la centrale de Gravelines prendrait un coup de chaud…

 

Si depuis plusieurs années nous voyons fleurir ces moulins à vent moderne, dans les campagnes de la région, une nouvelle idée a germé chez des élus Boulonnais : semer des éoliennes en mer. Si le projet est évidemment soutenu par les verts, le PS, par l’intermédiaire de sa figure boulonnaise Frédéric Cuvillier, est évidemment en première ligne de ses adhérents, arguant comme d’accoutumée dans ce genre de projet, des emplois et de la redynamisation du port moribond de Boulogne. Que l’on aperçoive ou non un jour ces éoliennes au large de la cote d’Opale, est une chose, mais il est surtout important d’analyser le pourquoi de ce type de projet, et surtout ce qui se cache derrière. Car oui, l’emblème des énergies renouvelables et des bourgeois-écolo est bien un dispositif-clef du système capitaliste et de l’économie verte !

 

L’éolien : du vent au profit de l’atome  

 

Installer des champs d’éoliennes offshore n’est pas une idée nouvelle. Chez nos voisins européens, certains n’en sont plus a leurs coups d’essais. Les Danois, par exemple, ont créé leur première ferme en 1991, suivis rapidement par les Allemands, les Belges et surtout les Britanniques dans les années 2000. La grande Bretagne compte aujourd’hui plus de 1600 machines offshore en activité. En comparaison, la France est loin derrière et possède actuellement deux éoliennes offshore en activité et à but expérimental. Ces dernières ont été construites par Alstom et sont exploitées par EDF. L’une se trouve au large de Marseille[1] alors que la seconde est en Loire Atlantique sur le symbolique site du Carnet[2], où eut lieu à la fin des années 90 une lutte importante contre l’implantation d’une centrale nucléaire. Cette dernière éolienne, au doux nom de Haliade 150[3] est par ailleurs la plus grande du monde avec ses 176 mètres de haut. Le président de région Loire Atlantique, Jacques Auxiette, grand défenseur des plans d’aménagement ubuesques du territoire (comme l’Aéroport de NDDL) est bien évidemment un soutien de taille pour les promoteurs de ce projet.

Outre le côté symbolique, il est clair que l’industrie de l’éolien offshore (comme terrestre d’ailleurs) est intimement liée à celle du nucléaire. S’il faut des preuves, les industriels positionnés sur ce secteur éolien sont tout simplement les même que ceux installés dans les secteurs du nucléaire. Nous venons d’évoquer EDF et Alstom, mais Siemens et Areva, sont eux aussi de la partie, que ce soit en France ou ailleurs.

Areva symbole français du nucléaire industriel a même créé une filiale spécialisée dans l’éolien offshore, la compagnie Adwen[4]. Cette dernière revendique de nombreux projets en Allemagne, ainsi que les fermes éoliennes offshore à l’étude au large de St-Brieuc, du Tréport et de Noirmoutier.

Si le lien entre les industriels du nucléaire et de l’éolien n’est plus à démontrer, il ne fait pas de doute que cette industrie du vent, sous son costume d’énergie verte, n’a absolument pas vocation à remplacer le nucléaire, comme nous le vendent certains de ses défenseurs (EELV en particulier), mais bien de s’y associer pour réduire la part du nucléaire dans la production électrique nationale. Cette industrie faussement verte n’a donc pour objectif que d’augmenter la production électrique globale et de pérenniser l’industrie du nucléaire.

 

Toujours plus grandes, toujours plus puissantes (source : France énergies marines)

 

Privatisation, aménagement et exploitation des mers

 

Les mers et les océans sont depuis toujours une source d’apport financier pour les capitalistes. La pêche industrielle, le transport maritime, l’industrie du tourisme ont déjà montré leurs grandes possibilités en termes de revenu financier. L’extension récente du domaine maritime national va également dans ce sens (voir encart). Aujourd’hui, au coté des ressources en hydrocarbure, c’est la production d’électricité qui prend la première place des projets d’aménagement maritime. Et la presse bourgeoise ne s’y trompe pas ! En effet, pas une semaine dans le Boulonnais, sans que la Voix du Nord publie un article au sujet de l’éolien offshore au large de la Côte d’Opale. Au niveau national, les journaux locaux font souvent de ce sujet leurs gros titres. Lors des dernières assises de la mer à Marseille, les 3 et 4 novembre derniers, les représentants de l’État et les industriels se sont rassemblés, devant la presse, pour parler de l’économie maritime et de « croissance bleue ». Une conférence animée par des dirigeants de Alstom, EDF, Engie, DCNS et le Pôle Mer Bretagne avait même pour sujet « Énergies marines renouvelables : quelles perspectives et à quel prix ? ».

Le message est clair. Les politiques publiques en termes d’aménagement du territoire apportent aux industriels un soutien sans faille pour développer la production d’énergie « bleue », et ce en mettant à disposition du secteur privé les organismes scientifiques publics (voir encart).

Dans le Boulonnais la frénésie générale de l’aménagement du territoire suit l’élan national. Et c’est d’autant plus flagrant à Boulogne ! Dans une région ou la paupérisation augmente proportionnellement à la désindustrialisation massive, la mer reste un terrain parfait d’accumulation de capital. Les décideurs et patrons locaux sont prêts à tout pour montrer leurs capacités à tourner la page du passé industriel, à proposer des projets « pour l’avenir ». La création d’emploi est d’ailleurs l’argument principal pour faire valider le financement de ce type de plan.

Ajouter à cela, le fait que surfer sur l’image « maritime » de la ville est primordial pour les élus du Boulonnais et l’environnement marin n’a qu’à bien se tenir. De gros fonds public sont fréquemment débloqués pour capter des marchés et financer des projets privés ou semi-privés liés à l’environnement maritime et l’aménagement de la mer. On pense bien sûr à l’agrandissement du Centre national de la mer, Nausicaà[5] ; la création d’un hub-port ultramoderne il y a quelques années et inexploité aujourd’hui et demain très probablement le financement de l’éolien offshore. Il va de soi que les industriels régionaux répondent à la main tendue par la Région et les municipalités concernées et se pressent pour profiter de cette manne financière juteuse, entrant ainsi en concurrence avec les multinationales de l’énergie.

 

Petite guerre entre amis : la pêche qui trinque

 

Si ce projet d’éolien offshore est soutenu par Frédéric Cuvillier et sa majorité PS, la fronde s’élève chez ses amis des villes voisines. Danielle Fasquelle et Bruno Cousein, maires UMP du Touquet et Berck s’opposent farouchement à ce projet. Soyons clair, ce n’est pas l’aménagement du milieu maritime et la privatisation du territoire qui leur pose problème, ni même le projet en lui-même, mais bien que l’implantation du parc se fera devant les fenêtres des riches cadres et retraités qui peuplent ces deux stations balnéaires. Les arguments sont d’une part que l’installation d’éoliennes en face de leurs côtes, pour des raisons panoramiques et touristiques, serait néfaste mais ce qu’ils ne goûtent guère plus, c’est que le conseil municipal de Boulogne a voté une motion de soutien au projet, afin que Boulogne devienne centre d’entretien des éoliennes. Cette fausse petite guerre de pouvoir pousse même Danielle Fasquelle à soutenir les pêcheurs locaux, qui par la voix du comité régional des pêches (CRPMEM), y sont opposés eux aussi à cause de son implantation sur des zones poissonneuses.

En effet, si tout le monde s’accorde sur l’intérêt de ce projet d’éoliennes offshore, le principal perdant, s’il se réalise, serait bien la petite pêche locale. La privatisation des mers par les professionnels de l’énergie entre en concurrence directe avec les pêcheurs, qui exploitent globalement les mêmes zones. La désindustrialisation du port de Boulogne menée par la gauche et le patronat de l’industrie depuis plus d’une décennie passe à une vitesse supérieure. La petite pêche déjà démolie par le capital au profit de grandes firmes multinationales de l’exploitation halieutique et de la transformation, va donc se voir aussi privée de ses zones de pêche locale.

Par ailleurs, n’oublions pas qu’un projet de longue date du patronat boulonnais est de développer l’aquaculture en lieu et place de l’ancienne industrie métallurgique. On peut donc aussi penser que l’anéantissement de la petite pêche locale par sa mise en concurrence géographique avec l’éolien offshore, serait du pain béni pour les soutiens locaux à l’aquaculture. La pêche disparaîtrait ainsi pour laisser place à l’aquaculture, et artificialiser donc encore un peu plus notre environnement et notre alimentation.

On notera que du côté des pêcheurs, la résistance est bien molle ! Ce qui pourrait sembler étonnant au vu des transformations de leur profession décidées par les patrons locaux. À ce rythme, la pêche artisanale ne sera plus qu’un folklore local d’ici quelques années, comme l’est aujourd’hui la pêche traditionnelle au flobart. Un autre dessein municipal vise à agrandir le port de plaisance et développer le tourisme, là encore aux dépens de la pêche. Les pêcheurs y voient la mort programmée de leur profession. La faiblesse de la lutte s’explique peut-être par la présence d’Olivier Leprêtre à la tête de CRPMEM. Le petit patron de pêche étaplois est un proche de Frédéric Cuvillier[6], et n’a donc pas intérêt à s’opposer aux projets mégalomanes boulonnais…

 


Encart

En 2002, le secrétariat général de la mer recommande de développement de l’éolien offshore au niveau national. Un Grenelle de l’environnement et deux élections présidentielles plus tard, France Energie Marine voit le jour. Installé à Brest, ville réputée pour son passé maritime et son présent actif dans l’étude de l’environnement marin, son but est à l’origine de créer des liens entres le secteur public (scientifiques, services déconcentré de l’Etat, universitaires) et les industriels de l’énergie (RTE, EDF, Areva, etc.) afin de développer les parcs éoliens offshores au niveau national et d’étudier d’autres sources d’énergies possible comme l’éolien farshore, l’hydroliens, etc.

En clair il s’agit de mettre les organes scientifiques publics aux services des industriels de l’économie maritime. Depuis sa création ce groupement a permis le développement de nombreux partenariats public-privé et donc de financer la recherche industrielle du secteur, avec des financements publics. Et pour donner une image sociale à cette initiative, le recours à des étudiants pour mener une partie de ces études, dans le cadre de sujets de thèses cofinancés, est monnaie courante. Ces étudiants sont une main d’œuvre corvéable, dévouée et surtout bon marché.


 

Notes :

[1]            http://www.polemermediterranee.com/DAS-Projets/Ressources-energetiques-et-minieres-marines/Energies-marines-renouvelables/VERTIWIND

[2]          http://www.20minutes.fr/nantes/901149-20120320-eolienne-geante-inauguree-carnet

[3]           http://www.alstom.com/fr/products-services/product-catalogue/production-electricite/energies-renouvelables/eolien/eoliennes-offshore/plateforme-eoliennes-offshore-haliade/

[4]           http://www.adwenoffshore.com/projects/

[5]             http://www.lesechos.fr/27/06/2014/LesEchos/21717-109-ECH_a-boulogne-sur-mer–nausicaa-se-dote-du-plus-grand-aquarium-d-europe.htm

[6]         http://www.lavoixdunord.fr/region/boulogne-olivier-lepretre-et-delphine-roncin-decores-ia31b49030n2510076

 

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La vidéosurveillance au service de la production capitaliste de l’espace et de la reproduction sociale.

La vidéosurveillance au service de la production capitaliste de l’espace et de la reproduction sociale.

L’aménagement capitaliste de l’espace s’accompagne d’un ordonnancement social dont profitent d’abord ses maîtres d’oeuvres : les architectes, les hommes politiques, les patrons de l’industrie sécuritaire, ceux du bâtiment et des travaux publics. Les caméras de surveillances ne sont pas, comme le déclarent ses promoteurs, le moyen de prévenir quelque danger que ce soit. Après les multiples attentats commis ces dernières années dans des métropoles européennes pourtant ultra-surveillées, qui pourrait encore le soutenir … Faut-il en conclure qu’elles ne servent à rien ? Pas tout à fait …

 

L’implantation récente à Boulogne-sur-mer de l’entreprise Sopra-Stéria signe l’une des premières consécration du schéma économique promu par la gauche locale, celui de la ville intelligente (1). Le concept de ville digitale est l’une de ces marottes qu’agitent les élus locaux soucieux de coller à leur époque saturée d’illusions virtuelles(2). En combinant la restructuration de l’espace à l’implantation de nouvelles activités liées au numérique, la gentrification se réalise ici par petites touches encore imperceptibles. C’est ainsi que depuis peu, une population d’ingénieurs s’est établie professionnellement au coeur d’un quartier ouvrier en voie d’effacement. La promesse offerte à ces techniciens d’un cadre de vie établi à la mesure et les prix avantageux de l’immobilier les ont convaincu de quitter les affres de la métropole lilloise pour les charmes ventés de la Côte d’Opale.

Cette séquence inaugure la pénétration du mode actuel d’accumulation du capital basé sur la délocalisation, la flexibilité et l’immatérialité dans une ville en voie de désindustrialisation. Elle révèle par là même l’ordre social local à venir. En se donnant à voir sous l’angle de la reproduction des rapports sociaux, l’agglomération boulonnaise illustre à son échelle ce qu’Henri Lefebvre décrivait comme : “ l’aménagement de l’espace auquel incombe la reproduction des rapports de production, la reproduction des moyens de production (la force de travail, l’outillage, les matières premières, etc …) mais aussi “l’organisation de “l’environnement”, des entreprises, c’est à dire de la société entière …” (3)

Cette production capitaliste de l’espace ré-introduit la dichotomie sociale aux conditions de la période. Elle polarise à l’une de ses extrémités les centres de décisions et de la production dont les limites sont parfois indistinctes(4) et de l’autre les zones de relégations dont il s’agira de rendre les contours tout aussi indiscernables. L’opacité est l’aboutissement recherché d’une politique de dépossession et d’évincement qui se grime des atours de la mixité sociale. Pour la mener à bien, l’Etat s’est doté d’instruments de contrôle et de stratégies sécuritaires élaborés par quelques spécialistes appointés à la demande : chercheurs en sciences du comportement, architectes, urbanistes et autres “criminologues”, chargés tour à tour de répertorier des catégories sociales jugées indésirables et /ou antagoniques : le pauvre, le vagabond, le jeune, l’immigré, la prostituée, le chômeur, le contestataire, etc … et à la suite de pacifier socialement l’espace en le re-configurant.

 

 

Une réhabilitation sous surveillance

A Boulogne-sur-mer, la vidéosurveillance s’est introduite dans le débats sous l’égide de Office Public de l’Habitat dans le cadre d’un programme de l’ANRU, au sein d’une Zone de Sécurité Prioritaire en voie de “résidentialisation”, autrement dit de privatisation partielle de l’espace public(5). Elle est ensuite devenue l’enjeu de surenchères entre factions politiciennes rivales avant de se propager et venir trôner au dessus des axes commerciaux de la cité.
Comme d’autres dispositifs mis en place localement, la vidéosurveillance donne de la visibilité à la théorie de “l’espace défendable” largement reprise et interprétée des travaux de l’architecte américain Oscar Newman. Ignorant semble-t-il l’organisation en classes de la société capitaliste comme des rapports de domination qu’elle engendre, ses épigones postulent que certains espaces seraient par essence criminogènes. Ils préconisent donc un agencement spatial qui en abolirait comme par enchantement les effets supposés et redoutés. Elémentaire …
Empruntant ce sillage, d’autres travaillent d’arrache pied à cultiver et diffuser un climat de crainte partout dans la société à mesure que le capital mène à bien sa contre-révolution libérale. Que ce soit sur les lieux de travail où dans les quartiers, là où un sentiment d’impuissance et de vulnérabilité submerge les victimes des restructurations capitalistes, une rhétorique sécuritaire se déploie et alimente un marché de la peur en pleine expansion. Ce mécanisme ne peut fonctionner qu’en obtenant l’adhésion en partie au moins d’une fraction contre une autre des populations ciblées et afin d’y parvenir, d’importants moyens sont activement déployés. L’un des artisans de cette politique n’est autre qu’ Alain Bauer le chantre de l’idéologie sécuritaire auprès du Parti Socialiste qui ne rechigne jamais à offrir ses services à la droite quand celle-ci les lui réclame. Il est par ailleurs le président de la Commission Nationale de la Vidéosurveillance et proche de l’Association Nationale de la Vidéoprotection (l’AN2V). Ce lobby financé par une centaine de patrons du secteur a obtenu le soutient officiel du ministère de l’intérieur. La vidéosurveillance est évidemment un business extrêmement lucratif dont Bauer et ses amis profitent pleinement et plus encore depuis que 60 % des fonds interministériels pour la prévention de la délinquance, soit 30 millions d’euros financent directement les entreprises du secteur (6).

 

 

un réseau européen au service de juteux marchés locaux

Sur le marché international, le taux de croissance de l’activité s’élève à 24 % l’an et devrait rapporter 43 milliards de dollars en 2019 s’il se maintient à son niveau actuel.

En Europe, le patronat de l’industrie sécuritaire entend bien profiter des relations étroites qu’il a noué depuis quelques temps au sein du Conseil de l’Union Européenne. Un groupe de travail baptisé Réseau Européen des Services Technologiques de Police (ENLETS) s’y est constitué afin d’obtenir le financement et la réalisation de projets technologiques qui équiperont ensuite les forces de police des 28 Etats membres. Parmi les objectifs du programme dont s’est doté ce réseau figure celui “d’améliorer la qualité de la surveillance vidéo en utilisant des standards de haute qualité. Les enjeux principaux concernant la vie privée et la transparence”(7). De manière concrète, il s’agira de fabriquer des caméras qui répondent aux besoins inventoriés en amont par les différents services de police. Afin de réaliser les recherches qui déboucheront sur ces fameux standards technologiques, le groupe ENLETS a perçu la somme de 587 000 euros en 2012 et ambitionne dans un avenir proche d’obtenir un budget d’un montant d’un million d’euros (8).

En France, 150 entreprises se partagent le marché de la vidéosurveillance et engrangent 2 milliards d’euros de bénéfices à l’année. Comme nous l’avons vu, les finances publiques y pourvoient largement. Le coût estimé de l’installation d’une caméra est d’environ 20 000 € auxquels il faut ajouter le coût de l’étude préalable à son installation d’un montant de 5 000 à 10 000 €, enfin, la maintenance représente 10 % de l’investissement de départ. Depuis la publication d’un rapport adressé en 2008 au sénat, l’Etat encourage les partenariats entre “les collectivités, les services de police et de gendarmerie, les commerçants, les bailleurs sociaux, les transporteurs” afin de développer les systèmes de surveillance au niveau des bassins de vie(9). Une compétence passée depuis aux établissements de coopération intercommunale qui a permis à la Communauté d’Agglomération du Boulonnais de voter la mise en place de caméras sur la zone industrielle de l’ Inquéterie pour un montant de plus de 100 000 euros. On imagine que l’installation de la fibre optique dans l’agglomération boulonnaise sera de l’occasion d’opportunités financières supplémentaires offertes aux sociétés du secteur jamais à cours d’innovations. Ainsi on apprend que sans même l’intervention de l’homme, des caméras dites “intelligentes” permettraient dans un avenir proche d’identifier des personnes ou des comportements jugés suspects. Rassurons nous car la réalité est souvent plus prosaïque et la finalité vénale. Ces bijoux de technologie seraient efficaces avant tout dans l’enregistrement des plaques minéralogiques et la distribution de contraventions aux automobilistes, ce qui n’en doutons pas, ne manquera pas d’intéresser les édiles …(10)

 

 

un outil essentiellement normatif

Il y a une quarantaine d’années, Henri Lefebvre, encore lui, affirmait dans son livre “La survie du capitalisme” que ceux qui possèdent les forces productives maîtrisent l’espace et le produisent. Rien n’est plus vrai à l’heure actuelle où l’aménagement du territoire est devenu un enjeu incontournable de la lutte entre les classes. Pour l’Etat et la bourgeoisie, l’intention est de privatiser l’espace public autant qu’il leur sera possible de le faire, de réduire l’individu à la fonction de consommateur d’accès à un espace marchandisé et sous contrôle, tout en tenant éloigné-e celui ou celle qui ne se conformera pas à cette injonction. Cette privatisation de l’espace public produit en parallèle de la norme et du contrôle, elle génère à l’occasion de la violence institutionnelle. La vidéosurveillance participe de cette régulation sociale, c’est à dire qu’elle règle, selon les termes même de la définition, le mouvement de catégories sociales déterminées en cherchant à adapter leur comportement au résultat à obtenir. Elle est un rouage du mécanisme disciplinaire qui agit sur la réalité socio-territoriale de l’espace public. Il suffit de s’en rapporter aux propos d’un responsable de la police locale s’exprimant sur le sujet pour le comprendre : “la vidéosurveillance a un effet direct sur les nuisances dont sont responsables certaines fractions de la population : “ jeunes, marginaux, sans-somicile-fixe, squatter …” – autrement dit, les pauvres(11). Le conseiller municipal en charge à la mairie de Boulogne-sur-mer de la “Tranquillité publique” insiste, lui, sur le rôle dissuasif des caméras. Convaincu que “les boulonnais sont de plus en plus demandeur”, elles sont un moyen dit-il, d’empêcher, sans préciser lesquels, “certains rassemblements en centre-ville”. Enfin, les commerçants -qui profitent sur-le-champ du dispositif- déclarent que les caméras les rassurent. De quoi les tranquillisent-elles au juste, si ce n’est de l’éviction des indésirables alors que de l’aveu même de la police :”en terme d’élucidation d’enquête, les résultats sont minimes pour ne pas dire quasiment nuls.”

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Notes :

(1)Sopra-Stéria est une entreprise qui offre des “services numériques”, notamment en matière de “Cybersécurité”. A propos du concept de “Smart-City” -la ville intelligente- lire ce texte de la revue en ligne “Lundi Matin” : https://lundi.am/La-conspiration-Episode-8
Un modèle économique qui comme son prédécesseur, de type fordiste, ne s’embarrasse aucunement de satisfaire les besoins sociaux des populations. Le maire de Boulogne-sur-mer est explicite sur le sujet : “ Nous sommes dans l’invention de l’inconnu (!) ces entreprises partent au départ d’une idée géniale qui se transforme par la suite en outils économique”.

Lire dans la presse bourgeoise : “3 millions d’emplois menacés en France à cause du numérique” in la revue du digital. http://www.larevuedudigital.com/2014/10/28/3-millions-demplois-menaces-en-france-a-cause-du-numerique/ et sur le site “Spartacus 1918” : La révolution digitale en marche : http://spartacus1918.canalblog.com/archives/2015/06/19/32193348.html
Henri Lefebvre. “La survie du capitalisme. La reproduction des rapports de production”. Ed. Anthropos. 2002. Troisième édition.
L’entreprise Sopra-Stéria dépose ses valises à Boulogne-sur-mer à la demande d’un ex-ministre, député et maire ; l’alliance du pouvoir d’Etat et de l’industrie sécuritaire.
La “ résidentialisation ” cette privatisation partielle de l’espace public a pour effet d’éliminer ou, au moins, de restreindre l’espace véritablement commun (cours, pelouses, terrains libres…)
Il est piquant d’apprendre que Alain Bauer, ami de longue date de M.Valls est actuellement visé par une enquête du parquet national financier. Bauer aurait usé de ses relations pour bénéficier de contrats d’un montant de 200 000 euros contractés auprès de la Caisse des dépôts au profit de la société AB Conseil dont il est le patron …
http://www.statewatch.org/news/2014/jan/enlets-wp-2020.htm
Des rapports entre l’Union européenne et l’industrie de la sécurité au beau fixe. In : http://securiteinterieurefr.blogspot.fr/2014/02/des-rapports-entre-lunion-europeenne-et.html
http://www.senat.fr/rap/r08-131/r08-131_mono.htm
http://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post/2012/02/07/La-videosurveillance-intelligente-nouvelle-etape-dans-le-business-de-la-securite
“Deux chercheurs anglais nous renseignent sur le regard des opérateurs : 93% des sujets surveillés sont de sexe masculin , 86% ont moins de trente ans, 68% sont des personnes de couleur”. In : The maximum surveillance society. C. Norris, G. Armstrong

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Encadré 1 :

Qui sont ceux et celles qui nous surveillent ?

Pour le savoir, nous vous conseillons la lecture de ces quelques textes qui nous révèlent une réalité façonnée par les préjugés sociaux et raciaux, l’ennui et l’obsession …
Surveiller à distance. Une ethnographie des opérateurs municipaux de vidéosurveillance
Tanguy Le Goff, Virginie Malochet, Tiphaine Jagu
https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00742822/document
Le blues du vidéosurveillant
Jérôme Thorel
http://www.slate.fr/story/45969/videosurveillance
Vidéosurveillance : Qui Vous Surveille ?
http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2011/11/videosurveillance-une-ethnographie.html

 

Encadré 2:

Moins de caméras en Angleterre ?

Après des années ininterrompues d’implantations de caméras, le Royaume-Uni donne le sentiment de faire marche arrière en regard du bilan coût/résultats. A y regarder de plus près, c’est d’abord la baisse des budgets, voire, la suppression des financements publiques qui expliquent ce recul qu’il s’agit de nuancer. Dans un contexte d’austérité budgétaire on assiste plutôt à la privatisation des dispositifs, à leur transfert entre les mains d’entreprises commerciales qu’à leur disparition.
Désormais, des sociétés privées incitent les habitants à se surveiller entre eux par l’intermédiaire de leur écran de télévision. La pratique du “neighbourwatch”profite des outils mis à la disposition d’un marché naissant et prometteur. Les habitants de certains quartiers peuvent dorénavant scruter les allers et venues de leur voisinage simplement en s’abonnant aux chaînes de télé en circuit fermé qui leur offrent ce service.
Encadré 3 :

Bibliographie indicative :

La survie du capitalisme.
La reproduction des rapports de production.
Henri Lefebvre. Ed. Anthropos. 2002. Troisième édition

Une violence éminemment contemporaine.
Essais sur la ville, la petite bourgeoisie intellectuelle
et l’effacement des classes populaires.
Jean Pierre Garnier. ED. Agone. 2010

Un espace indéfendable.
L’aménagement urbain à l’heure sécuritaire
Jean Pierre Garnier. Ed Le monde à l’envers. 2012

Métromarxisme
Andy Merrifield. Ed Entremonde. Fevrier 2016.

De Godzilla aux classes dangereuses
Alfredo Fernandes, Claude Guillon, Charles Reeve, Barthélémy Schwartz
Ed. Ab Irato.2007.

Contrôle urbain.
L’écologie de la peur
Mike davis. Ed. Ab Irato. 1998.

Les marchands de peur :
la bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire
Mathieu Rigouste. Ed. Libertalia. 2011.

Des films à voir :

Paris grand capital : film de François Lathuillière (1h20), raconte la rénovation urbaine qui transforme les villes populaires de la « ceinture rouge » parisienne (Pantin, Ivry, Saint-Ouen, Saint-Denis, etc.) pour faire place aux riches au nom de la « mixité sociale »

La fête est finie : film de Nicolas Burlaud (1h12) s’intéresse à la manière dont le statut de « Capitale Européenne de la culture » en 2013 a été utilisé à Marseille comme un prétexte pour la « reconquête du centre-ville » par les acteurs économiques (promoteurs, fonds de pension et grandes entreprises). Partout en Europe, sous les assauts répétés des politiques d’aménagement, la ville se lisse, s’embourgeoise, s’uniformise. Cette transformation se fait au prix d’une exclusion des classes populaires, repoussées toujours plus loin des centres-villes.

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Lille, capitale du capital régional

Lille, capitale du capital régional

 

Alors que le Boulonnais devient un des versants maritime de la métropolisation de la nouvelle grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, qu’en est-il de la situation dans la capitale donneuse d’ordres ? Alors que la plupart des villes voient leur population stagner ou diminuer, celle de Lille et de son agglomération augmente renforçant ainsi la concentration des personnes et des activités. Lille est devenue la turbine tertiaire tant espérée par Pierre Mauroy et s’insère pleinement dans l’économie européenne qui dans un mouvement centripète et concurrentiel reconcentre le capital. Mais cette vitrine régionale a un prix : elle relègue toujours un peu plus les classes populaires à la périphérie tandis que de nouveaux chantiers fleurissent dans le centre-ville pour attirer des classes moyennes solvables !

Une métropolisation à l’ombre des deux beffrois

Après avoir été un centre capitalistique important à partir du milieu du XIXe jusque les années 1970 avec d’innombrables filatures et de grands « châteaux industriels » comme la Lainière de Roubaix ou l’usine Fives-Cail de Fives qui employaient des milliers de personnes, Lille a connu plusieurs décennies de crise économique et urbaine. Les industries restructurées et délocalisées, il a fallu pour la bourgeoisie locale trouver de nouveaux débouchés que la métropolisation allait lui offrir. À la genèse de ce processus vont se retrouver, pour la première fois, les édiles socialistes et les patrons nordistes. Les deux beffrois vont se réconcilier (celui de la mairie et celui de la chambre de commerce et d’industrie). Pierre Mauroy et Bruno Bonduelle, le patron de la célèbre marque, mettent fin aux guerres politiques et s’entendent pour lancer la fameuse « turbine tertiaire » où chacun va avoir besoin de l’autre. L’un pour des orientations politiques et fiscales favorables aux entreprises ainsi que la mise en place d’infrastructures géantes ; l’autre pour le financement, la construction et le fonctionnement de ces projets. Pour ancrer ce dialogue, le comité Grand Lille est créé en 1993 (depuis, il s’appelle Lille’s agency) et réunit les décideurs politiques et les grands chefs d’entreprises nordistes comme Jean-François Dutilleul, patron du grand groupe BTP éponyme, les affaires peuvent tourner tranquillement (1). Enfin, la régionalisation amorcée en 1981-1982 joue également un rôle important car Lille devient un centre décisionnel avec de nouveaux pouvoirs en terme d’aménagement du territoire, il suffit de voir aujourd’hui les projets portés par Daniel Percheron (et aujourd’hui Xavier Bertrand) comme le Canal Seine-Nord ou le RER bassin-miner/Lille.

Ainsi, dans les années 90, de grands projets urbains sortent de terre dont les principaux se situent dans le quartier d’Euralille (inauguré en grande pompe courant 1994) : la gare Lille-Europe qui devient un point de passage du TGV Nord-européen, le centre d’affaires au dessus, le centre commercial attenant et un peu plus loin le Zenith-Grand Palais. Tous les équipements sont présents pour faire de Lille une métropole et attirer de nouvelles activités dans le tertiaire supérieur (assurance, banque, informatique, etc). Depuis les années 2000, l’extension Euralille 2 voit le jour, sont construits : le conseil régional, le nouveau quartier de Bois Habité inauguré en 2012 et enfin la réhabilitation toujours en cours de la porte de Valenciennes. Les HLM disparaissent pour laisser la place à 1000 nouveaux logements en mixité avec des bureaux et des équipements type crèche, etc. Dernier grand projet en date, Euralille 3000, lancé par Martine Aubry qui annonce vouloir redynamiser le quartier de la gare et construire la friche de la gare Saint-Sauveur. Actuellement, seule une partie de cette ancienne gare de triage est utilisée comme café/salle de concert mais les architectes ont déjà prévu de réhabiliter le reste des halles pour en faire des bureaux et des ateliers d’artistes, quant à la friche de 23 ha, ils veulent y construire un nouveau quartier en îlot comprenant 30 à 60 logements chacun. Le but affiché : attirer 6000 habitants et 2500 travailleurs mais pas n’importe lesquels ! (2)

 

 

Changer la ville et sa population

L’équation pourrait se réduire à la sacro-sainte loi économique de l’offre et de la demande où les entrepreneurs urbains font tout pour offrir un nouveau cadre de vie « agréable » et « convivial » à une population de classe moyenne venue travailler dans le tertiaire supérieur et friande de cette novlangue du « habiter ensemble » (mais pas trop quand même!). En cela, le pari a été réussi car Lille ne fait plus partie de ces villes perdantes post-industrielles et elle est devenue une ville dynamique notamment grâce à l’action de la culture mais là encore, pas n’importe laquelle : celle sponsorisée par Martine Aubry, épaulée par son maître de cérémonie Didier Fusiller qui a fait ses armes à Maubeuge, autre ville perdante mais qui n’a pas eu le même succès que la capitale des Flandres. Le grand événement tant attendu pour célébrer la métropole va venir en 2004 avec Lille : capitale européenne de la culture qui est un succès car depuis, le couvert est remis environ tous les 3 ans avec Lille 3000 : un comité devenu permanent qui organise les différentes thématiques. Il y a eu Bombaysers de Lille en 2006, Lille XXL en 2009, Lille Fantastic en 2012 et aujourd’hui Lille Renaissance. A chaque fois, une nouvelle marque culturelle est inventée pour susciter le « désir de ville » chez les visiteurs.
Cette offensive culturelle et urbaine entraîne nécessairement des mouvements, des glissements de population. Ce ne sont plus les ouvrier-ères qui font la ville et sa convivialité mais les cadres et les professions intermédiaires vulgairement appelés les bobos. En 1999, peu avant le premier mandat de Martine Aubry, les classes moyennes supérieures représentaient 21% de la population lilloise de plus de quinze ans. Dix ans plus tard, elles ont vu leur poids fortement augmenter à 31%. À l’inverse, les classes populaires sont passées de 26% à 24%. Il y a aujourd’hui à Lille 10 000 cadres de plus que d’ouvriers et quasiment autant de cadres que d’employés (3). La gentrification (autrement dit l’embourgeoisement) a commencé dans le vieux Lille et se diffuse maintenant vers le sud dans les quartiers de Fives, Moulins et Wazemmes. Au centre de ce processus, on retrouve la société publique locale d’aménagement (SPLA) « La fabrique des quartiers » créée en 2010 par la LMCU devenue MEL (communauté métropolitaine de Lille) et les villes de Lille, Roubaix, Tourcoing. Elle est chargée de « requalifier » le bâti ancien et de faire le pont entre les collectivités territoriales et les propriétaires car 70% du parc immobilier est privé. Ainsi la métropole et la ville de Lille leur ont offert pendant 8 ans, sous forme de concession, le marché de la réhabilitation. En plus de la rénovation, la Fabrique des quartiers fait faire construire des îlots en plein milieu de Moulins ou de Fives, le tout sous la promesse de sécurité (des caméras ou des voisins vigilants?) et de mixité sociale qui s’avère, en réalité, être un argument pour chasser les indésirables de ces quartiers destinés à accueillir une population plus solvable. In fine, Lille devient une ville chère, le prix du loyer au mètre carré est de 13,5€ en 2013, ce qui en fait la deuxième ville de province la plus chère après Nice.

 

 

 

Le droit à la ville vs la ville capitaliste

Par « indésirables », les gestionnaires publics et privés de l’immobilier désignent celles et ceux qui ne participent pas à la métropolisation autrement dit les classes populaires reléguées dans le précariat et le chômage qui n’apportent rien au capitalisme urbain. Ces populations sont alors déplacées et enclavées dans les périphéries immédiates comme à Lille-Sud derrière le périphérique ou plus lointaines vers Roubaix-Tourcoing, sans oublier les campagnes périurbaines. Face à cette accusation, les politiques s’empressent de brandir la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) qui fixe à 20% la part de logement social dans une ville. A Lille, le taux officiel est même de 30% car un règlement local impose une « servitude de mixité sociale » qui veut que pour toute opération neuve construisant plus de 17 logements, 30% des logements doivent être sociaux (accession sociale, logements locatifs sociaux). Mais, dans les faits, le dispositif est souvent contourné comme par exemple dans le nouveau quartier de Bois Habité: sur les 140 logements sociaux que comptent le quartier, 55 sont des Prêts locatifs sociaux (PLS) accessibles pour 80% de la population, par exemple pour une personne seule dont les revenus n’excèdent pas 2100 euros par mois. Bien que catégorisés comme HLM, on peine à percevoir ce qu’il y a de social dans les PLS. Les 85 autres logements – véritablement – sociaux sont des Prêts locatifs à usage social (PLUS). De ce point de vue, la part de social au Bois Habité n’excède pas les 14%. Et surtout, aucun Prêt locatif aidé d’intégration (PLAI), réservé aux populations les plus précaires, n’est répertorié dans le quartier. En réalité, le nombre de logements sociaux diminuent. En 1999, Lille comporte 21 344 logements HLM, soit 23,6% de l’offre totale. En 2010, la ville compte 25 339 logements HLM, soit 21,8% de l’offre. On est loin du seuil des 25%.

Face à ces privations et privatisations du centre-ville, des résistances naissent pour réclamer le droit à la ville pour tous, c’est à dire le droit à l’accès à une centralité (logement + commerce) et une sociabilité (les bars, la culture en général). Cette résistance est, avant tout, diffuse car certains quartiers restent aux mains des habitants qui continuent à occuper l’espace comme à Wazemmes vers la rue des Postes ou encore le quartier de Moulins dont l’arrivée de science-Po et de la faculté de droit n’ont pas réussi à gentrifier le quartier. Pour tenter de discipliner ces lieux et leur population, la police est alors envoyée et Moulins est devenue une ZSP (zone de sécurité prioritaire). Les portes de la ville (porte de Douai, Arras et Faubourg de Béthune) restent également populaires à l’exception de la porte de Valenciennes où 380 logements sociaux ont été démolis pour en reconstruire seulement 200.

 

 

 

Il existe aussi des luttes plus frontales comme celle autour de l’îlot Pépinière qui est un terrain de 20 ha jusque là boisé (le dernier bail agricole de la ville) mais en proie à un projet métropolitain qui prévoit la construction de ces sinistres îlots car le quartier est placé juste derrière la gare Lille-Europe. Des expropriations ont commencé mais un collectif d’habitants et de militants notamment ceux de l’atelier populaire d’urbanisme (APU) de Fives-Hellemmes s’est formé et a lancé des recours en justice tandis que les réunions publiques, où les décideurs et les architectes tentent de convaincre les riverains , ont été quelque peu chahutées. En attendant la décision de justice (qui sera sans surprise) des maisons restent occupées. Enfin, il ne faut pas oublier la lutte des squatteur-euses qui continuent à occuper des lieux laissés à l’abandon au nom de la spéculation immobilière. Le dernier grand squat a tenu plusieurs mois quasiment en face du conseil régional mais a été fermé en mai dernier à grand renfort de policiers, des occupants ont été jugés (4) et le lieu est depuis muré. Reste l’Insoumise, une bouquinerie occupée depuis plus de 3 ans qui continue à accueillir une bibliothèque et des discussions politiques en plein milieu du quartier de Moulins. Réoccuper la ville est et sera un des enjeux des luttes sociales et politiques à venir, ne serait-ce que dans la réappropriation des espaces mais aussi dans le blocage des flux de capitaux vivants ou non qui transitent par les métropoles, qui en attendant se bunkerisent avec le tout-sécuritaire (vidéo-surveillance, flics militarisés, etc)

Lille le 01/02/2016

Notes :
(1)Pour plus d’infos, lire avec intérêt les articles de la Brique sur l’urbanisation et notamment http://labrique.net/index.php/thematiques/enquetes-et-infos/104-les-patrons-de-la-metropole-lilloise
(2)On pourrait citer aussi le projet Fives-Cail où en lieu et place de l’ancienne usine géante de Fives (à l’origine de la fortune de ce groupe maintenant mondialisé) vont être construit des logements et des équipements en vue d’attirer un certain type de population.
(3) Chiffres cités par la Brique, décembre 2013
(4) Pour plus d’infos, voir ici https://fr.squat.net/2015/05/29/lille-la-mangouste-saison-2-episode-6-le-proces/

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Du SCoT au PLUI : demandez le programme

Du SCoT au PLUI : demandez le programme

 

Dans le dernier numéro de La Mouette enragée nous vous présentions le Schéma de Cohésion Territorial (SCoT) du Boulonnais. Ce document est une sorte de feuille de route pour la décennie à venir. Il concerne les habitants de la Communauté de Communes de Desvres Samer (CCDS) et de la Communauté d’Agglomération du Boulonnais (CAB).
Dans ce numéro nous nous concentrerons plus sur la CAB et son Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi) aujourd’hui rétorqué.

 

Quelques éléments de clarification

C’est quoi un PLUi ?

Le PLUi définit les règles indiquant quelles formes doivent prendre les constructions, quelles zones doivent rester naturelles, quelles zones sont réservées pour les constructions futures, etc. Il doit notamment exposer clairement le projet global d’urbanisme ou projet d’aménagement et de développement durables (PADD) qui résume les intentions générales de la collectivité quant à l’évolution de l’agglomération. (1)
En tant que document officiel il doit contenir un certain nombre de pièces :

  • un rapport de présentation, qui explique les choix effectués notamment en matière de consommation d’espace ;
  • un  PADD qui expose le projet d’urbanisme et définit notamment les orientations générales d’aménagement, d’urbanisme, d’habitat, de déplacements, d’équipement, de protection des espaces et de préservation ou de remise en bon état des continuités écologiques ;
  • des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) qui, dans le respect du PADD, comprennent des dispositions portant sur l’aménagement, l’habitat, les transports et les déplacements ; – un règlement, qui délimite les zones urbaines, les zones à urbaniser, les zones agricoles et les zones naturelles et forestières, et fixe les règles générales d’urbanisation ;
  • des annexes.

Il doit respecter certains documents, entre autres :

  • le ScoT ;
  • les « schémas de cohérence écologique » (trames vertes et bleues) et « plans territoriaux pour le climat » ;
  • la loi littorale dans le cas présent.

Construire, construire et encore construire

Cela semble être le leitmotiv des élus, quels qu’ils soient. En effet, comme c’était le cas dans le ScoT, l’objectif ici est de produire des logements. Mais pourquoi ? Quand on regarde les analyses démographiques, le Boulonnais perd sa population alors pourquoi construire plus ? Nos élus y ont réfléchi : en construisant de nouveaux logements, ils pensent attirer une nouvelle population. Comme si leur existence allait faire venir des personnes dans des villes où il n’y pour ainsi dire pas d’emploi. En outre, une partie de ces logements existe puisqu’on comptait en 2013 12,3 % de logements vacants à Boulogne même. Mais las le but est bien de produire, que ce soit en réhabilitant des habitations insalubres, en construisant ou en libérant les logements vacants. Ainsi ce sont pas moins de 4 365 nouveaux logements qui sont prévus pour les 10 prochaines années dont 13,5 % de résidences secondaires ! (2) Et oui, on n’oublie surtout pas les touristes… Mais pendant ce temps la population boulonnaise subit la politique de réhabilitation urbaine en cours et qui a vocation à se poursuivre. Sous couvert de rénovation ou réhabilitation de logements sociaux, on casse des quartiers, on détruit des liens. Qu’on ne s’y trompe pas la répartition des logements prévoit la plus grande mixité en obligeant les futurs programmes à mélanger les offres. Ainsi les logements sociaux côtoieront les habitations mises à la vente. Les vieilles antiennes ont la vie dure.
On a ici surtout l’impression que le but est moins de créer des logements pour y faire vivre des gens que de faire vivre des patrons du BTP en construisant toujours plus. Mais qu’on ne s’y trompe pas la population boulonnaise n’aura pas pour autant du travail. En effet, les entreprises sélectionnées dans les derniers marchés publics sont loin d’être locales : Vinci, Bouygues, etc. (3).

Le PLUi ne passe pas

Une fois validé par le conseil communautaire, le PLUi doit être approuvé par la préfecture. Et quand ça commence mal, ça ne finit pas toujours bien. En effet, certaines communes de la CAB n’ont pas validé le PLUi. Il s’agit d’Echinghen (conseil municipal du 19/06/2015) et Equihen (conseil municipal du 22/06/2015). Le conseil municipal d’Outreau l’a validé mais en demandant des ajustements. Ces réticences d’édiles ont toutes le même but : pouvoir toujours construire où ils veulent et comme il veulent. En effet, le PLUi serait pour eux par trop restrictif en matière de zones constructibles. Pourtant on ne peut pas dire qu’il y va par le dos de la cuillère en termes d’utilisation du foncier pour la construction de nouveaux bâtiments. Ce ne sont pas moins de 300 ha qui sont concernés pour les dix prochaines années. (4) Malgré cette opposition le PLUi a été validé par le conseil communautaire et déposé en préfecture du Pas-de-Calais pour avis. Cette dernière, par le biais de l’autorité environnementale du 19/08/2015 demande aux élus locaux de revoir leur copie. (5) En effet, le document ne respecte pas certains textes supérieurs. C’est le cas notamment du ScoT : il prévoit plus de construction et sur des surfaces plus importantes que ce que ce précédent document prévoyait. (6) De plus, le PLUi prévoit de rendre constructibles des terrains contigus à des zones environnementales protégées. En outre, le PLUi souligne des problèmes de qualité d’alimentation en eau sur le territoire déjà à l’heure actuelle, il est certain que ces problèmes s’aggraveront avec l’augmentation de la population. Enfin, le document n’est pas compatible avec la charte du parc naturel régional, entre autres documents.
C’est donc sur la base d’un document désormais caduc que nous avons travaillé. Néanmoins la plus grande partie de ses objectifs resteront sans aucun doute dans le prochain PLUi,

 


Notes :
(1) cf : http://www.actu environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/plan_local_d_urbanisme_plu.php4
(2) Le Scot prévoyait la construction sur le territoire de la CAB de 4170 logements dont seulemnt 8,5 % de résidences secondaires.
(3) Article de la Voix du Nord du 5 juin 2015
(4) Les chiffres varient de 303,2 à 313ha selon la page du document où on les trouve !
(5) Avis à consulter ici : http://www.nord-pas-de-calais.developpement durable.gouv.fr/IMG/pdf/19082015_plui_boulonnais_decision.pdf
(6) Le ScoT prévoyait une consommation de 9,4 ha maximum par an, le PLUi en prévoit 12 par an,

 

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Air France, Goodyear, Notre Dame des Landes … Une justice de classe au service de l’État et du patronat

Air France, Goodyear, Notre Dame des Landes … Une justice de classe au service de l’État et du patronat

 

Air France, Goodyear, Notre Dame des Landes ... Une justice de classe au service de l'État et du patronat

 

– D’un côté 2900 suppressions de postes, de l’autre la réaction légitime des travailleurs et deux chemises déchirées.

– D’un côté 1173 suppressions de postes, de l’autre une action ouvrière classique et deux cadres qui repartent comme ils sont venus.

– D’un côté la confiscation de terres au profit de quelques groupes capitalistes, de l’autre d’importantes manifestations de paysans, d’habitants et de nombreuses actions collectives …

A lire ici le tract que nous avons distribué mardi 26 janvier 2016 lors de la manifestation à Boulogne-sur-mer.

 

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L’Etat d’urgence en question

L’Etat d’urgence en question

 

L’Etat d’urgence en question

Le 13 Novembre, une série d’attentat causant de nombreux morts et blessés a eu lieu a Paris. Suite a cela, le président de la république a décidé,dans un premier temps,l’instauration, pour 12 jours, de l’état d’urgence. Il souhaite le faire passer a 3 mois et modifier la constitution,en passant par une consultation des deux assemblées. Dans l’actualité des luttes, nous souhaitions avoir un décryptage de cette notion d’état d’urgence. C’est Laurence Blisson, secrétaire nationale du syndicat de la magistrature qui nous fait un petit historique de ce dispositif et de ses conséquence pour les libertés.

A écouter ici.

 

L’état d’urgence : les conséquences

Laurence Blisson, juge dʼapplication des peines, secrétaire nationale du Syndicat de la Magistrature, sʼexprime pendant 27 mn sur les dérives induites par lʼétat dʼurgence.

A écouter ici.

 

Les violences policières se multiplient sous l’Etat d’urgence, la presse bourgeoise les recense :

Pour information, quelques titres de la presse bourgeoise et citoyenniste comme “Le Monde” ou “La quadrature du net” recensent depuis quelques jours les abus et autres dérapages qu’accumule la police dans le cadre de ses interventions sous l’état d’urgence. Des interventions qui pour la plupart d’entre-elles n’ont aucun lien direct avec les affaires de terrorisme …

 

La quadrature du net, ici.

Le Monde, ici.

Médiapart, ici.

 

Témoignage d’un assigné à résidence et Fiches « S »

Sur Radio-Primitive, lors de l’émission des camarades de l’OCL de Reims :

en première partie, le témoignage d’un assigné à résidence dans le cadre de la COP 21 et en seconde partie, ce qu’il faut savoir des fiches « S », des fiches européennes …

A écouter ici.

 

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