En visite à Calais le 27 janvier, Besson, le tout nouveau ministre de l’immigration y a entonné le refrain de ses prédécesseurs. Les thèmes de l’insécurité, de l’activité maffieuse des passeurs ou de la souffrance de la population locale ont permis de répéter la volonté de l’État de “rendre la zone étanche”. Une visite inutile, car malgré l’acharnement et la détestation affichée de l’État à l’encontre des sans-papiers, ceux-ci continuent de rejoindre l’Angleterre. Traqués et violentés, désormais, ils se déplacent par delà le Calaisis, le long d’une ligne entre Roscoff et les Pays-Bas.
Avant toute chose, rappelons que les conditions endurées au quotidien par les sans papiers bloqués dans le port de Calais ne sont en rien une nouveauté. Même, et surtout, si la presse et les télévisions s’essaient depuis la fermeture du camp de Sangatte à démontrer le contraire. Le plus souvent d’ailleurs sur un mode misérabiliste ou proche du fait divers.
Depuis quinze ans…
Bien antérieure à la fermeture du camp géré par la Croix Rouge, la réalité calaisienne est complexe. Son histoire remonte à 1994, date de l’arrivée dans la ville des premiers “réfugiés” d’origine polonaise. Puis, en 1997, à celle d’une quarantaine de Roms d’origine tchèque refoulés d’Angleterre. Pour leur venir en aide, quelques associatifs locaux créent alors le premier “Comité de Soutien aux Réfugiés”. Viendront ensuite la série des guerres impérialistes menées par les occidentaux en Yougoslavie, en Afghanistan et en Irak. Elles contraindront des milliers de personnes au départ. Nombre d’entre elles se heurteront à l’issue d’une longue route au franchissement du détroit. Ainsi, en 1998, les bombardements de l’OTAN sur la Yougoslavie conduisent de jeunes kosovars et leurs familles jusqu’aux plages du Pas-de-Calais. Suivront bientôt des milliers d’irakiens, de kurdes et d’afghans.
A noter qu’à cette période, le Royaume-Uni dont les origines géographiques de l’immigration diffèrent de celles des autres pays de l’U.E reçoit plus de 50 % des migrants ayant transité par les Balkans.
Mais à eux seuls ces conflits n’expliquent pas tout. Car, en quinze ans, plus d’une centaine de nationalités différentes se sont croisées aux abords du Calaisis(1). Et toutes n’étaient pas originaires de régions ravagées par les combats. Loin s’en faut. Comme nous l’évoquions, il y a quelques années déjà, le “pourquoi” de la présence de ces hommes et des femmes sur les côtes de la Manche tient autant au caractère global du capital qu’à des raisons dites “humanitaires”. Clairement, la question du travail et la dimension internationale du marché de la main d’œuvre s’impriment à celles et ceux qui rejoignent clandestinement l’Angleterre. Moins, comme on l’affirme souvent, parce qu’on y propose d’abord des “petits boulots”, que pour les très nombreux secteurs de la production et des services dans lesquels les conditions d’exploitation légales y sont comparables à celles du travail clandestin.
Dans ces circonstances, le rôle des États sera d’abord d’organiser, contrôler ou interdire l’accès aux territoires. Au fil des ans, les quatre pays limitrophes : France, Grande-Bretagne, Belgique et Pays- Bas se sont armés d’un dispositif juridique, technologique et policier invraisemblable. Si bien que l’enchevêtrement d’accords européens et nationaux, fait aujourd’hui du port de Calais une de ces “zone-entonnoir” en bien des points identique à celles qui ceinturent l’U.E. Une politique répressive qui recherche de plus en plus à “sous-traiter” les demandes d’asile en les externalisant auprès d’états tampons.
Les lois.
Parmi ces lois, il convient de distinguer celles qui s’appliquent au sein de l’Espace Schengen dont l’Angleterre n’est pas membre, des accords conclus avec ses voisins d’outre Manche. La première catégorie, regroupe le “Code Schengen”, le “Traité de Dublin” et leur extensions. Ce dernier permet actuellement à l’Angleterre d’expulser nombre d’étrangers de son territoire. Pour se faire, il lui suffit d’apporter la preuve de l’enregistrement d’une personne étrangère dans un premier “État membre” afin qu’elle y soit renvoyée. C’est à cet effet que le fichier européen d’empreintes “Eurodac” a été crée .
Dans la seconde série, entrent les “Protocoles de Sangatte” et le “Traité du Touquet”. Ils réunissent polices françaises et anglaises dans les ports de la Manche et de la Mer du Nord mais aussi dans les gares et sites dits “sensibles” des deux côtés de la frontière. Ainsi, l’État français accueille actuellement sur son territoire 800 policiers anglais disséminés en différents points de contrôle. Leur surveillance se concentre avant tout dans la gare du Nord à Paris, dans celles de Lille, Dunkerque et Frethun jusqu’au tunnel sous la Manche… Enfin, un système d’amende sanctionne les transporteurs dans le cas où seraient découverts des sans-papiers dans leur véhicule lors d’un contrôle.
Le dispositif sécuritaire
En plus de ces lois, un puissant dispositif sécuritaire s’applique à rendre inaccessible l’accès aux endroits de passage. Calais et ses environs se transforment progressivement en un agencement de zones concentriques enceintes de palissades et de grillages. Le port, où la chambre de commerce et d’industrie a mis en place son propre service de sécurité est aujourd’hui clôturé de murs et de barbelé électrifié. En outre, il a été équipé d’un système d’alarme, de fibres optiques et de caméras thermiques. A Coquelles, la société Eurotunnel a installé 280 caméras, des détecteurs infrarouges ainsi que 40 kilomètres de barbelé autour de sa zone surveillée par 360 agents de sécurité…
Une partie des contrôles frontaliers est d’ailleurs sous traitée par des sociétés privées. Les véhicules sont examinés au moyen d’un matériel militaire appartenant à l’armée anglaise. Des scanners vérifient l’intérieur des remorques, des détecteurs traquent les battements du cœur, des sondes calculent les émissions respiratoires de CO2. Les États justifient l’ensemble de ces contrôles en invoquant la sécurité des personnes. Notamment depuis la mort en 2000 de 58 chinois, asphyxiés dans la remorque d’un camion néerlandais. Calais offre donc un marché juteux aux patrons de la sécurité. Un budget de 12 millions d’euros annuel leur est ainsi exclusivement consacré.
Pour autant, le recours systématique aux contrôles a des effets immédiatement négatifs pour le capital. Il provoque un ralentissement de la circulation de la marchandise et des dix millions de passagers qui transitent chaque année entre la France et l’Angleterre. C’est le talon d’Achille de cette architecture pour laquelle le temps est avant tout de l’argent. On comprend alors que s’il est en effet plus difficile de franchir le détroit, il est toujours possible de le faire.
Sur le terrain
Sur le terrain, la situation demeure inchangée. Actuellement entre 500 et 700 personnes attendent leur tour de passer. Ce qui, il est vrai, est un nombre relativement important en cette saison. Pour elles, les conditions de survie sont extrêmement difficiles. Les groupes organisés par nationalité se terrent aux alentours de la ville, dans les bois, près des dunes, sous des campements de bâches qu’ils nomment “jungle”. Certains occupent des squats dans la ville. Les problèmes de santé sont multiples et difficilement pris en charge car ils reposent sur le seul volontarisme des associatifs locaux. En face d’eux, l’État, les soumet à un harcèlement constant. L’objectif est clair : éloigner et rendre invisible la présence de ces hommes et de ces femmes dans le centre de la ville et à ses abords. A cette fin, il y aurait en ce moment à Calais plus de 500 policiers affectés à la seule action contre les sans-papiers. Au V.V.F de Blériot-plage stationnent en permanence les compagnies de C.R.S chargées des interventions. Elles se font à tout moment. Parfois en journée, certaines eurent lieu sur le lieu des repas servis par les associations. Elles prirent l’allure de véritables rafles. La nuit aussi, quand les campements sont détruits. Les violences sont fréquentes : les effets personnels, les vêtements sont parfois brûlés, des policiers urinent dessus. A certaines époques, il y eu des marquages à l’encre à même la peau des sans-papiers. Des ramassages qui se terminaient à plusieurs dizaines de kilomètres par des “libérations” en pleine campagne après leur avoir ôté les chaussures ; il y en eu même derrière la frontière belge… Les arrestations se terminent parfois au centre de rétention administratif (CRA) de Coquelles. S’y retrouvent, avant tout, les personnes susceptibles d’être expulsées. Dans l’enceinte même des locaux de la PAF, adossé au CRA, siège le tribunal de grande instance, délocalisé depuis Boulogne sur mer. Les oppositions qui se manifestèrent à l’époque contre la facilitation matérielle d’une justice “à la chaîne” n’y changèrent rien. Ici on passe en quelques pas de la cellule à la salle d’audience.
Mairie calaisienne et associatifs.
A un échelon local, ancienne et nouvelle majorité municipale partagent avec les hautes sphères de l’État le souci de tenir les sans papiers dans la clandestinité. On se rappelle qu’à la fermeture du camp de Sangatte, le maire P.C.F de Calais déclara d’abord : “ … Je reconnais le travail réalisé par MM Sarkozy et Blunkett, mais c’est dommage d’avoir attendu si longtemps…” . Puis lorsqu’il vit arriver sur la ville ceux que l’État anglais continuait de refouler, il se ravisa. S’adressant aux associatifs qui lui réclamaient la mise à disposition d’un lieu sanitaire il leur déclara : “ … Je regrette que des abrutis, et je pèse mes mots, aient dévoyé la cause des réfugiés…Je ne suis pas favorable à l’ouverture d’un local cautionné par la ville”. Depuis, l’U.M.P a gagné la mairie. Par un discours et des pratiques éprouvés, Natacha Bouchart entend museler et faire le ménage à sa manière. Elle qui considère les sans papiers “responsables de dégradations perpétuelles” et qui“rendent sales les lieux où ils passent”. Si la mairie PCF a toujours refusé de rencontrer les associatifs, Bouchart, elle, les invite à une table ronde. Elle initie un “Conseil des Migrants” qu’elle crée pour l’occasion. Elle a compris l’effet anesthésiant de la parole auprès de ceux qui déploraient depuis des années de ne pas écoutés. Une subvention en augmentation a donc été versée à deux des principales associations et des promesses de financement de toilettes ont été évoquées. Et déjà certains parlent “d’avancée”…
Actuellement, il faut compter plusieurs semaines, parfois plusieurs mois afin d’atteindre les plages anglaises. Alors, des groupes partent s’installer ailleurs. En retrait, dans les terres, à trente ou quarante kilomètres de la côte. Là, l’accès aux camions est plus rapide. Calais perdrait-elle de sa centralité ? (2).
(1) Afghans, Irakiens, Iraniens, Kosovars, Kurdes, Albanais, Indiens, Roumains, Turcs, Soudanais, Erythréens, Palestiniens…
(2) Le phénomène existe dorénavant en différents lieux : Roscoff, Cherbourg, Dieppe, Dunkerque ou Ostende.
Pour en savoir plus : “La loi des jungles” de la Coordination Française pour le droit d’Asile. http://www.apsr.asso.fr/com/CFDArapport0908.pdfhttp://www.apsr.asso.fr/com/CFDArapport0908.pdf.
– La Mouette enragée (2005) De Sangatte à Coquelles : situations et interventions (1999 – 2004) in Politiques migratoires : grandes et petites manœuvres, Marseille, Carobella ex-natura, pp. 112-163.
Boulogne sur mer, le 27/01/08.