Le saccage industriel des ressources halieutiques
La crise que traverse la pêche boulonnaise n’est que l’effet d’une onde de choc mondiale. Les mêmes causes produisent partout les mêmes effets et les solutions que semblent préconiser les différents responsables, armateurs, pouvoirs publics, politiciens prennent des allures de fuite en avant.
De 1945 à 1989, les prises annuelles mondiales ont été multipliées par quatre passant de 20 millions à 100,3 millions de tonnes pêchées. Durant cette période, l’amélioration des techniques comme de l’outillage, couplés à la croissance mondiale de la demande alimentaire contribuèrent à une progression de l’effort de pêche. Cette politique s’imposa au prix de déséquilibres écologiques, économiques et sociaux au sein même des pays industrialisés ; mais depuis peu, la redistribution des cartes frappe de plein fouet nombre de pays tiers dont les ressources halieutiques sont la proie des prédateurs occidentaux.
L’EXEMPLE DES MERS D’EUROPE DU NORD
C’est au début des années 80 que la surexploitation des fonds commença à faire sentir ses effets, notamment dans les eaux de l’Atlantique Nord sillonnées par les chalutiers de pêche industrielle. La mer du Nord qui totalise 5 % des prises mondiales constitue le réservoir des pays d’Europe du Nord pour leur approvisionnement en harengs, maquereaux, cabillauds.
Cette zone est aujourd’hui exploitée à un tel niveau que les prises sont quatre fois supérieures au seuil permettant à 90 % des espèces de se reproduire. Des années de pêche intensive et si peu sélective (selon la FAO, 40 % du poisson extrait de la mer, surtout par les flottilles industrielles, est rejeté mort ou impropre à la consommation ont progressivement vidé les fonds. Aujourd’hui les chercheurs chiffrent à 60 % le taux de surexploitation des 80 espèces étudiées dans les eaux de la CEE où les mers du Nord tiennent un rôle de premier plan.
Les premières mesures prises pour endiguer la situation furent d’imposer une taille minimale de capture et un contrôle des maillages. Depuis peu, on assiste à la mise en place des quotas et de zones de pêche. Le but est de contrôler le taux de prises sur un stock donné afin d’en rationaliser l’exploitation et en éviter le saccage. Pour le moment il est difficile d’affirmer que les quotas participent au rétablissement des stocks car les espèces les plus sollicitées constituent la moitié de la valeur d’une pêche à l’exemple de la morue, de l’églefin ou du colin dont les prises en tonnages sont passées de 5 millions à 3 millions et pour lesquelles une réduction de l’effort de pêche s’impose. Un effort qui ne semble pas prêt d’être consenti tant les enjeux financiers que représente le secteur aux yeux des industriels sont importants.
UNE LOGIQUE SUICIDAIRE
En effet, puisque c’est maintenant dans les eaux des pays du tiers monde que s’est rabattue une partie de la flotte industrielle européenne notamment au large de l’Afrique, privant les populations locales de ressources vitales. Plus près de nous, ce sont les eaux poissonneuses de la Norvège que jalousent les industriels français, au premier rang desquels le président du syndicat des armateurs boulonnais. Il faut dire que le stock de morues, partout au plus bas, a fourni dans la mer de Barents 700 000t. en 1994. Un productivisme prédateur contraint les flottes des pays riches à la recherche de nouvelles zones où redéployer leurs activités. De même, de nouvelles espèces dites « de grand fond » sont depuis peu l’objet d’une exploitation de la part de ces mêmes industriels sans que l’on sache comment réagiront les stocks à une exploitation intensive.
La déprédation des ressources naturelles directement liée à un type d’exploitation inhérent au capitalisme, hypothèque chaque jour l’équilibre vital de la planète. Le contrôle scientifique n’a jusqu’ici pas réussi à modifier le mode de gestion de la ressource halieutique qui ne pourra indéfiniment s’accommoder d’une exploitation basée non pas sur les besoins réels de la population, mais sur les intérêts des lobbies économiques. Saccage écologique et social, comme nous allons le voir …
Boulogne-sur-Mer, octobre 1995.