La situation dans le domaine de la pêche n’a pas véritablement évolué depuis l’année passée, on ne voit d’ailleurs pas comment il pourrait en être autrement. C’est pour nous l’occasion de réaffirmer 1’urgence d’une exploitation respectueuse du milieu et donc en rupture avec « les exigences du marché ».
Le projet de loi de Philippe Vasseur qui devrait entrer en vigueur au début de l’année 97, se veut une réponse aux problèmes rencontrés par ce secteur d’activité depuis une décennie. Souvenez vous qu’il aura fallu que les marins pêcheurs tiennent le haut de l’actualité pour que les pouvoirs publics se pressent au chevet du malade. Et pourtant, à l’examen du projet ministériel, il ne fait aucun doute que les causes profondes de la crise ne trouveront cette fois encore de conclusion pour la simple raison que la logique productiviste qui hypothèque à terme la ressource assoit l’ossature de ce plan.
Marché, vous avez dit marché…
Indéniablement, les recettes préconisées ne sont qu’une allégeance à peine dissimulée aux intérêts du marché. En reprenant les termes du texte, « mieux gérer la ressource en intégrant pleinement les données du Marché… prenant en compte les besoins économiques et sociaux des populations et des régions » on comprend à l’évidence que toute sortie équilibrée de l’impasse prédatrice dans laquelle s’est engouffrée l’exploitation des fonds n’est d’aucune manière envisagée. Pour le moins, il convient de s’interroger sur ce qu’entend le ministre dans ce qui constitue le deuxième point de son projet en proposant « la régulation des apports et les besoins du marché ». Car le marché objet de toutes les justifications de la politique libérale, n’est pas la main invisible qui d’une façon quasi parfaite établit la concordance entre l’offre et la demande. Dans la réalité, les besoins ne sont pas ceux qu’il s’agit de satisfaire biologiquement et socialement mais plutôt les fruits d’un conditionnement qui fluctue au rythme des profits fixés. Ainsi lorsque P. Vasseur fait mine de prendre en considération les contraintes du milieu naturel, c’est pour mieux refuser à Bruxelles la réduction de 20 à 40 % des captures préconisée par un groupe de scientifiques.
Cette commission a estimé la diminution des prises vitale pour l’équilibre des espèces démersales (cabillaud, églefin, merlan … ) et pélagiques avant la fin de l’année 2002. A cette annonce la levée de bouclier fut unanime chez les ministres concernés. Une réaction inquiétante quand on sait que la revendication émanent d’un groupe de chercheurs opérant pour le compte des marchands européens. Par ailleurs la contradiction n’est qu’apparente, puisque la protection des stocks n’ambitionne pas de rétablir un équilibre par trop compromis mais plutôt de permettre l’augmentation de la production mondiale de 15 à 20 %. Logique suicidaire qu’illustrent les résultats obtenus par le port boulonnais en 1994 avec une baisse de 6 % des prises et de 9 % selon les prévisions établies pour l’année 1995. La bande côtière, zone de surexploitation comme espace d’évolution des poissons les plus jeunes, qui mériterait une intervention rapide dans le but de rétablir la situation, ne fera l’objet d’un examen que dans deux ans…
Le poisson à toutes les sauces
Rien donc, ne semble pouvoir freiner ces halieutivores dans leur incessante quête de profits, puisqu’ils fixent à 500 000tonnes la quantité de produits que traitera le complexe de transformation de la ressource dans les dix ans à venir au lieu des 300 000tonnes actuelles. Pour ce faire, le ministre de la mer a réaffirmé la nécessité d’accroître les importations afin de faire face à la situation déficitaire que connaîtrait en ce moment le marché français. Déficitaire signifiant qu’il ne rapporte pas ce qu’il devrait. Il rappela dans le but de calmer les esprits des producteurs que les importations feront l’objet de contrôles sanitaires stricts. D’un ministère à l’autre, si notre homme sert un discours qui semble en apparence ménager la chèvre et le consommateur, dans les faits, il couvre les intérêts financiers des magnats de l’agro-alimentaire et de la grande distribution. En effet, la part que se taillent les hyper et supermarchés dans la commercialisation des produits maritimes est de l’ordre de 51 %, et représente 5 % de leur chiffre d’affaire dans le domaine alimentaire. On comprend alors mieux ce qu’entend P. Vasseur lorsqu’il évoque le déficit du marché français.
La consommation de poisson frais a augmenté de 9 % en 1995,une croissance à mettre en parallèle avec l’essor des produits surgelés et une modification des habitudes alimentaires. Ce tournant ne correspond ni a une croissance de la population, qui impliquerait un approvisionnement accru, ni à un changement qualitatif de la manière de se nourrir -le poisson, grâce à ses acides gras saturés, permet d’éviter les maladies coronariennes- mais plus prosaïquement aux pratiques commerciales des patrons de grandes surface.
Une autre logique s’impose.
En rappelant lors du salon Profish que la population mondiale atteindra les 10 milliards dans la première moitié du siècle prochain et que le défi à relever sera aussi alimentaire, le président d’IFREMER ne croyait pas si bien dire. La contrainte démographique pèsera de tout son poids dans la recherche d’une alternative au saccage systématique des milieux naturels et des conséquences qu’il implique. Il semblait acquis il y a encore vingt ans que les ressources halieutiques étaient inépuisables, on sait dorénavant qu’il n’en est rien. A l’époque, certains envisageaient même de pourvoir aux besoins alimentaires des zones géographiques touchées par la famine grâce aux ressources aquatiques. Il est maintenant démontré que le mode de production dominant est dans l’incapacité de satisfaire les besoins les plus élémentaires d’une population mondiale en constant développement. Il s’impose donc à nous de redéfinir notre rapport à la production dans ce domaine, en privilégiant la satisfaction réelle de nos besoin alimentaires comme l’exploitation équilibrée du milieu naturel. Cela signifie rien de moins que la rupture avec le modèle économique en question et la recherche et l’application d’alternatives visant à satisfaire les besoins des populations concernées. On pense donc dans un premier temps :
– A l’arrêt des activités spoliatrices des eaux des pays les plus pauvres par les pays les plus riches. Monsieur Vasseur ayant réaffirmé que les importations insuffisantes en provenance des pays européens proviendraient des pays tiers (2).
– A une modification des techniques de pêche (puisque les quotas n’enrayent pas la diminution des stocks due à un chalutage manquant de sélectivité) comme à la diminution des prises des espèces les plus touchées.
– Le refus du POP IV assimilé à une réduction du nombre d’unités en exercice n’est que la démonstration de la fuite en avant qui tient lieu de politique en matière de pêche depuis des années. On ne peut nier les conséquences sociales qu’implique la réduction du nombre de ces unités, la seule politique qui pouvait éviter cette casse est celle qui consisterait à organiser le secteur afin de produire en fonction des ressources et des besoins spécifiques et non en fonction des intérêts des distributeurs.
– A la fin du bradage inqualifiable de quantités énormes de poissons par leur transformation en farines animales. Ce qui implique la remise en question du système des cours qui génère cette hérésie. La façon dont les responsables de tous poils ont géré cette affaire s’apparente à une véritable partie de roulette russe tant leur horizon s’arrête là où commence à poindre l’odeur de l’argent.
(1): Si on a consommé plus de poisson durant ces dernières années, tout le monde ne met pas la même chose dans son assiette. Ainsi le poisson frais est ainsi consommé par les milieux aisés et les plus de 50 ans. Pour les plus jeunes et les milieux modestes , on se contentera de poisson pané (La pêche Maritime).
(2): Voir Mouette n° 11.
Boulogne-sur-mer. Novembre 1996.