Une rentrée comme les autres … en pire !

Une rentrée comme les autres … en pire !

Nous diffusons ce texte initialement rédigé pour le numéro du mois d’octobre de la revue Courant Alternatif *. Il garde toute sa pertinence puisque la situation, hélas, est demeurée inchangée dans les écoles. 

Qu’observe-t-on en ce début d’année scolaire dans une école élémentaire des Hauts de France ? En quoi cette rentrée se distingue-t-elle des précédentes ? Pour en témoigner, nous livrons quelques éléments observés au sein d’une école de « REP+ ». 

Après un éloignement de près de six mois pour certains d’entre eux, élèves et enseignants allaient enfin se retrouver au sein de l’enceinte scolaire. Les cartes étaient rebattues, les effectifs redistribués, le protocole sanitaire redéfini et comme à son habitude le ministre Blanquer affirmait « qu’il était prêt ! » ; dans ces conditions, comment les retrouvailles allaient-elles se dérouler ? 

 

 

Blanquer, l’illusionniste décrocheur

Tout épisode quelque peu baroque charrie avec lui son lot de formules qui le singularise en creux. Ainsi, durant le confinement du mois de mars, tel un prestidigitateur, le ministre de l’Education Nationale nous avait sorti du chapeau la figure du « décrocheur ». Tour à tour élève ou enseignant, le « décrocheur » servit de bouc-émissaire à des hauts fonctionnaires et des politiciens affairés à dissimuler leur incurie. 

Le plus insupportable dans cette affaire, reste que le « décrocheur » est avant tout une créature des politiques conduites par Blanquer dans le sillage de celles de ses prédécesseurs. Un état des choses qui a consisté à démanteler de piètres structures, imparfaites et insuffisantes, certes, mais qui apportaient encore un semblant d’appui aux enfants qui en avaient le plus besoin ; aux perdants d’un jeu dont les règles sont faussées dès le départ ; pour le dire autrement, aux enfants de prolétaires. Par conséquent, lorsque des familles fuient l’école, dégoutées, c’est l’institution et elle seule qui, sans l’assumer, porte la responsabilité de les avoir décrochés. Cette coupure délibérée du lien a sans nul doute été une des critiques en acte les plus radicales adressée depuis longtemps à cette institution. Et cela, pour l’Etat, comme pour un certain nombre d’enseignants, notamment ceux qui s’identifient à leur fonction, ce n’était pas entendable …

Béat, Blanquer récidive le 1er septembre. Alors qu’il relevait de sa seule responsabilité, lui qui se fait fort de commander seul contre tous, d’anticiper et de planifier les conditions d’un retour en classe à la hauteur de la situation, Blanquer avait décroché ! Si bien que le jour de la rentrée, la situation était en tous points identique à celle qui présidait avant le confinement, augmentée des complications liées au retour de l’épidémie. Les élèves sont retournés en classe comme ils en étaient sortis, moyennant un passage supplémentaire par le lavabo et une circulation alternée dans les couloirs de l’établissement. Pour le reste, il a été recommandé d’aérer les salles de classes régulièrement, et le tour était joué ! Soit dit en passant, voilà une prescription plus facile à émettre qu’à suivre lorsque les fenêtres de la classe ouvrent sur un boulevard en chantier ; par exemple …

Autrefois, c’est à dire bien avant la grande vogue des  établissements « labellisés HQE », lorsqu’on construisait une école, on prenait en compte la question sanitaire. La superficie des classes et la hauteur des plafonds offraient alors un volume d’air en m3 bien supérieur à celui mesurable aujourd’hui au sein de constructions pourtant à la pointe de l’architecture(1).

Naturellement, le résultat ne s’est pas fait attendre, en à peine deux semaines de travail, les absences motivées pour « suspicion de Covid » et autres « cas contacts » se multiplient et instaurent un turn-over qui retarde l’entrée un peu sérieuse et collective dans les activités. Ainsi, les cas avérés de contamination se répandent et les fermetures de classes et d’établissements se multiplient. Pourtant, d’après Véran, les enfant seraient peu concernés par cette maladie…

Peu importe, puisque selon Blanquer cette rentrée s’est effectuée « sous le signe de l’effort et de la joie »(2), entendez par là que les parents peuvent enfin retourner au travail pour ceux qui en ont encore, et pour les autres, il leur sera plus loisible de rechercher un nouvel emploi sans avoir les gamins sur les bras …

Des masques et du gel… la belle affaire !

Les syndicats de l’éducation, dont on connait la mesure, en toutes choses et en toutes circonstances(3), avaient conditionné le retour au travail des enseignants à la mise à leur disposition de masques et de gel. Sitôt dit, sitôt mal fait. Chacun fut doté du matériel réclamé, dont on s’abstiendra de discuter la qualité et l’efficience, sans que se pose à un seul instant la question des pratiques de classes dans de telles conditions et avec un tel accoutrement. Comme l’a titré l’Unsa dans une de ses publications, les enseignants seraient «Stressés mais motivés !» D’où qu’elle émane, cette propagande dissimule mal le malaise qui peine encore à se dire ouvertement et qui résulte d’une accumulation de contraintes insupportables dans un environnement déjà fortement dégradé. 

 

 

L’école d’avant c’était déjà le confinement

Le port du masque déshumanise davantage encore les relations, et ampute le peu de moyens dont on dispose afin de gérer les émotions qu’elles qu’elles soient et d’où qu’elle surgissent  dans l’espace confiné et anxiogène de la salle de classe. 

L’école est à la fois un laboratoire et un centre de tri où l’on concentre des enfants afin de les soumettre durant la journée entière à des activités purement abstraites sans lien direct avec la concrétude de la vie réelle. L’école est certainement l’un des lieux les plus éloigné de la vie, c’est un théâtre où l’on simule mais où rien de réellement tangible ne se pratique ou se crée. Et les tocades pédagogiques, quelle qu’elle soient, la plupart du temps pratiquées entre quatre murs, n’ont jamais rien changé à cette évidence. Pire, l’épidémie a offert au secteur de l’éducation l’opportunité de débrider totalement le recours aux outils numériques à tel point qu’un retour en arrière s’avère désormais délicat. 

« L’école d’après », on y étouffe !

Ailleurs qu’en France et à la faveur de l’épidémie, diverses expériences déconfinent les salles de classes, réduisent les effectifs et dirigent les pratiques vers l’extérieur. Des activités en pleine nature prennent le relais des séquences en milieu fermé. Mais, dans l’hexagone, il suffit d’observer la cour d’un établissement du primaire pour se rendre à l’évidence, la bonne volonté et les fameux «moyens supplémentaires» n’y suffiront pas. Comme celle de n’importe quelle autre institution, l’architecture de l’école et son environnement proche parlent d’eux mêmes. Par ailleurs, aussi éloignées du lieu de l’école qu’elles le soient, ces pratiques de plein air ne sont nullement la panacée, et s’imaginer qu’une telle institution pourrait fonctionner autrement ou mieux être dépassée, sans travailler à bouleverser en profondeur les rapports sociaux, c’est se perdre en conjectures. 

Qu’est ce qu’on a à perdre ? 

Pour autant, ce sont les circonstances qui imposent d’adapter les pratiques afin de poursuivre une activité, voire d’en changer le sens. Le temps présent, ce temps au bord de la crise de nerf généralisée ou de l’abattement, peut-être des deux à la fois, réclame autre chose qu’un protocole sanitaire ratifié par des syndicats. Alors n’hésitons pas, envisageons et revendiquons autre chose, nous n’avons vraiment plus rien à perdre …

                                                                         

                                                              Boulogne-sur-mer, le 19/09/2020

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  1. Ne pas en conclure pour autant que « c’était mieux avant » !
  2. Sans faire de mauvais esprit, cette formule résonne curieusement, non ? 
  3. Pour ne pas dire la compromission… Au mois de mai, L’Etat avait pris le soin de dégager sa responsabilité vis à vis de l’épidémie actant en urgence une série de mesures légales qui garantissent l’intégrité de chaque fonctionnaire en cas de problème mais qui le garantit en retour de toute action qu’engageraient des fonctionnaires à son encontre …
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