Débloquer le frein …

Débloquer le frein …

Annoncée de longue date, la journée du 10 septembre laissait entrevoir, une fois n’est pas coutume, une rentrée sociale à la hauteur de l’annonce. Débattue et préparée en maints endroits, l’initiative laissait néanmoins planer quelques doutes sur l’orientation à donner au slogan : « Bloquer tout ! » Le jour venu, le geste s’est joint à la parole avec plus ou moins de succès et d’hésitation, aux côtés d’autres formes plus classiques d’interventions comme la traditionnelle manifestation. A cette heure, il est encore tôt pour en déduire les suites…


Trouver la sortie …

Nul n’ignorait qu’il serait difficile de se relever de la défaite endurée en 2023. La responsabilité en revient, pour une part, à la stratégie déroulée par une bureaucratie « intersyndicale » en rangs serrés derrière la CFDT. Echec cuisant, s’il en est, survenu dans le prolongement de la répression du mouvement des Gilets Jaunes et qui a laissé les mains libres à la bourgeoisie pour intensifier sa politique. Depuis lors, le climat ambiant concourt, certes, à la résignation, mais nourrit en retour une colère et un ressentiment grandissants auxquels il devient pressant de trouver une expression libératrice. A défaut de quoi, ce sont les démagogues et politiciens de tous poils qui exploitent à l’envi le marasme actuel. A sa manière, l’appel « Bloquons tout ! » entérine ce constat et tente d’y répondre en proposant une perspective émancipatrice.

De part et d’autre, des limites à dépasser

De ce que nous en voyons, la mobilisation ne déborde pas, ou alors timidement encore, les cercles militants. La revendication à « Bloquer tout ! », indique empiriquement la voie à suivre(1), mais laisse sur le côté celles et ceux qui pressentent à raison qu’il faudra un peu plus que le volontarisme et le savoir faire de quelques-uns pour y parvenir… Voilà sans doute la raison pour laquelle de nombreux travailleurs attendent la date du 18 septembre pour se mobiliser. Même perdante, la stratégie de « l’intersyndicale » demeure pour beaucoup un cadre rassurant. Les appareils ne s’y trompent pas et les petites manœuvres ont d’ores et déjà commencé(2)…

Il n’y a pourtant aucune fatalité à ce que les bureaucraties adoubées par l’Etat reprennent une fois encore la main sur la mobilisation. Pour éviter cela, il y a des contacts à établir et des débats de fond à nourrir collectivement bien au-delà des catalogues d’actions établis dans des AG souvent plus formelles qu’autre chose…

A Boulogne-sur-mer, le 10 septembre

Il n’y eut aucune surprise d’aucune sorte, ni bonne, ni mauvaise. Aucun blocage, digne de ce nom n’a été mis en œuvre, pour la simple raison qu’un blocage s’organise, exige de la logistique et un certain nombre d’acteurs. Au petit matin à Capécure, quelques grévistes de la Stef (logistique) étaient sortis de la boîte, mais comme ils l’ont déploré eux-mêmes, ils n’étaient : « pas assez nombreux pour faire quelque chose »… Ce sont donc quelque 150 personnes, essentiellement des militants de la gauche et quelques lycéens qui se sont réunis devant la sous-préfecture à partir de 9h30. Une bonne partie d’entre-eux ont ensuite rejoint l’hôpital en déambulant librement dans les rues de la ville. Là-bas, la CGT organisait un piquet à l’accueil et une AG s’est tenue en fin de matinée pour décider des actions à venir…

Et maintenant ?

Cette journée du 10 septembre a posé un jalon, il reste à en mesurer l’écho auprès des exploités qui n’étaient pas mobilisés à ce jour. D’eux, dépend exclusivement la tournure que prendra la lutte dans les semaines à venir, si lutte il y a …

Boulogne-sur-mer, le 10/09/2025.

(1) Il faut questionner sur le fond cette notion de « blocage », dont on a pris l’habitude dans certains milieux de brandir tel un fétiche. La grève, elle aussi et ses modalités sont à ré-interroger plus qu’à mettre au rancard, comme certains idéologues du blocage l’affirment un peu rapidement…

(2) A Calais, la CGT appelait à un rassemblement à 10 heures devant la mairie alors que depuis plusieurs semaines déjà, le média alternatif « Calais La Sociale » annonçait la tenue d’une assemblée populaire au même moment au Parc St Pierre. Nous relayons ci-dessous le communiqué produit pour l’occasion par « Calais La Sociale » :


CALAIS LA SOCIALE

10 septembre à Calais : 

entre cortège centralisé et assemblée populaire, deux visions de la lutte
Le 10 septembre sera une journée de mobilisation sociale à Calais. Mais dès le matin, deux rendez-vous s’entrechoquent, révélant deux façons d’imaginer la lutte.

Deux appels qui se superposent

À 9h30, une assemblée générale populaire débutera au parc Saint-Pierre. Objectif : créer un espace d’expression ouvert, où habitant·es, salarié·es et militant·es peuvent partager leurs expériences et décider collectivement des suites à donner au mouvement.

À 10h15, la CGT, rejointe par Sud et la FSU, appelle à une manifestation au départ de la mairie avec les unions locales de Saint-Omer, Boulogne, Berck et Calais. Le tract est explicite : après la marche, une délégation sera reçue par la sous-préfète pour exposer les revendications.

Un télescopage assumé

Le choix d’organiser cette manifestation au même moment que l’assemblée n’a rien d’anodin. C’est une manière pour les directions syndicales locales d’imposer leur cadre : un cortège centralisé, suivi d’une délégation restreinte dans un bureau fermé.

En face, l’assemblée propose une autre voie : un espace public, horizontal, où les participant·es peuvent débattre, construire un mandat collectif et imaginer une coordination locale à la hauteur de la colère sociale.

Le tract syndical insiste sur la nécessité de grèves et de débrayages « partout où c’est possible », mais dans les faits, l’appel privilégie la mise en scène d’une journée nationale cadrée, plutôt qu’une construction d’un comité de lutte auto organisé.

Le reste de la journée

La mobilisation se prolongera à la Maison d’Entraide et de Ressources (3 rue de Croy) :
18h : Ciné-débat L’histoire des Gilets Jaunes par Nous.
18h30 : commémoration devant le parc Richelieu pour le travailleur en exil mort en mer ce mardi après-midi.
20h : Cantine végan et à prix libre (Maison d’entraide et de Ressources)
Un geste fort est venu renforcer cette dynamique : le cinéma Alhambra a annoncé l’annulation de toutes ses séances du mercredi 10 septembre, en solidarité avec le mouvement. Son hall restera ouvert de 14h à 19h, avec café offert à celles et ceux qui voudront se retrouver et discuter.

Vers l’unité ?

L’essentiel pour ce mouvement naissant, au-delà de ce télescopage, sera de ne pas rester divisés. Si la journée du 10 septembre doit marquer un tournant, c’est bien en rapprochant les forces syndicales et citoyennes, en cherchant à construire un front commun qui dépasse les cadres imposés et redonne de la force à celles et ceux qui veulent lutter, ici et maintenant.

Ps : Pour clarifier : il n’a jamais été question pour nous d’opposer syndicats et citoyens. Nous nous efforçons depuis que ce petit média sans thune existe de tisser des liens entre les militantismes, quels qu’ils soient.

Nous savons l’importance du rôle syndical dans la défense du monde du travail. Il n’y a pas un mois sans que nous donnons la parole libre aux personnes en lutte, qu’elles soient syndiquées ou non.

Ce que nous soulignons, c’est qu’à Calais il existe aussi une volonté de construire un espace plus large par la base, où précaires, travailleurs avec ou sans papiers et associatifs puissent aussi avoir droit de citer. Nous ne l’inventons pas, depuis trois ans nous documentons. C’est le sens d’un AG populaire que de rassembler tout le monde. Les syndicalistes ont toujours été conviés.

Parler de ces contradictions ne fait pas « le jeu de la droite » : au contraire, c’est en débattant franchement et en mettant la lutte au centre des débats qu’on arrête de se cantonner aux thématiques réactionnaires. Pelloutier, Pouget, Monatte… les syndicalistes ont publié des bibliothèques entières pour exposer leurs controverses et exprimer leurs divergences.
Le syndicat n’est pas une église, c’est un espace de rencontre et de rapport de force stimulant.

A demain


 

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