Nous reprenons certains passages d’un texte produit à la suite du mouvement de 1995 par un camarade cheminot syndiqué à la CGT. Si nous ne partageons pas l’entièreté de son approche d’essence syndicaliste – les bureaucraties syndicales de la SNCF ont d’abord pris soin de ne pas répéter les erreurs qui provoquèrent l’ apparition des coordinations de cheminots des années 80 – certains éléments de son récit ont leur place dans ce bref retour sur cette lutte qui entraîna dans son sillage un retour de la conflictualité : mouvement des sans-papiers de 1996, mouvement des chômeurs de 1997-1998, etc…
Le 24 novembre, l’ensemble des organisations syndicales de la SNCF appellent les cheminots à faire grève. Les revendications portent sur deux points : la remise en cause de l’âge de départ en retraite, avec la durée d’allongement des cotisations de 37,5 à 40 années, mesure prévue dans le plan Juppé de casse de la Protection sociale et la signature du Contrat de Plan entre l’État et la SNCF, document qui prévoit la fermeture de 16 000 kms de lignes, la suppression massive d’emplois et une augmentation de la productivité.
Les fédérations de Cheminots concluent leur appel commun à la grève par l’organisation sur chaque lieu de travail dès le vendredi, d’assemblées générales, afin de créer les conditions d’une poursuite de la grève au delà du 24 novembre.
Le 24 novembre, la grève est massivement suivie, avec des pourcentages de participation de 90% dans le collège ouvrier, 75 % chez les Agents de Maîtrise et 60 % chez les cadres.
Cette forte participation se révèle être immédiatement un formidable point d’appui pour la poursuite du mouvement. Les premières assemblées générales montrent une présence importante de cheminots, syndiqués et non-syndiqués, avec une réelle volonté de mobilisation. La grève reconduite, les cheminots rentrent alors dans un conflit qui va durer trois semaines, et être le moteur d’un mouvement social d’une importance essentielle en ce qu’il porte le refus de la pensée unique et du libéralisme européen.
COMMENT UNE LUTTE AUSSI FORTE ?
Si la lutte a été aussi forte à la SNCF,cela repose sur plusieurs raisons :
– d’abord, celle d’un réel mécontentement chez les cheminots. Ceux-ci refusent le démantèlement de la SNCF voulu par les technocrates et Bruxelles. L’ensemble des actions au cours de l’année 1995l’a montré. Les journées de lutte ont rassemblé au fur et à mesure qu’on avançait dans l’année de plus en plus de travailleurs. Le mouvement s’est ainsi construit tout au long de l’année 1995.
– Puis une pratique syndicale qui privilégie la base. Cela sera la méthode durant toute la grève, et donnera ainsi toute sa puissance au mouvement. Les cheminots vont s’approprier leur lutte.
Il faut noter aussi que la fédération CFDT des cheminots est une opposante traditionnelle à la ligne confédérale. Ainsi, dès l’annonce du plan Juppé, elle a condamné fermement les positions de Nicole Notat.
LA GREVE A BOULOGNE
L’assemblée générale se tient le matin à 8h ou 9h selon les opérations du jour prévues. On y discute de tout, du déroulement de la journée, des actions à mener, des personnalités à interpeller, de l’organisation du repas de midi… et surtout on y vote la poursuite du mouvement. Les votes ont lieu à main levée.
Le piquet de grève est mis en place à l’entrée de la cour SERNAM dès le mardi 28 novembre. Le feu brûlera jusqu’au dernier jour de grève.
– Le mercredi 29 novembre, un rassemblement en gare, auquel seront conviés les usagers, rassemble 300 personnes.
– Le jeudi 30, les gaziers et électriciens du littoral, qui ont organisé une manifestation à Boulogne, viennent dissoudre leur rassemblement devant le piquet de grève des cheminots en fin d’après-midi. Leur visite sera saluée par un défilé dans le quartier de Brecquerecque, à la lumière des torches et au son des trompettes.
A partir du vendredi 1er décembre, l’assemblée générale décide de ne laisser dans les locaux SNCFqu’un responsable de la direction, aidé d’un cadre, pour les questions de sécurité. Les non-grévistes (essentiellement des cadres et quelques agents de maîtrise) sont renvoyés chez eux. Ces derniers iront louer un local à Garomanche pour se donner l’illusion de leur utilité. A partir de ce moment, la gare appartient aux grévistes.
Le samedi 2 décembre, après une semaine de grève, les cheminots appellent la population à manifester en ville afin d’apporter leur soutien à la lutte. 1 500 personnes répondent à l’appel. L’importance de la manifestation étonne ce jour là, mais ce ne sera que la première d’une longue série. Elle renforce le moral des grévistes car on va assister à une série de défilés qui vont rassembler à chaque fois de plus en plus de monde :
– Mardi 5 décembre : 3 000 manifestants, au départ de la Bourse du Travail.
– Jeudi 7 décembre : 5 000 manifestants. La Bourse du Travail devient trop petite.
– Mardi 12 décembre : 10 000 manifestants envahissent Boulogne, une « marée humaine » titrera La Voix du Nord. Le départ se fera de la place Dalton. Les cheminots, symboliquement montent des voies de chemin de fer devant l’Eglise.
NOUS L’AVONS FAIT!
Les objectifs étaient ambitieux mais les cheminots sont parvenus à emporter une bataille qui restera un moment important de l’Histoire sociale. Le Contrat de Plan est retiré et sera réécrit. Le gel de toutes les restructurations qu’il contenait arraché au gouvernement. Pas touche aux retraites et à la protection sociale.
La lutte s’est caractérisée par la maturité de ses participants, qui a forcé le respect, la compréhension et la sympathie de l’opinion publique. Des comportements nouveaux ont été suscités chez l’ensemble des salariés. Les cheminots ont réveillé la conscience collective du monde du travail et des exclus. Ils ont fait naître un immense espoir en démontrant que l’on peut encore se battre et gagner.
TOUS ENSEMBLE
Il y a des hivers où il fait moins froid quand… tous ensemble, tous ensemble, tous, tous, tous, on lutte pour gagner. Ce mouvement a donné un message fort: ENSEMBLE ON PEUT GAGNER!
Boulogne-sur-mer. Février 1996.