Contexte
En 1998, c’est la guerre en Yougoslavie.
Au printemps 1999, arrive à Calais un nombre considérable de réfugiés, majoritairement kosovars – adjectif immédiatement péjoratif suite à un règlement de compte mortel entre passeurs et qui deviendra générique, quelle que soit l’origine des migrants des vagues qui s’ensuivront. Entrée en scène des CRS : premières chasses, premier parcage dans un entrepôt de la CCI (Chambre de Commerce et d’Industrie).
Juin 1999 : fermeture de l’entrepôt, susceptible de favoriser, selon la Préfecture, les contacts passeurs/clients au départ en Grande Bretagne. 200 migrants occupent le parc Saint Pierre ; évacuation du quasi-bidonville en août. Les familles sont recasées face à l’hôpital de Calais, les célibataires dans le « fameux » hangar à Sangatte. La médiatisation amorcée avec les premières répressions éclate, avec les retentissements que l’on connaît.La survie des migrants est assurée par C’sur, un collectif d’associations aux réunions duquel participent individuellement des membres de la Mouette enragée.
Le 16 septembre 1999, nous assistons médusés à la foirade de la tentative de réouverture de l’entrepôt initial, propriété de la CCI. C’est l’occasion de constater les dissensions patentes au sein du C’sur, orga et perso. Dysfonctionnement propre aux cartels d’organisations qui le plus souvent trouvent leur point d’équilibre à l’interne en s’accordant sur le plus petit dénominateur commun, en l’occurrence ici, l’aide matérielle et alimentaire.
Analyse et pratiques
Sans nier le réel travail d’urgence des organisations humanitaires, la Mouette enragée en exprimera tôt les limites :
– l' »oubli » que la volonté des Sans-pap’ n’est pas d’être tolérés en France -et d’aller en CADA- mais de passer en Angleterre ;
– le paradoxe confrontation/négociation du C’sur avec les représentants de l’État, alors que ses membres sont régulièrement brutalisés et traînés en justice ;
– l’alibi du « respect et de la dignité dus aux migrants » comme obstacle objectif à l’autonomie de lutte de ceux-ci -et donc à un véritable soutien-, même si le turn over est perpétuel. Preuve s’il en fallait : l’éviction vindicative, dès le départ, du CSP 59 du collectif, l’abbé Boutoille considérant ces derniers comme « des manifesteurs, pas des manifestants« (sic). Exit donc l’aspect politique ;
– l’incapacité, aveugle ou volontaire, à percevoir le traitement des sans-papiers comme un laboratoire sécuritaire et répressif qui, de fait s’étend aujourd’hui à tout le champ social ;
– le manque d’appréciation à cette date – c’est peu de le dire! – de la politique d’enfermement dans les CRA relevant d’un arbitraire qui, là aussi, sera la matrice d’une politique maintenant généralisée.
– Le refus de notre part qui avons des papiers de nous substituer à ceux qui n’en ont pas, travailler avec mais en aucun cas à leur place.
– la volonté de dénoncer un humanitaire qui refuse de dénoncer les véritables responsables d’une situation catastrophique. Position entretenue par la gauche.
– le refus de prendre pour argent comptant les déclarations bien pensantes des autorités locales
Nos positions et nos actes, axés sur les enjeux sociaux et politiques – ceux de la lutte des classes – détermineront durant cinq ans nos relations locales, nationales voire internationales (avec des groupes britanniques et belges notamment) et les actions de terrain mises en œuvre, avec plus ou moins de bonheur mais toujours sujettes à réaction.
La Mouette enragée n’intègrera pas le C’sur.
Français, étrangers, même patron, même État : même combat. Au delà du slogan les actions de la Mouette auront tendu à replacer la question des flux migratoires dans leur réalité : oppression, misère, guerres… autant d’avatars d’un capitalisme mondialisé que fuient ses principales victimes mais qui se trouvent en fait bel et bien utilisées sur le grand monopoly de la main d’œuvre.
Chronologie
Durant ces années d’implication en Calaisis (et ailleurs), nous aurons multiplié les tentatives de convergence des luttes, au travers d’interventions multiformes s’inscrivant dans l’évolution de la situation.
En voici une trame non exhaustive de la période la plus intense :
2001
– Le 20 octobre, week-end d’action de solidarité avec les migrants, dont une marche de nuit jusqu’au tunnel trans-manche. Seront présents des membres du CSP 59, du CAE (collectif anti expulsions), de la CNT, des militants bruxellois contre les expulsions et de… C’sur en opposition avec le bureau de l’époque. C’est l’occasion d’une prise de contact effective avec lesmigrants présents.
– Préparation dans la foulée d’une manif avec des afghans pour le 30. Annulée : 200 d’entre eux passeront la Manche miraculeusement le… 29 !
– Décembre, tract d’appel : « Sans-papiers, coup d’État sécuritaire et néocolonialisme« .
2002
En 2002, les militants britanniques seront à l’origine et/ou répondront à des initiatives communes aux deux côtés de la Manche.
– En février, ils obtiennent la fermeture du centre de Campsfield, près d’Oxford. Mais celui de Douvres est mis en service dans la foulée et le combat ne fera que commencer.
– Avril, participation à la manif contre le CRA de Douvres (GB).
– Mai, le 4 : manif contre l’extension du CRA de Coquelles ; parution du numéro 23 (spécial immigration) de la « Mouette enragée« .
– Juin, manif à Londres pour l’accueil des « réfugiés » en Angleterre.
Ces trois actions se sont enchaînées dans le cadre de la lutte en réponse à la politique de « chasse à l’étranger » menée communément par les États français et britanniques. Notre partenaire d’outre manche étant le NCADC. Nous ferons parallèlement une diffusion « toutes boîtes » d’un tract d’information sur la réalité des CRA à Coquelles même.
– Juillet : campement No Border à Strasbourg.
– Octobre : rassemblement devant le CRA de Coquelles avec la volonté de faire savoir aux prisonniers qu’ils sont soutenus à l’extérieur. Qu’ils soient le but des itinéraires des manifs ou le lieu direct de rassemblements, cette motivation sera constante et la police n’aura de cesse d’interdire le contact.
– Novembre-décembre : fermeture du site de Sangatte. Participation des militants de la Mouette enragée aux manifs.
2003
– Janvier : La Mouette enragée n° 24 est dans les kiosques. Nous organisons à Calais, dans le cadre de la lutte contre tous les CRA, une conférence-débat sur la politique migratoire et les répressions en Europe (avec la participation d’Alain Morice, anthrologue impliqué dans la question des phénomènes migratoires et contributeur de la publication Vacarme, ainsi que du CSP 59).
Cette rencontre fait suite à une manifestation à Coquelles « sabotée » par ce qu’il faut bien considérer comme une contre-manif organisée par le C’sur, lequel affirmant dans la presse locale n’être pas foncièrement contre les CRA.
Au cours de la manifestation, un texte est lu et diffusé devant les grilles du CRA de Coquelles. Ci-joint, le recto-verso
– Févier : nous publions un texte à destination des boîtes aux lettres des Coquelois, toujours aveugles ou indifférents à la prison pour étrangers implantée sur leur commune.
– Mai : des moutons noirs des assos humanitaires ou des quidams qui ont apporté leur aide aux migrants (accueil chez eux…) sont (à nouveau) traînés en justice; nous organisons une soirée de soutien à ces victimes du « délit de solidarité ». Pour l’occasion, la Mouette fait un tract de bilan.
– Juin : le 28, le C’sur organise sa soirée de soutien. Malgré les pressions toujours plus lourdes de l’État, le cartel d’assos résistera et notre solidarité sera constante.
À partir de l’automne, dans la dynamique de la lutte contre les CRA et dans un contexte de harcèlement de l’État envers les militants, La Mouette enragée, cherche des relais nationaux avec lesquels organiser une mobilisation élargie. C’est dans cette perspective que nous rejoindrons la « Coordination nationale contre les centres de rétention » envisagée par le CAE.
2004
Tout au long de cette année, notre collaboration à la coordination nous aura amené à Paris et sa banlieue – sur des chantiers de construction de CRA, avec l’appui des riverains, notamment à Palaiseau -, à Lyon – au CRA de Lyon Satolas et à l’OMI pour une occupation (foireuse car mal préparée) ou à des actions d’ agit-prop. », contre les boîtes de BTP ou cabinets d’architectes complices intéressés de la politique d’État d’enfermement.
– Février : nous parvenons lors d’une manifestation à un contact direct avec les « retenus » ce qui permet d’obtenir de l’info vérifiée sur leurs conditions d’enfermement, dont la dureté est alors niée par les autorités. Lors d’actions ultérieures, la police s’assurera de l’impossibilité d’un contact aux grilles des cellules ou ailleurs entre migrants et militants solidaires à l’extérieur… Un tractage à destination des Coquellois est organisé.
– Mai : le 15, C’sur, Inter-lutte, le CAE de Paris, les sans-papiers amiénois et La Mouette enragée se rencontrent dans la perspective d’étudier de nouvelles pistes d’actions en phase avec des positions politiques cohérentes, notamment sur l’aspect classiste de l’enfermement.
– Mai-juin, arrestations en masse de sans-papiers sur la métropole lilloise. Les hommes sont concentrés au CRA de Lesquin, les femmes à celui de Coquelles. Grèves de la faim de ces dernières. Nouvelle campagne d’information à Calais/Coquelles et par Indymédia. S’ensuivront de nouveaux procès …
– Août : verdict et durcissement des lois sur l’immigration en Europe. En hiver, nouvelle marche sur le CRA de Lesquin.
2005
Après des années de lutte non-stop aux côtés de militants versant tantôt dans l’humanitaire tout-crin, tantôt dans l’activisme forcené, mais dont la volonté d’agir aura permis de marquer quelques points ou, à tout le moins de gagner du temps, et au regard de l’ensemble des combats à mener, La Mouette enragée décide de revenir sur un champs socio-politique plus large, mais n’excluant pas la lutte avec les sans-papier , de Calais en particulier.Nous quittons aussi la Coordination nationale.
D’autres combats nous ont d’ailleurs occupé sur cette période, en parallèle et pour les mêmes raisons…
– Novembre : parution de notre analyse de 1999 à 2004 dans une contribution au livre Politiques migratoires, grandes et petites manœuvres aux éditions Carobella ex-natura. A lire dans l’article éponyme !