Dormir dans une voiture pour réparer la fibre : jusqu’où ira le mépris ?
Cette contribution nous a été proposée par un lecteur, nous avons accepté de la publier. Son témoignage met en lumière une réalité souvent occultée, celle endurée par les travailleurs de la sous-traitance soumis aux conditions de vie et de travail les plus dégradées, les plus précaires… Si, vous aussi, désirez apporter votre témoignage n’hésitez pas à nous contacter.
Dans une rue de Bomarsund battue par la pluie orageuse, trois techniciens s’acharnent à remettre en service une armoire de fibre optique, pour le compte du groupe Bouygues Telecom, vandalisée, puis incendiée quelques jours plus-tôt. Trois travailleurs employés, qui s’abritent comme ils peuvent sous une tente de fortune, pour que les usagers de Bouygues puissent se connecter à internet. Leur journée ? De 7h30 à 20h. Leur nuit ? Dans un C4 Picasso noir, garé à deux pas du « chantier ». Voilà la réalité.
Et derrière cette réalité, une vérité insupportable : ces hommes ne sont pas salariés de Bouygues, mais sous-traités, étrangers, invisibles. Ils ne portent pas le logo de la firme, mais ce sont eux qui en portent le fardeau. Pas de chambre d’hôtel, pas de repas chaud, pas de conditions dignes et même pas de toilettes. Seulement la fatigue, le froid et le silence.
Car c’est bien là que réside le cœur du problème : la sous-traitance en cascade. Bouygues n’en est pas à son premier scandale : du chantier de l’EPR de Flamanville (2008-2012), où l’entreprise a été condamnée pour travail dissimulé (2017), jusqu’aux raccordements fibre gérés par des sous-traitants précaires, la mécanique est toujours la même. Si les grandes entreprises, publiquement responsables de pratiques illégales et immorales, s’assurent tous les bénéfices, elles délèguent toujours autant les tâches les plus dures à une chaîne d’intermédiaires, si longue qu’elle efface toute responsabilité. À chaque étage, un peu plus de pression, un peu moins de droits. Et au bout de la chaîne : des hommes réduits à dormir dans une voiture après douze heures de labeur.
Est-ce cela, la France du progrès ? Est-ce cela, la modernité numérique, que de traiter l’humain comme une pièce interchangeable, corvéable à merci, qu’on parque la nuit dans une voiture pour que le réseau internet puisse fonctionner ? On nous répète que l’économie a besoin de flexibilité, que la sous-traitance est une nécessité. Mais quand la flexibilité devient exploitation, quand la sous-traitance s’apparente à de l’esclavage moderne, alors ce ne sont plus des arguments, ce sont des prétextes.
Ne nous y trompons pas : si ces travailleurs sont invisibles, c’est bien parce que cela arrange les grands groupes. Ils profitent de leur sueur, mais n’assument pas leur responsabilité. Bouygues encaisse, les sous-traitants exécutent et trinquent. Voilà la chaîne.
Il est temps de briser ce silence. Il est temps de dire que dormir dans une voiture après 12 heures de labeur n’est pas normal, que travailler sous l’orage sans protection digne n’est pas acceptable. Qu’il y est sous-traitance ou pas, chaque entreprise se doit de respecter la dignité humaine.Quant au gouvernement, il est temps qu’il se saisisse vraiment de cette question. La dignité, au travail comme ailleurs, ne se négocie pas, elle s’impose. Qu’il exige, donc des entreprises qu’elles respectent tou.te.s leurs travailleur.euse.s, même sous-traité.e.s. Il faut protéger ces personnes qui, dans l’ombre, assurent la continuité de nos vies numériques. Car même si elles agissent dans l’ombre, elles ne sont pas des ombres. Et pourtant, tout est fait pour qu’on ne les voie pas. Alors voyons-les. Disons leurs noms, racontons leurs vies, refusons ce mépris. Parce qu’il n’y a pas de fibre, pas de technologie, pas de modernité qui vaille le sacrifice de la dignité humaine.
Boulogne-sur-Mer, les 28 et 29 août 2025.