Le plan Juppé a été décidé le 15 novembre 1995 et les cheminots sont entrés en grève reconductible à partir du 24 du mois. Dans les écoles, on évitait le sujet et la grève fut décidée d’en haut, aucune décision ne fut prise par la base.
La FSU (Fédération des syndicats unitaires) déposa son préavis le 2 décembre pour ne commencer la grève que le 7 espérant ainsi qu’entre temps, les autres centrales syndicales se décideraient. Et en effet, la FEN (Fédération de l’Éducation nationale) a suivi. Localement, le trois quart des enseignants grévistes n’ont suivi le mouvement qu’à l’appel des syndicats qui leur ont donné la marche à suivre (et les instits osent critiquer l’assistanat !).
Très peu d’entre eux ont stoppé le travail en ayant vraiment idée de ce qu’était le plan Juppé. Peu se sentaient concernés. Pas ou peu de discussions sur les lieux de travail ou dans les cortèges de manif. Le plus souvent, ils étaient là parce que M. FEN (la FSU étant minoritaire à Boulogne) avait dit que ce serait bien qu’ils y soient (mais ceux qui continuaient le travail avaient quand même le droit à toute son affection). C’est tout ! Et encore « faudrait pas qu’ ça dure parce que ça va coûter cher et qu’est-ce qu’il nous restera pour le réveillon ? » a été le leitmotiv quasi général.
Les instits défilèrent joyeusement sous la bannière du S.N.U.I.P.P (syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC, appartenant à la FSU),visible de loin, pub oblige (« le syndicat a besoin de vous ! » ou plus tristement sous la bannière digne et austère de la FEN (on se serait cru à l’enterrement prémonitoire de Mitterrand !)
Seuls quelques « agité-es » (dixit les responsables syndicaux eux-mêmes) ont tenter d’impulser une dynamique à la base, malheureusement assez vite retombée faute de combattants. Les syndicats enseignants s’appliquant à dépolitiser la grève, la FEN en centrant les revendications sur la retraite et en ne dénonçant pas le plan Juppé pour ce qu’il était ; le SNUIPP en « noyant le poisson » sous un ensemble de revendications catégorielles.
Tout se termina comme il devait le jour où la FEN décida de la reprise du travail. Les enseignants se sont alors précipités dans leurs écoles, soulagés pour leur salaire (« on n’a pas trop perdu ») et pour leur retraite (« on a gagné »). Du côté du SNUIPP, le retour en classe se fit également dans l’ordre et comme prévu avant les sacro-saintes vacances de Noël. mais avec un peu plus de difficultés. Les syndiqués, moins nombreux, ayant le sentiment d’avoir eu davantage le droit à la parole. Si l’issue de cette « lutte » en a déçu et énervé certains, il en résulte que la réalité du syndicalisme enseignant est :
– celle d’un syndicalisme de service (« encartant » des consommateurs), réformiste (si, si, on peut se battre de l’intérieur pour un capitalisme plus humain) et catégoriel.
Quant aux enseignants eux mêmes, ils se montrèrent peu conscients d’appartenir au même monde que celui des parents de leurs élèves, pseudos travailleurs-intellectuels ignorants de la sauce à laquelle ils seront mangés.
Boulogne-sur-mer. Février 1996.
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Encadré :
Visite en terre F.E.N
Sans y être conviés, nous nous sommes incrustés lors des journées de grève dans une grand messe qui se voulait être une “assemblée générale” organisée par la FEN. Cette petite visite nous a permis d’assister à leurs “débats ». Ça commençait plutôt bien : y avait du monde, sur l’estrade comme dans la salle. Sur l’estrade, entouré de quelques “élus », un tribun populaire vêtu d’une panoplierévolutionnaire (costard noir, sous-pull rouge) haranguait la foule : « Camarades !” …
Malheureusement ça s’ est arrêté là. Discours vide, ultra-corporatiste. La seule explication qui fut donnée du pourquoi de la grève fut la défense de la retraite des fonctionnaires !
Le syndicat ayant chargé ses ministres sur terre (Labit entre autre) de prêcher auprès de son troupeau (les lnstit’s) la bonne parole : la grève, modérée, du bout des lèvres. Aucune possibilité ne fut donnée à ces derniers de réagir, de discuter, de débattre des modalités de la lutte, des raisons de la grève, ce qu’ils se gardèrent bien de tenter de faire soit dit en passant.
Bref, les dirigeants dirigent et ordonnent, la base applique. Si, si, la FEN est un syndicat DE-MO-CRA-TI-QUE !
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Boulogne-sur-mer. Février 1996.